Chapitre 3 : Partie 5/6

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Les gardes regagnèrent les ailes respectives, tandis que d'autres s'engouffraient dans les issues qui encadraient le trône. Le capitaine et Eileen exécutèrent une révérence puis se dirigèrent vers la sortie principale. Elle se tourna une dernière fois avant de passer la porte, regardant le commandant, seul dans cette immense salle. Il faudrait qu’elle le remercie la prochaine fois qu’ils se verraient.

Pour la première fois depuis le jour de son arrivée au royaume, elle sentit les rayons du soleil sur son visage et la brise lui caresser les joues. De l’air frais, enfin !

- Tu vois, tu as un don toi aussi, remarqua Gaël.

Son sourire naissant s’évanouit sur-le-champ. Ses dents se serrèrent au point de grincer. Elle éclata :

- C'est impossible ! Juste impossible, je ne viens même pas d'ici ! Je ne vais pas aller dans une école pour apprendre un don, c’est absurde !

- Bien sûr que non, c'est une preuve que tu es des nôtres, pourquoi tu te plains ?

Eileen s’empressa de remonter la grande rue qui s’offrait à elle, pressée de quitter cet endroit.

- Calme-toi, tu ne sais même pas où tu vas ! haussa-t-il la voix.

Elle pouvait enfin respirer, ce n’était certainement pas pour se faire balader encore. Le capitaine de la garde royale la talonnait. Eileen voulait s’évader, courir le plus loin possible et retourner chez elle… retrouver sa vie d’avant. Elle n’avait pas même envie de profiter du décor féodal qui l’entourait, qui lui rappelait sans cesse que ce monde n’était pas le sien.

Elle s’arrêta au hasard devant une taverne, y entra d’un pas décidé et s'écroula contre le dossier d'une chaise avant de se prendre la tête dans ses mains. Elle était fatiguée de tout ça, n’arrivait même plus à réfléchir. Gaël lui porta un verre après un rapide passage au comptoir. Eileen engloutit sa boisson chaude. Elle n'en connaissait pas la composition mais le goût à la fois sucré et acidulé qu'elle avait en bouche ne lui déplaisait pas. Elle soupira et essaya de se calmer. De clarifier ses idées.

- Ça n’a aucun sens. En quoi posséder un don justifie mon appartenance au royaume ? Je croyais qu’il existait des « sans don ». Si je n’avais pas eu de don, on m’aurait jetée aux cachots ? Et ce test, c’est n’importe quoi. Comme si je pouvais contrôler l’eau ! C’est vraiment absurde !

- Tu n’arrêteras donc jamais de geindre ? Si on ne t’avait pas décelé le don, on aurait trouvé une solution. Mais tu en possèdes un, donc la question ne se pose pas. Et si Illian a proposé de te faire passer le test, c’est parce qu’il était convaincu que tu en maîtrisais un.

- Et pourq…

- La cérémonie, la coupa-t-il. Cet orage n’avait rien de naturel. Tout nous porte à croire que ton don s’est manifesté sous le coup de l’émotion.

- Quoi ?

Eileen le fixa, à la fois ahurie et effrayée. Comment pouvait-elle avoir contrôlé un élément sans s’en être rendu compte ? C’était plus qu’insensé. A ce rythme, il lui apprendrait bientôt qu’elle était en réalité une elfe et que ses oreilles ne tarderaient pas à devenir pointues. Elle souffla pour reprendre le contrôle de son cœur qui battait la chamade.

- Combien de temps est-ce que je suis restée dans l’aile Est ?

- Une semaine.

- Ecoutez Gaël, je ne viens pas d'ici. Je ne comprends rien, là. Vraiment. Il y a quinze jours à peine, j'étais entourée de mes amis, on tournait des films le soir après les cours... dans un monde où il n'y a ni don ni dragon !

- Un monde sans don ? s’étonna-t-il, comme incapable de le concevoir.

Il ne la croyait pas, encore une fois. Elle avait beau essayer de faire comprendre qu’elle ne venait pas d’ici, personne ne l’écoutait. Au mieux, elle pouvait faire croire à un déboussolage sévère suite à une perte de mémoire. Au pire, on la prendrait pour folle. C’était tellement frustrant ! Eileen ne pourrait compter sur personne. Comment pourrait-elle retourner dans sa petite campagne ?

Le test lui revint soudain à l’esprit et un frisson lui parcourut l’échine.

- Cette machine… reprit-elle d’une voix désincarnée. C’est quoi cette machine que vous utilisez pour le test ?

- Oh, ça, réagit Gaël après une lampée de sa boisson. Je reconnais que c’est impressionnant la première fois qu’on la voit. Ce sont, dit-on, les premiers hommes du royaume qui l’ont mise au point. Elle renferme un mécanisme complexe, muni de centaines de capteurs qui permettent de déceler le don dans les organismes qu’elle analyse.

- Mais comment est-elle alimentée ?

Eileen n’envisageait pas son fonctionnement sans électricité.

- Les personnes responsables de son alimentation sont celles qui maîtrisent la foudre. On en compte une poignée seulement. Elles insufflent leur don dans des composants et la machine fonctionne sans même réquisitionner leur présence.

- C’est effrayant, murmura-t-elle. Pourquoi est-ce que vous n’utilisez pas d’appareils de ce type dans votre quotidien ?

