Chapitre 11 : Partie 1/3

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Sa tête se mit à tourner, la nausée l'envahit. La souffrance dans sa jambe. Dans tout son corps. Il sombra.


Impossible de bouger, d'ouvrir un œil. Toujours cette douleur qui le lancinait. Des bruits de pas. Des voix incompréhensibles.

L’inconscience le rattrapa.


La lumière. Une lueur diffuse et orangée. Un mal de crâne le dévastait, des fourmis ravageaient sa jambe meurtrie. Des tensions malmenaient ses bras. On pinçait sa peau au creux des coudes. Gaël ressentait sans comprendre.

Ses paupières retombèrent.


À chacun de ses réveils, le sommeil l'emportait presque aussitôt. Inlassablement.


Des picotis couraient le long de ses doigts qui remuaient fébrilement. Ses paupières étaient lourdes, si lourdes que Gaël eut bien du mal à les ouvrir. Il ne pouvait pas bouger, comme si ses membres étaient incrustés dans le sol, et l’obscurité l’empêchait de voir quoi que ce fût. Au fur et à mesure qu’il émergeait, ses sens se réveillaient. Son dos reposait contre un mur rocailleux et irrégulier qui creusait sa peau au moindre soubresaut, tandis que sa tête pendait en avant. Il était assis sur une paillasse rêche, constituée de feuilles et agrémentée d’un tissu rugueux. Il voulut se racler la gorge, mais elle était tellement sèche qu’il ne pût avaler sa salive. Il toussa, puis cracha du sang et de la poussière pendant des minutes qui lui parurent des heures. Il finit par s’habituer à l’obscurité pour étudier les lieux.

Bien qu’il fût enfermé dans une cellule délimitée par des barreaux, une immense salle se découvrait au-delà. Cela n’avait rien d’un cachot traditionnel. Et pour sûr, il ne se trouvait pas à Nergecye.

Des tensions dans ses bras lui tirèrent une grimace ; il constata que des fils s’implantaient dans leur creux et des compresses nouées les maintenaient en place. Le commandant les arracha et retint un cri lorsque des aiguilles se délogèrent de ses veines. Il remarqua ensuite qu’ils étaient reliés à une poche d’un contenu terne, elle-même pendue sur une tringle en acier.

Gaël tâta son torse d’un geste mécanique et peu assuré. Il ne revêtait plus son armure, pourtant il avait toujours la sensation du métal s’enfonçant dans ses côtes. Sa main effleura le cordon autour de son cou. Il le suivit du bout des doigts et serra promptement son émeraude, soulagé à son contact, puis il la lâcha avant de laisser retomber son bras. Au moins, ils ne lui avaient pas pris ça.

Il ne pouvait que se trouver sur les Terres Rouges. Mais comment était-ce possible ? Et depuis quand s’y trouvait-il ? Un jour, une semaine, un cycle ? Il n’en savait rien. Il se rappelait s’être réveillé quelques fois sans réussir à se souvenir du moindre détail. Gaël fit un effort surhumain pour redresser son dos ; ses muscles endoloris le maudirent pour cela. Sa jambe broyée par l’elgrogh était gourde et dénuée de sensations, si bien qu’elle s’apparentait à un bloc allant de ses orteils jusqu’en haut de sa cuisse. Les dents serrées, il se courba et la tâta par-dessus le tissu cramoisi. Il n’osait même pas le soulever pour vérifier son état, tant il le redoutait.

Après un long moment, Gaël trouva la force de se lever sur sa jambe valide, chancelant et grimaçant. Son corps n’était que douleur. Il claudiqua jusqu’aux barreaux afin d’observer son environnement, jusqu’à ce qu’un bracelet de fer glacial le retînt avant de s’enfoncer dans sa cheville gauche. Son visage se crispa. Il referma sa main sur une barre, en rapprocha son visage autant que possible, et plissa les yeux.

La pièce, circulaire, n’était pas très grande et seulement éclairée par quelques cierges. Aucune fenêtre ne laissait passer la lumière du jour, seules ces faibles lueurs dessinaient grossièrement les alentours. Un escalier étroit longeait les murs jusqu’à perte de vue. Gaël ne distinguait même pas le plafond tant il s’élevait. En-dessous des marches, d’autres cellules barrées de fer étaient implantées dans la roche. Il ne se trouvait pas dans un vulgaire cachot, mais dans une tour.

Le commandant décolla ses doigts frigorifiés du barreau et retourna au fond de sa cage. Combien de temps allait-il croupir ici ? Un irnath daignerait-il faire une ronde ? Appuyé contre le mur de pierres crénelées, Gaël s’escrimait à faire le vide dans son esprit. De ne plus penser au mal qui rongeait chacun de ses membres. De ne pas imaginer le sort qui l’attendait. Il remarqua un gobelet en terre cuite à côté de lui et le porta à sa bouche. Boire une gorgée lui rappela à quel point sa gorge était desséchée. Il n’avait pas assez d’eau pour assouvir sa soif et de toute façon, les grains de poussière et de sable qu’elle contenait ne le lui permettaient pas. Il essuya une violente quinte de toux et inspira à fond. Avait-il vraiment fait tout ce chemin juste pour en arriver là ? Était-ce ainsi qu’il finirait sa vie ?

