Chapitre 3 : Partie 6/6

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- Et où se trouve cette école que je vais intégrer ?

- Dans le secteur ouest. En fait, c’est simple, la capitale est découpée en cinq secteurs : le cœur au centre, où se trouvent le château, les établissements militaires et la bibliothèque. Quatre quartiers sont disposés autour, chacun affilié à l'un des quatre dons que nous maîtrisons. Nergecye Nord est rattaché au don du feu, l’est à l’air, le sud à la terre et l’ouest à l’eau.

Eileen dessina une carte mentale pour essayer de se situer, bien que ces indications fussent plutôt vagues.

- Mais vous maîtrisez l’air, non ? Alors pourquoi êtes-vous dans le secteur du don de la terre ?

- Ces attributions sont symboliques, précisa-t-il. Peu importe le don que tu possèdes, tu es libre d’aller vivre où tu veux. Simplement, les bâtiments dédiés à un don en particulier sont situés dans le secteur associé. C’est par exemple le cas avec les écoles de don.

- D’accord, je vois.

- On va s’arrêter chez moi pour manger un peu, poursuivit-il. Ensuite je partirai m’entraîner.

- Dois-je venir ? lui demanda-t-elle du tac-au-tac.

- Tu as entendu le roi ? Je dois te surveiller dès lors que tu n’es pas à l’école. Je crains que tu ne sois obligée de me suivre partout où je vais.

Gaël s'arrêta devant une maison en bois et sortit une énorme clé rouillée. La porte, très large et qui donnait l'impression d'être vieille ainsi que lourde, s'ouvrit sans grincer. Il la referma derrière eux et lui proposa de manger un peu, ce qu'elle s'empressa d'accepter. Pendant qu'elle s'étalait de tout son long sur un duvet, le jeune homme ouvrit une caisse en bois, de laquelle se dégagea une fumée givrée. Il en extirpa une grande feuille d’un vert éclatant et déballa deux tranches de gibier cuites, puis coupa un morceau de pain rond. Le salon n'était pas très grand, peu décoré, et le parquet craquait sous leurs pieds, mais une ambiance chaleureuse s'en dégageait. C'était tout à fait l'habitation qu'elle aurait imaginé pour un être sylvain dans un conte pour enfant. Gaël lui apporta son sandwich à la viande plutôt rudimentaire pendant qu’il engloutissait sa part. Sans perdre une minute, il sortit d’un tiroir une chemise blanche ainsi qu’un pantalon marron accompagné d’une ceinture de cuir.

- Quand tu auras fini, je te conseille de changer de vêtements, dit-il en les lui tendant. Ta tenue n’est pas vraiment appropriée pour l’endroit où nous nous rendons.

Eileen acquiesça, avala son repas aussi vite que possible, la viande et le pain sec ne l’aidant pas, puis s’exécuta. Quand elle fut changée, elle rejoignit Gaël qui l'attendait dans la cour arrière.

- En passant par ici, nous sommes à cinq minutes d'un bois. J’en ai pour une heure. Tu n’auras qu’à te reposer, les derniers jours ont dû être difficiles pour toi.

Elle le suivit sans rien dire et profita du calme qu’offrait cet endroit reculé. Les arbres s'élançaient vers le ciel et les feuilles se balançaient à la cadence de la brise.

Arrivés à l’orée de la forêt, le sol en pente les guida jusqu’à un vallon, donnant l’impression que la ville se situait à des kilomètres de là. Gaël fit craquer les os de ses doigts et s’étira pour s’échauffer. Eileen s’installa contre un large tronc, observatrice. Elle eut une idée.

- Moi aussi je veux me battre.

Elle avait déjà suivi des cours d’escrime pour certains rôles qu’elle avait endossés. Bien qu’elle ne fût pas une épéiste expérimentée, elle était confiante sur ses bases.

- Ne me dérange pas, s’il-te-plaît.

