Chapitre 9 : Partie 3/3

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- Nous sommes pareils, Aera, siffla-t-il entre ses dents. Il me semble que ton don s’est déclaré sur le tard. Il y à peine plus d’une saison encore tu n’avais rien. C’est pour cette raison que tu as fait du combat à l’épée ton domaine d’expertise, tout comme moi.

- Ça suffit, maugréa-t-elle.

Il avait marqué un point. Entendre cette vérité ne la rendait que plus amère. Elle l’avait attaqué sans penser à son revers. Apparemment, sa réaction le réjouit, il se décrispa un peu.

- Comment voulez-vous que je retrouve mon grade dans une quête aussi désespérée ? Vous ne savez pas s'ils sont en vie ni si les Irnaths peuvent les faire passer leur propre dôme. Vous ne savez même pas où ils se trouvent le cas échéant. Vous ne savez rien.

- Nous nous rendrons sur les Terres Rouges quoi qu’il arrive, insista Eileen à mi-voix. Je suis convaincue qu’ils sont en vie et…

Aera prit la suite.

- Le dôme, Illian. On peut montrer que le dôme n’est pas infaillible. L’enjeu ne se résume pas à sauver la troupe du Commandant Kilenswar. Horace Ell’Mar a beau envoyer des escouades sur l’Entre-Deux, ce n’est pas suffisant ! Il ne fait que retarder l’attaque des Irnaths et n’a pas l’air de prendre leur menace au sérieux. Il faut montrer qu’une avancée est possible. Il nous faut prendre les devants !

Illian passa une main sur son visage.

- Êtes-vous conscientes des risques que cela comporte ?

Eileen haussa les épaules.

- Je sais me servir d’une épée et je contrôle un élément. J’ai déjà été mêlée à un combat contre un trausöl. À nous trois, nous saurons braver les difficultés s’il y en a !

Aera ricana en son for intérieur. Elle ne l’avait donc pas écoutée la dernière fois… Les dangers ne manquaient pas autour de Nergecye et les probabilités de tomber au combat n’étaient pas minces. Mais tout soldat connaissait et acceptait les scénarii les plus sombres. Périr dans une quête noble, dans une guerre pour protéger son royaume, était honorable.

- Partis comme ça on va sûrement mourir… chuchota-t-elle.

- Donc vous n’avez pas idée des risques, conclut-il. Et comment comptez-vous traverser le dôme ?

Aera sourit. Le moment était venu d’étaler ses connaissances.

- La pierre ancestrale du royaume Lumeo, déclara-t-elle. C’est un artefact puissant capable d’offrir tous les dons à quiconque le touche, assez puissant pour briser… ou au moins créer une brèche dans le dôme.

- Ce royaume pourrait nous aider ? questionna Eileen.

- Nergecye et Lumeo ont passé un pacte à la création de Nergecye. Ils sont obligés de s’entre-aider, sur les questions militaires entre autres, lui expliqua Illian.

L’attention toujours portée sur ce qu’elle venait de lui apprendre, il marqua un long moment de pause. Il s’enfonça dans son siège et s’attrapa le menton d’une main, le regard vague. Les secondes s’égrenèrent sans qu’il ne bougeât d’un poil. Comme s’il pesait le pour et le contre de les aider… ou bien qu’il affichait son désintérêt en les ignorant. Son long silence eut raison de la patience d’Aera. Cet homme ne s’apparentait plus qu’à une coquille vide.

- Laisse tomber Eileen, on n’en tirera rien.

Elle se détourna de la table et s’apprêtait à faire un pas quand il s’exprima enfin :

- C’est d’accord.

Aera s’arrêta aussitôt. Le réconfort se substitua à la déception.

- J’accepte de vous suivre, mais je prends les directives. J’ai longtemps parcouru les Terres de Lumière, je les connais parfaitement. Quand partez-vous ?

- En fait… tout de suite, précisa Eileen.

- Vous avez pensé à un moyen pour passer les remparts sans vous faire voir ?

- Non, pas encore.

- Alors nous allons en trouver un, affirma-t-il en se levant.

