Chapitre 6 : Partie 2/3

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Eileen fit des efforts pour contrôler sa respiration. Elle savait qu’elle n’avait d’autre choix que de s’adapter à cette nouvelle situation afin d'avoir toutes les clés en main le moment venu. Mais pour ça, il faudrait qu'elle puisse saisir une chance de partir chercher ce fichu miroir noir ! Combien de temps cela lui prendrait-il si elle restait enfermée dans cette école pendant cinq longues années ? À bout, elle craqua :

- Je me fiche de l’école. Je suis les cours parce que je n’ai pas le choix. Tout ce que j’attends, depuis que je suis ici, c’est de rentrer chez moi. Oui, c’est ça. C’est ce que vous appelez Oridim. J’ai besoin du miroir ! Ce n’est pas juste une légende ! Ecoute, je me suis renseignée à son propos, je sais qu’il existe, je sais même où il se trouve, mais je ne peux pas l’atteindre seule. Même si tu ne me crois pas, je…

Elle ne termina pas sa phrase, confuse. Sa voix se voulait calme et posée pour ne pas alerter les alentours bondés, mais des trémolos trahirent sa colère. Ses pensées se bousculèrent. A quoi bon s’acharner à expliquer quelque chose que personne ne comprenait ? Avait-elle vraiment envie qu’on la reprît pour folle, alors qu’on la pensait enfin rétablie ? Gaël resta silencieux un moment. Il ne la croyait pas, de toute évidence. Elle soupira. C’était peine perdue, se confier n’était pas une bonne idée.

- Dans ce cas je t’aiderai, déclara-t-il. Mais tu dois encore attendre un peu.

- Je sais bien que… commença-t-elle à dire d’un ton défaitiste.

Elle percuta.

- Attends… quoi ? Tu me crois ? Et tu veux m’aider ?

- Tu ne veux pas de mon aide ?

- Non, ce n’est pas ça. Jusqu’à maintenant on me prenait pour une folle quand je parlais d’Oridim et de ce miroir. J’ai même été suivie pendant deux mois pour me faire dire que j’avais perdu la mémoire. Et là…

- Je sais, Eileen. Et j’ai fait partie de ces gens qui…

Il chercha ses mots.

- Je ne t’ai pas crue non plus au début.

- Qu’est-ce qui a changé alors ?

- Je te crois, tout simplement.

Eileen lui jeta un coup d’œil, étonnée. Il regardait droit devant lui, le visage impassible. Changer d’avis du jour au lendemain, cela lui paraissait peu probable : il devait forcément lui cacher quelque chose.

- Comme tout le monde, j’étais persuadé que ce miroir n’était qu’une légende, murmura-t-il. Peut-être bien que j’ai toujours voulu le croire, en réalité. Je ne suis plus sûr. Eileen, mon emploi du temps est très chargé ces prochains jours, mais quand il le sera moins, j’aimerais qu’on se voie pour en discuter. Je pense détenir des informations qui pourraient t’intéresser.

- Quelles informations ?

- Pas maintenant.

Il balaya nerveusement la foule des yeux pendant qu’il parlait. La jeune femme se retint d’insister malgré la frustration qui montait en elle. Rien n’était pire que d’être à portée de main d’une information capitale sans pouvoir l’atteindre.

- Je t’aiderai, lui promit-t-il.

Ils pénétrèrent la cour de l’école de l’eau avant de traverser le bâtiment, jusqu'à atteindre la porte de son ancienne chambre. Eileen tira la clé de sa poche et la fit pivoter dans la serrure. À sa grande surprise, les affaires d’Aera n’y figuraient plus. Gaël répondit à sa question silencieuse :

- Aera a intégré la formation militaire. Le transfert a eu lieu hier soir.

- Quand est-ce que je pourrai la revoir ?

- J’ai peur qu’il ne faille attendre un moment. Les trois prochains mois vont être infernaux pour elle. Ses heures de pause quotidiennes se compteront sur moins de doigts que ne possède une main.

Eileen grimaça. Elle n’avait pas eu l’occasion de lui dire au revoir ou même de lui souhaiter un « bon courage » avant son départ. L’idée de ne pas pouvoir le faire la contrariait.

- Il doit bien y avoir un moyen pour entrer en contact…

- Ils s’entraînent dur, Eileen. Très dur. Ta seule chance de les apercevoir sera au camp d’entrainement de Nergecye Nord. Mais même là, je doute que tu puisses lui parler.

Elle récupéra ses affaires après les avoir entassées sur son lit, puis les glissa dans son sac en toile. Il était temps de partir.


De retour dans l’aile ouest du château, Gaël l’aida à aménager sa nouvelle chambre – ou plutôt son appartement tant la superficie de la pièce était importante.

Elle allait loger dans un château !

- Je pense que tu n’as plus besoin de mon aide, maintenant. Je te laisse t’installer. On se croisera dans les couloirs.

Elle le remercia et le suivit du regard jusqu’à ce qu’il disparût de son champ de vision. A présent seule, un sentiment de vide s’empara d’elle. Elle n’eut le temps de se remettre de ses émotions, qu’un homme surgit dans l’embrasure de la porte. Il était grand, svelte et ses longs cheveux blancs tressés tombaient sur sa tunique brodée, la tenue habituelle des mestres. Avec son allure autoritaire mais bienveillante, il lui inspirait naturellement confiance.

- Eileen Harleyn, bienvenue à l’école spécialisée. Je suis Mestre Keön, ton mestre attitré pour les dix prochaines saisons.

Sa voix était douce et ferme à la fois.

- Peux-tu me suivre dans mon bureau ? Je dois en savoir plus sur toi pour établir ton programme.