Après tout, la technologie était sa vie de tous les jours. Et pour ce qu’elle avait vu de ce monde, elle n’y avait pas sa place. Pourquoi n’en bénéficieraient-ils pas alors qu’ils disposaient d’une telle machine ? Le Commandant Kilenswar finit son verre d’une traite avant de répondre d’un ton évident :

- Ce serait bien trop dangereux ! As-tu conscience de la puissance de ce dispositif ? Ce serait ingérable si n’importe qui pouvait s’en servir.

Eileen retint un sourire amusé. La technologie l’effrayait autant qu’elle l’avait été en imaginant les hommes contrôler la nature dans son monde. Elle haussa les épaules et quitta la table.

Une fois dehors, elle prit enfin le temps de regarder ce qui l'entourait. Une rangée de maisons en pierre se dressait devant elle. Des villageois nettoyaient leurs façades couvertes de lierre, perchés sur des échelles en bois, ou prenaient soin de leur jardin. Les fleurs multicolores abondaient, tantôt au sol tantôt grimpantes, et constituaient un cadre magnifique.

Quand elle vivait encore chez sa grand-mère, elle aimait passer du temps sur la terrasse. Eileen l’avait habillée de quelques pots de géraniums choisis avec soin chez le fleuriste. Elle trouvait qu’ils la rendaient plus lumineuse, agréable et chaleureuse. Elle s’y sentait bien et n’hésitait pas à revendiquer son « côté nature » depuis cette décision… mais c’était tellement fade en comparaison avec ce tableau ! Les trois fleurs qui faisaient sa fierté étaient bien ridicules.

Les plantes longeaient les murs, venaient terminer leur course au sol et se faufilaient même entre les pavés. Des charrettes tirées par des chevaux occupaient les routes, pourtant il n’y avait aucun excrément en vue. Les rues étaient propres, si l’on oubliait la végétation un peu envahissante. Eileen était habituée à ce que cela fût un critère essentiel : dans sa commune voisine, les agents de la mairie s’assuraient de goudronner chaque bourgeon qui osait pousser sur les routes. Ils aimaient à revendiquer sa netteté en clamant « Il faut que les rues soient propres. On n’est pas à la campagne ici, on goudronne, c’est comme ça qu’on reconnaît une ville belle et propre »... De nombreux arbres s’élevaient entre chaque habitation. Les maisons, parfois en bois, mais le plus souvent en pierre, n’étaient pas très hautes et se contentaient d’un étage. Des étals de marchands prenaient place contre les façades, profitant des frondaisons pour échapper aux rayons du soleil, et s’étendaient sur plusieurs mètres, laissant toutefois libre l’accès aux portes. Contrairement à l’Entre-Deux, la végétation ici était tout à fait ordinaire.

Eileen s’approcha des tables couvertes de ressources en tous genres.

- Mademoiselle ! l’interpella aussitôt le marchand aux joues rondes.

Il attrapa de sa grosse main un tissu aussi fin que la soie et le lui ficha sous le nez.

- Je suis prêt à vous en faire cadeau si vous trouvez votre bonheur ici !

Elle déclina d’un sourire et d’un bref geste de la main, puis s’empressa de regarder un autre étal. Cette fois-ci, des jouets en bois s’entassaient. Un petit dragon endormi, en boule et la tête posée sur ses pattes avant, suscita son intérêt. Elle le porta à hauteur des yeux pour l’examiner. La sculpture était soignée, les détails travaillés.

- C’était mon préféré quand j’étais enfant, lui apprit Gaël.

Il vint se placer à côté et prit à son tour un jouet au creux de sa main, un sourire nostalgique affiché sur les lèvres.

- Vos parents vous en achetaient ?

- Non, enfin… Mon père a longtemps refusé en prétextant que c’était futile. J’ai tellement insisté qu’il a fini par craquer. Je ne sais pas pourquoi, il me plaît beaucoup celui-là.

Il le reposa parmi les autres et détourna son attention.

- J’aimerais que nous ne tardions pas, j’ai à faire.

Eileen hocha la tête et le suivit sans un mot. Le regard baladeur, elle fixa un instant le sol et s’arrêta en apercevant une pièce qu’elle s’apprêtait à recouvrir de son pied. Elle la ramassa et l’examina de plus près. Parfaitement lisse, elle n’était pas tout à fait ronde, plutôt octogonale avec les coins arrondis, mais perforée en son centre.

- Tu viens de trouver dix cïnth de florhïnt, lui annonça Gaël.

- Ça vaut beaucoup ?

- Rien du tout, ricana-t-il. Le trou est minuscule.

Il montra du doigt un habitant qui procédait à un achat, sa bourse à la main.

- La pièce qu’il lui tend là vaut deux florhïnt. Elle est plus large, plus épaisse, et le trou beaucoup plus grand. Plus une pièce a de la valeur, plus il est grand. Pour te dire, sans l’inscription sur le contour pour les reconnaître, on pourrait prendre les pièces de cinquante florïnth pour de simples anneaux.

- Cette monnaie est propre au royaume ? demanda-t-elle en rangeant sa trouvaille.

- Elle est commune aux Terres de Lumière, mais tu dois savoir que certains royaumes développent leur propre monnaie parfois.

Elle acquiesça et changea aussitôt de sujet. Un panneau avec un drôle de symbole, un arbre stylisé avec un étrange serpent à côté, trônait fièrement près d’une maison.

- On est dans Nergecye Ouest là ?

- Non, on vient d’entrer dans le secteur sud. C’est là que j’habite.

C’était donc ça le serpent, un simple « S ».

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