Elle se renfrogna. Quel intérêt de l’accompagner si elle devait juste attendre à côté ? D’un coup, une lueur éclaira son regard amusé. Elle se releva, agrippa au passage un morceau de bois et se rua sur le capitaine. Exécutant un tour sur elle-même, elle bondit et… Gaël la stoppa net par le bras. Il se tenait à moins d’un demi-mètre d’elle, sa main robuste bloquait son poignet et son arme avec. Il la foudroyait du regard.

- Je peux savoir ce que tu fais ?

- Je peux me servir d’une arme, pardon mais je ne vais pas compter les feuilles des arbres en attendant que vous ayez fini !

Encore une fois, elle avait parlé trop vite. Elle savait qu’elle devait rester docile, faire ce qu’on lui demandait, mais c’était plus fort qu’elle. Une bouffée de chaleur l’envahit. Elle regrettait son geste. Même s’il l’avait aidée, il était capitaine et beaucoup plus important que sa petite personne. Et ça, elle avait tendance à l’oublier. Il arqua un sourcil.

- C’est un duel ?

Eileen releva le menton, étonnée. Elle ne s’attendait clairement pas à ça. Une réprimande, tout au mieux. Aussitôt, Gaël s’arma d’un pauvre bâton à son tour et lui fit face. Il donna un premier coup, qu’elle para de justesse, puis il se glissa au sol, frappa l’arrière de ses genoux et se retrouva en moins de deux secondes au-dessus d’elle, le bois maintenu contre sa gorge.

- Satisfaite ?

Eileen écarquilla les yeux et recula sur les coudes. Elle n’avait rien vu venir. Sa respiration s'accéléra et elle ressentit tout à coup une soif d'apprendre à se battre.

- Ouah, je veux savoir faire ça moi aussi !

Gaël lui tendit une main pour l’aider à se relever. Il lui montra des positions de défense et d’attaque, et lui proposa de s’essayer à la pratique. Cette fois-ci, il s’adapta à son niveau. Sa démarche était fluide et ses cheveux virevoltaient au rythme de ses mouvements, mais il ne porta aucun coup. Soudain, en rompant, Eileen buta contre une racine apparente. Le temps d'une seconde, elle se rappela des étranges secousses ressenties lors de son tournage vidéo et son sang ne fit qu’un tour. Gaël la rattrapa de peu.

- Qu’est-ce qui m’a fait… ? se questionna-t-elle à voix haute en vacillant.

- Une racine, pourtant on ne peut pas la rater celle-là !

Après l'avoir convaincue de reprendre son bâton, il lui réexpliqua les postures à adopter. Elle avait beau avoir pratiqué l’escrime, ce qu’il lui enseignait différait tout à fait de ce qu’elle avait appris. Puis ils firent une pause.

- Tu auras des cours de maniement de l’épée une fois à l’école, la consola-t-il après sa piètre performance. De même pour ton don, il n’aura bientôt plus de secret.

- Vraiment, je ne crois pas être capable de maitriser quoi que ce soit.

- Le test ne se trompe jamais.

Eileen se tut, ne sachant quoi répondre. C’était n’importe quoi. Il fallait absolument qu’elle trouve un moyen de regagner son monde. La piste évoquée quelques jours plus tôt par la guérisseuse lui revint à l’esprit.

- Merielle m’a parlé d’un miroir noir… d’une légende, reprit-elle. Tu saurais m’en dire plus ?

- On raconte que des hommes ont réussi à rentrer dans le royaume avec un miroir noir. C’est de ça que tu veux parler ?

- Oui, je crois, balbutia-t-elle.

- On raconte aussi qu’ils ont fondé Nergecye. D’après la légende, ces hommes venaient d’un autre monde, un monde qu’ils nommaient Oridim et, toujours d’après ce mythe, le pays est né de leur union avec les peuples qui vivaient sur cette portion de terre. A savoir, les élémentalistes et même...