Elle le suivit sans un mot. Bien qu’ils fussent au château, la décoration de cette aile n’avait rien à voir avec ce qu’elle connaissait : elle était humble. Quelques cadres qui représentaient des paysages ou des portraits ornaient les murs dépourvus de couleurs, et de gracieuses arabesques gravaient les piliers apparents. Aucune dorure, broderie ou autre fioriture.

Ils entrèrent dans un bureau et s’assirent à une petite table. Des livres et manuscrits grouillaient tout autour, à la surprise d’Eileen : n’étaient-ils pas tous regroupés dans la bibliothèque ? Elle revit un instant le feuillet qu’elle y avait découvert. Se pouvait-il qu’il vint d’ici ? Discrètement, ses yeux se mirent en quête d’une machine à écrire, tâche compliquée vu le désordre qui l’entourait. La voix du mestre la rappela à l’ordre.

- Bien, nous pouvons commencer. Tout d’abord, on m’a parlé de la mutation de ton don. Tu as su extraire des lances de glaces de tes mains, c’est bien ça ?

Elle hocha la tête.

- Est-ce que tu sais comment tu as fait ?

- Pas du tout.

- J’ai mené quelques recherches, mais les informations sur un don de glace sont bien maigres. Le dernier cas remonte à plus de trois cent cycles et je n’ai retrouvé que peu de traces.

Eileen fit le calcul dans sa tête.

- Ça ne fait que cinquante ans, la personne n’a jamais pu témoigner ?

- Hélas non, elle est décédée jeune et n’a jamais fait l’objet d’interrogations poussées.

Mestre Keön lui posa des questions durant une bonne heure, tantôt personnelles, à propos de ses objectifs et de ses ressentis, tantôt techniques, plus précises sur l’utilisation de son don. Elle raconta sa rencontre avec le trausöl en fournissant un maximum de détails. Bien sûr, elle n’évoqua pas Oridim ni son véritable but. Il avait tiré une plume et un encrier d’un tiroir, et en même temps qu’elle parlait, avait gratté un papier jauni. Après cette entrevue, il lui suggéra de passer à un exercice pratique pour juger par lui-même ses capacités. Ils quittèrent aussitôt le château et gagnèrent un bois, toujours dans l’enceinte de la ville.

La configuration lui rappelait son premier lieu d'entraînement avec Gaël. Son mestre s'arrêta devant une large pierre couverte de mousse verte, les bras croisés sur son torse. Il lui demanda d’utiliser l’eau de la rivière qui se faufilait entre les troncs d’arbres, de créer des jets de formes et puissances variées, ce qu’elle fit sans broncher. L’exercice n’était pas difficile, elle commençait à avoir l’habitude. Eileen manipulait l’élément avec soin sans montrer une seule once de fatigue.

- Parfait. J’aimerais voir ce dont tu es capable avec une arme, maintenant.

Joignant les gestes à la parole, il ramassa au sol deux longues branches et lui en lança une, qu’elle rattrapa à la volée. Tous deux se mirent en position de combat.

Eileen fut la première à bondir, désireuse de montrer de quoi elle était capable. Elle fendit l’air sur sa droite à toute vitesse, mais son bâton fut stoppé avant d’atteindre sa cible. Etonnée, elle s’immobilisa, puis repoussa l’obstacle et le cribla de coups. Mestre Keön parait avec une aisance folle. Depuis le début, il n’avait pas bougé d’un iota. Un adversaire qui ne se déplaçait pas était une cible facile, elle avait bien retenu la leçon. Tout en tournoyant, elle saisit une occasion. Elle frappa sur son flanc gauche, il recula sous l’impact. Il se ressaisit aussitôt et attaqua à son tour. Elle exécuta une roulade pour esquiver une offensive et se releva sans perdre l’équilibre. Elle bondit, confiante.

Son mestre se décala à peine et regarda l’arme lui effleurer le bras. Eileen ouvrit grand les yeux. Elle l’avait manqué ! Impossible !

- Non ! Tu as sacrifié un bon équilibre contre un coup irréfléchi !

Mestre Keön reprit sa position initiale et heurta son abdomen sans lui laisser la moindre chance d’esquiver ou de parer. Sous le choc, elle se courba et hoqueta.

- Eileen, tu n’observes pas assez ton adversaire.

Essoufflée, elle prit appui sur ses genoux et leva la tête pour soutenir son regard.

- Et tes attaques sont trop prévisibles. Tu ne fais pas qu’un avec l’arme. L’arme doit être l’extension de ton bras, pas un vulgaire objet.

Il marqua une pause pour la laisser souffler, puis reprit ses directives. Le moment qu'Eileen redoutait arriva plus vite qu'elle ne l'avait imaginé.

- Je vais me montrer un peu insistant. Tu ne te souviens toujours pas comment tu as créé les lances de glace ?

Eileen cligna plusieurs fois des yeux, agacée. Elle avait déjà répondu à cette question.

- Je ne sais pas... J'avais peur de mourir et tout s'est passé très vite, j'ai à peine eu le temps de m'en rendre compte.

- Il va falloir que tu sois capable de refaire la même chose sans être menacée de mort, réfléchit-il. Je veux que tu essaies.

Eileen déglutit avec difficulté et, devant l'attente de son mestre, s’attela à la tâche. Les yeux rivés sur ses paumes, elle se concentra sur son don. La douleur vive tant redoutée au creux de ses mains ne tarda pas à surgir. Focalisée dessus, seules ses paumes restaient nettes dans son champ de vision. Elle visualisait l’eau, l’imaginait se glacer et s’extraire de son propre corps.

Seules quelques gouttes roulèrent le long de ses bras.

- Recommence.

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