Soudain, un bruit sourd retentit et un faible halo de lumière éclaira la pièce. Des pas résonnèrent durant d’interminables secondes sans que Gaël ne pût distinguer quoi que ce fût.

Une ombre gracieuse se détacha de la clarté, puis des courbes féminines et des yeux mauves percèrent l’obscurité. Tandis qu’elle se rapprochait de lui, ses cheveux tressés se balançaient dans son dos. Un flash lui survint. C’était l’irnathesse qui l’avait traîné jusqu’au dragon. Un éclat de haine s’alluma dans le regard de Gaël qui parvint à garder son calme au prix d'un prodigieux effort sur lui-même. Il était le Commandant Kilenswar, commandant de la garde royale de Nergecye. Comment osaient-ils… Malgré sa faiblesse, ses poings se serrèrent de rage. Ou plutôt, ses doigts se rétractèrent à peine. Il n’avait plus de force.

- J’ai cru que tu n’émergerais jamais, grinça-t-elle. Enfin, tes micro-réveils ne comptent pas.

Elle détacha une clé rouillée de sa ceinture et ouvrit sa cellule dans une série de crissements insupportables. Gaël serra la mâchoire. Il voulut déglutir, mais aucune salive ne vint.

- Qu’est-ce que tu veux ? articula-t-il avec peine.

- Vérifier ta jambe.

- Depuis quand un irnath se soucie-t-il d’un nergecyen ?

Sa voix était à la fois sèche et désincarnée. L’irnathesse l’ignora et s’accroupit pour l’examiner. Gaël frissonna d'effroi au contact de ses doigts grisâtres. Elle détacha ses bandages empourprés sans délicatesse, sortit des tissus propres d’une mallette en cuir brun et les déroula, cette fois avec soin. La surprise marqua le visage du commandant. Pas d’odeur rance ni de chair en lambeaux. Sa peau était violacée et du pus suintait au milieu de quelques croutes, tantôt molles, tantôt dures.

- Tu as été transfusé la plupart du temps, lui apprit-elle. Tu n’as manqué de rien. Ta jambe a meilleure couleur qu’avant. Le plus étonnant est que tu ne pleurniches pas. Tu es courageux, pour un nergecyen.

Elle marqua une pause, puis reprit, un rictus aux lèvres :

- L’heure est venue d’accélérer la cicatrisation.

Gaël observait ses moindres faits et gestes d’un œil méprisant. Ses cheveux écarlates coiffés en une longue natte qui pendait vers l’avant soulignaient le côté droit de son visage triangulaire. Des yeux en amande aux pupilles mauves, un nez rectiligne et des lèvres charnues s’y agençaient d’une façon harmonieuse. L’irnathesse portait une chemisette noire et ample, dont le bas plongeait sous sa culotte courte et ocre resserrée aux cuisses par un élastique, et maintenue à la taille par une ceinture en cuir surchargée d’objets qu’il peinait à identifier. Des bottes lacées de la même matière venaient recouvrir ses mollets jusqu’aux genoux, laissant apercevoir au-dessus sa peau délavée.

Elle tira d’une de ses poches une fiole qu’elle ouvrit avec précaution, puis en versa le contenu sur sa jambe.

- Ça risque d’être désagréable comme sensation. Je te déconseille d’y toucher.

Une centaine de vers blancs commença de s’agiter sur sa blessure. Une vive brûlure se mit à le malmener, si bien que Gaël n’avait qu’une envie : hurler à en perdre haleine. Au lieu de ça, il soutint le regard du démon, les paupières plissées par la douleur. Ses lèvres se tordaient, ses dents grinçaient, et ses narines s’agrandissaient et se rétrécissaient à un rythme fou. Des gémissements étouffés résonnèrent malgré tout dans sa gorge.

L’irnathesse dispersa les vers sur toute la surface du bout des doigts et les recouvrit d’un linge épais qu’elle sangla. Gaël laissa échapper un cri guttural. C’était comme si des enclumes venaient encastrer sa jambe dans la roche et à présent, d’horribles démangeaisons la parcouraient sur toute sa longueur. Sans le laisser souffler, elle lui colla un autre flacon contre les lèvres.

- Bois ça, ordonna-t-elle.

Il le repoussa d’un geste ample, en vain. Elle lui pinça le nez pour le forcer à avaler, puis plaqua une main sur sa bouche pour s’assurer qu’il ne vomît pas. Des haut-le-cœur le prirent de court. Il ne savait pas ce qui était pire : les vers qui grouillaient ou cette infâme mixture au goût de moisissure.

De longues et pénibles minutes s’égrenaient. Sa tête roulait de façon mécanique. Les yeux livides, il distinguait à peine l’irnathesse, toujours face à lui. Quand cela prendrait-il fin ? Les asticots ratissaient chaque parcelle de sa chair dans un tumulte de succions répugnant.

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