Chapitre 7 : Partie 2/3

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Gaël fut le premier à poser pied à terre. La proue du bateau était profondément ancrée dans le sol, à peine plus d’un mètre devait en séparer la pointe du sable humide. Il mit un temps à se relever, son armure pesante et gorgée d’eau l’alourdissait d’un poids considérable.

Les matelots se dirigèrent d’un pas rapide vers la tour de surveillance, comme il l’avait ordonné. Les gardes, quant à eux, attendirent leur commandant. Un sentiment de malaise s’installa. Gaël avait peur. C’était la première fois qu’il dirigeait l’escouade sur l’Entre-Deux, son sort reposait sur ses épaules. Il ne pouvait pas faiblir, il devait faire preuve de courage. Scrutant ses hommes, il lut dans leurs yeux une once de confiance retrouvée.

- Nous devons faire un état des lieux, annonça-t-il d’une voix forte. Mettez-vous en formation !

Ses hommes s’alignèrent aussitôt sur plusieurs rangées pour constituer un carré.

- Je vous rappelle que, pour la première fois, Sa Majesté Horace Ell’Mar accepte que nous portions secours aux survivants.

Et ce n’était pas trop tôt ! Il ne comprenait pas l’intérêt d’attendre que l’extermination fût terminée pour songer à sauver des vies. C’était affligeant. Son roi était affligeant.

Gaël ouvrit la marche, suivi de près par la vingtaine de guerriers. Il jeta un coup d’œil nerveux au ciel. Un magnifique bleu avait remplacé le voile noir, comme si de rien n’était. La tourmente qu’ils avaient essuyée n’était pas anodine et ne présageait rien de bon. L’ennemi ne devait pas être loin.

Ils traversèrent la plage d’une démarche assurée. Les feuilles mortes remplacèrent le sable et craquèrent sous leurs pas. Autour d’eux, l’espace vert et agréable d’antan n’était plus que souvenir, transformé en poussière. Les magnifiques nuances azur et rose, propres à l’île, remplacées par un gris terne. Les arbres, déracinés, jonchaient le sol un peu partout. Leurs ombres, démesurément grandes et très sombres, les enveloppaient comme se refermait un piège sur sa proie.

La troupe s'enfonça dans l'île sur plusieurs centaines de mètres dans un calme absolu. Rien ne se dessinait à l'horizon. Rien, à part cette plaine désertique et son village fantôme.

- Quel est le problème, Commandant Kilenswar ? Rien ne me semble anormal ici, le coupa dans son observation le soldat Brylden.

Gaël se retourna pour lui répondre, mais n’eut le temps d’ouvrir la bouche qu’une nouvelle brume les entoura.

- Conservez votre calme et restez sur vos gardes, ordonna-t-il. Nous sommes tombés dans un piège...

Il avait prononcé cette seconde phrase dans un murmure presque inaudible. Pour lui-même. Il venait d’en prendre conscience. Gaël déglutit difficilement et chassa le frisson qui remontait sa colonne vertébrale. La brume s’opacifia, mais s’il utilisait son don, il serait tout de suite repéré, et ferait de lui et ses hommes une cible facile. Aucun bruit, aucun mouvement notable. Après de longues secondes, il se détendit et fit quelques pas.

Soudain, le voile se noircit. Ils étaient finis ! Gaël ne pouvait même plus voir ses propres pieds. Il jura en renforçant davantage la pression sur son arme. En dépit de l’épais brouillard, le commandant crut voir des silhouettes courir. Etait-ce dû à la fatigue du voyage ou bien au stress causé par ce paysage horrifique ? Il espérait que sa vision lui jouât des tours. Dans le doute, il tira l’épée de son fourreau.

Un cri perça l’air.

Une vague d’affolement gagna la troupe. Des soldats reculèrent, peu sereins, rompant la formation. La brume s’épaissit encore et étouffa l’atmosphère.

Un second cri, plus proche.