Les jeunes femmes le suivirent sans un mot jusqu’à l’auberge où il logeait pour récupérer quelques affaires.

- Pourquoi rester à Nergecye puisque tu as tout perdu ? Tu n’es même pas d’ici ! s’interrogea Aera, perplexe.

- Je l’ai déjà expliqué. Si je pouvais partir, crois-tu que je serais encore ici à me morfondre ?

Aera n’accepta pas avec sourire sa réponse cinglante. Elle ne se voulait ni moqueuse ni intrusive, seulement curieuse, et elle avait oublié cette précision un peu plus tôt. Elle se retint de répliquer. Ce n’était pas le moment de se mettre leur seul allié à dos.


Illian s’équipa de ses deux épées longues et se couvrit les épaules d’une couverture bleu nuit, camouflant ainsi la majeur partie de son armure. Ils se faufilèrent parmi la foule, longèrent l’avenue marchande avant d’emprunter les ruelles délaissées pour rejoindre la sortie ouest. Ils se plantèrent à l’angle d’une maison et observèrent les alentours.

Deux gardes immobiles et impassibles se tenaient devant la grande ouverture. Trois autres soldats discutaient près des chevaux dans l’écurie adjacente. Il leur était impossible de franchir la porte sans se faire remarquer. Illian jura à voix basse. Un peu plus loin, un marchand transportait des sacs jusqu’à une petite épicerie et laissait sa charrette sans surveillance. L’ancien commandant sourit. Le remarquant, Eileen écarquilla les yeux.

- Vous ne pensez tout de même pas… commenta-t-elle, alors qu’il se dirigeait déjà vers l’échoppe.

- Suivez-moi et ne discutez pas.

Le groupe s’approcha de l’épicerie et vit le vieil homme en sortir. Il grimpa à l’arrière de son chariot et en descendit aussitôt, les bras chargés. Illian vérifia l’entrée et s’installa aux commandes.

- Montez à l’arrière, ne faites pas un bruit, exigea-t-il dans un murmure.

- Tu n’as pas plus discret comme sortie ? râla Aera en levant les yeux au ciel. Il y a de quoi rameuter toute la garde, surtout avec les contrôles des charrettes !

Eileen et elle devaient déjà être recherchées. Cette solution lui paraissait suicidaire. Son amie releva le tissu laiteux qui protégeait les provisions et prit place contre les sacs de nourriture sans un mot. Aera la succéda. Son cœur battait vite et fort. Elle rapprocha son visage de la toile et maintint une ouverture avec deux de ses doigts pour observer l’extérieur. Le paysage se mit à défiler. Une nouvelle vague de stress l’envahit. S’ils se faisaient prendre, qui sait quelle serait la sanction ?

Personne ne se doutait de rien, le marchand n’était toujours pas revenu. Illian maintenait une allure paisible. Soudain, le bruit des sabots s’interrompit et la charrette s’immobilisa.

- Simple contrôle, annonça un garde. Tu peux y aller Manfred.

Les mains tremblantes, Eileen se fit toute petite parmi les sacs. Même Aera, d’habitude si sûre d’elle, retint son souffle. Une main se glissa dans l’ouverture de la toile. Elles ne pouvaient plus se dissimuler. Ils se feraient tous arrêter. Ne pas reconnaître Illian relevait déjà du miracle.

Tout à coup, les lanières de cuir claquèrent contre le flanc des chevaux qui repartirent au galop. Les deux jeunes femmes se trouvèrent propulsées en arrière. Les avertissements des gardes et les protestations du marchand résonnèrent. Haletante, Aera se précipita sur la toile et la releva. Son regard s’agrandit. Les trois gardes à cheval les pourchassaient déjà et, vu leur vitesse, ils les rattraperaient en un rien de temps. Ses yeux balayèrent ensuite les sacs de provision, à la recherche d’un projectile. Elle s’apprêtait à en tirer un pour le jeter, quand elle hurla de surprise.

- Une main sort des sacs !

- Qu'est-ce qu'il se passe ? retentit une voix masculine, sonnée et endormie.

Elle n’avait rien du timbre de celle d’Illian.

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