La voix de Gaël s’affaiblit progressivement et alors qu’il poursuivait son récit, il tira sur le cordon qui pendait à son cou pour jouer avec. Une pierre d’un éclat vert émeraude y était accrochée et rebondit dans le creux de sa main. Elle était irrégulière et anguleuse, et des fils argentés dessinaient des arabesques, allant d’un angle à un autre. Plus Eileen fixait la pierre, plus elle captivait son attention. C’était comme si un harpon s’était fiché dans ses prunelles pour empêcher ses yeux de s’en détourner.

- Il n’existe aucun écrit qui prouverait cette histoire et personne n’a vécu assez longtemps pour se souvenir de quoi que ce soit. Les partisans de la légende pensent que c’est depuis cet événement que nous sommes en guerre contre les Irnaths. Et il y en a eu des guerres depuis, de nombreux livres les retracent.

Gaël marqua un temps de pause. Il coinça la pierre entre son pouce et son index et y jeta un bref regard avant de la dissimuler à nouveau sous sa chemise. Eileen eut un soubresaut, comme si elle venait de perdre son repère, puis cilla frénétiquement. Elle sentit qu’elle reprenait conscience de ce qui l’entourait. Elle avait écouté son discours d’une oreille et elle assimilait toutes les informations d’un coup. Le capitaine leva la tête, gratta sa barbe naissante, pensif, puis plongea son regard dans le sien.

- Qu’on y croit ou non, on dit que le miroir a été brisé et réparti dans Eïenvallar, tant sur les Terres de Lumière que sur les Terres Rouges.

- Personne n’a jamais essayé de mettre la main dessus ?

- Pour faire quoi ? Enfin… si, il est arrivé que quelques-uns aient essayé de le retrouver, sans jamais y parvenir. Ce qui lui donne d’ailleurs le statut de légende ! Et admettons qu’il soit réel, ce miroir nous aurait menés à une guerre. Il faudrait être fou pour le reconstituer.

- Je ne sais pas...

- Ce n’est qu’un mythe, renchérit Gaël d’un ton plus ferme.

Le capitaine sembla soudain fermé à tout dialogue, l’air préoccupé. Il se redressa et prit un peu de temps pour s’entraîner comme il l’avait prévu. Cette fois, Eileen se contenta de l’observer.


Gaël lui prêta son lit pour la nuit et dormit sur le duvet du salon. Eileen était submergée par un cocktail d’émotions désordonnées, partagée entre la curiosité, l'excitation de découvrir sa nouvelle vie qu’elle devait accepter malgré tout, l’appréhension, ou encore la solitude...

Une fois réveillée et lavée, Eileen enfila sa robe bleue, la seule qu'elle possédait dans sa penderie. Elle emprunta un sac bandoulière, y glissa des affaires pour prendre des notes, à savoir un carnet, une plume et un encrier ; elle se serait bien passé de ces fournitures d’un autre temps si elle avait pu trouver un stylo. Elle attrapa une pomme dans le panier posé au centre de la table avant de partir, accompagnée de Gaël. Ils marchèrent un peu moins d’une heure avant de se retrouver devant l’école.

Un portail gigantesque sculpté d'arabesques bleu marine se finissant par d’élégantes courbures argentées se dressait devant elle. Une enseigne trônait sur l’arcade qui s’élevait au-dessus. Il s'agissait d'une immense plaque d'argent sur laquelle se lisait l’inscription « Eiji Univert », sans doute dans un langage plus ancien. Au-delà, on pouvait voir de grands jardins qui accueillaient une dizaine de bassins, chacun muni d’une plaque cuivrée. Enfin, la façade était démesurément grande elle aussi, peinte de la même couleur et sculptée des mêmes motifs. Elle s'élevait à plus d'une vingtaine de mètres et les derniers étages possédaient des balcons, laissant penser qu'il s'agissait de l'endroit où vivaient les pensionnaires. Eileen se sentait minuscule et envahie d'un sentiment d'admiration.

- Tu peux fermer la bouche, la taquina Gaël en tapotant son menton.

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