Le front perlé de sueur, Gaël se mordit la lèvre. La situation ne pouvait plus durer. Il lui fallait agir. Il sentait des présences roder et se mêler à ses hommes. Peut-être même que certains étaient déjà tombés.

Le commandant généra une bourrasque qui emporta l'épaisse fumée sur plusieurs mètres. L’escouade était désorganisée, mais se tenait prête pour l'affrontement. La brume se referma sur eux.

Un troisième cri retentit, cette fois juste derrière lui.

Il n’entendait que les armures qui tintaient. Les armes qui s’entrechoquaient. Le bruit des épées qui tranchaient. Le son semblait venir de partout et de nulle part à la fois.

Puis le voile s’estompa.

Gaël échappa de peu à un coup mortel porté par une forme volubile. Une égratignure se dessina sur sa joue.

- Qu'est-ce... murmura-t-il avant de rouler au sol.

Face à lui, une silhouette dotée d'une puissance et d'une agilité incroyables maniait une lame courte.

Un nasombre. Le peuple vassal des irnaths.

Aussi discrètes et silencieuses qu’une ombre, aussi rapides que la mort, ces créatures étaient redoutables. Il les avait déjà rencontrées auparavant, mais n’avait jamais eu à se battre contre elles.

L’ombre matérialisée le cribla de coups à une vitesse effarante et si son armure le protégeait avec efficacité, elle ne l’avantageait pas dans un tel affrontement. Les mouvements de l’ennemi étaient à peine perceptibles, le commandant n’avait d’autre choix que reculer à l’aveugle pour les éviter. Ses pieds butèrent contre un obstacle, il retrouva l’équilibre in-extremis. Son esprit se projeta aussitôt dans l’air et il provoqua un puissant vent. Le nasombre fut propulsé en arrière comme une vulgaire feuille. C’était l’occasion ! Gaël bondit et asséna un violent coup vertical qui transperça distinctement l'épaule droite de la créature. Le nasombre porta sa main à sa blessure et marqua une pause dans sa danse mortelle. Trop lent. Gaël l'avait déjà achevé.

Il étudia le champ de bataille. La brume avait complètement disparu. Des hommes se trouvaient déjà à terre, inertes. Horrifié, il regarda le liquide carmin se répandre sur le sol poussiéreux.

Le dragon noir fit une prompte apparition au-dessus de leurs têtes. À la stupéfaction générale, il ne crachait pas ses flammes dévastatrices et se contentait de survoler la zone.

Mélangés aux nasombres, des irnaths faisaient preuve d'une violence terrible. Semblables à des hommes, ils s’en distinguaient par leur peau grise, plus ou moins claire selon les individus. Leurs mouvements étaient si rapides que les soldats peinaient à suivre. La bouche grande ouverte, Gaël restait immobile, comme si tout se passait au ralenti devant ses yeux. Comme s’il était intouchable au milieu de cette cruauté sans nom. Il prit une grande inspiration. Ce n’était pas le moment de fléchir. Il tira sur les sangles qui retenaient son plastron d’une main hésitante, presque tremblante. Les pièces métalliques résonnèrent en tombant au sol. À présent libéré de ce fardeau et maître de ses mouvements, il retrouva ses esprits et se lança à corps perdu dans la mêlée.

L’adrénaline décupla sa force. Le commandant enchaîna les coups sans se soucier du sang qui l'éclaboussait. Seules ses cibles comptaient. Elancée dans un ballet funeste, sa lame n’épargna aucun nasombre. Mais plus il en tuait, plus il avait la désagréable impression que leur nombre augmentait.

Les tintements métalliques et les voix enragées ou désespérées de ses hommes ne constituaient plus qu’un bruit de fond tout juste audible. Soudain, une gigantesque ombre le recouvrit. Il se retourna. Ses yeux s’agrandirent.

- Cela ne peut pas...

Il se déroba à droite, échappant in-extremis à l’immense masse du monstre.

- Par tous les dons, les elgroghs existent ! hurla un soldat qui passa devant Gaël, avant de se faire piétiner par l’énorme créature.

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