Chapitre 3 : Partie 4/6

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La spécialiste lui intima de s’asseoir d’un geste de la tête. Eileen s’avança, le souffle court, et posa sa main sur le lit. Elle hoqueta à son contact et ramena son poignet contre sa poitrine. Il était gelé ! Elle s’assit en contrôlant ses frissons et enfila à contrecœur le casque que la femme lui tendit. Des centaines de câbles le reliaient à la machine qui ronronnait déjà. De moins en moins rassurée, elle s’allongea et remua ses épaules pour essayer de rendre sa position plus confortable. Le lit – pouvait-on vraiment appeler ça un lit ? – était affreusement rigide. La spécialiste attacha deux sangles, l’une autour de sa taille et l’autre autour de ses épaules, puis déploya une toiture métallique, restée au sol jusque-là.

Enfermée dans ce tube, Eileen sentit soudain une vague de panique l’envahir. Elle ne voyait plus rien de l’extérieur. La machine passa du ronronnement au bourdonnement, puis au grondement, en moins de cinq secondes. Les poils de ses bras se hérissèrent, sa respiration s’accéléra et sa gorge se noua. Elle avait l’impression de se trouver à côté du moteur d’un avion paré à décoller. Ses doigts cherchaient à tout prix à se raccrocher à quelque chose – un accroc, une bordure, n’importe quoi ! – mais il n’y avait rien d’autre que cette plaque de métal trop lisse. Soudain, le bruit s’intensifia encore et elle sentit son corps s’écraser contre la plaque, comme si quelqu’un la tirait de toutes ses forces en arrière. Plus les secondes passaient, plus Eileen se sentait défaillir. Sa tête dodelinait, ses poumons se comprimaient au point que l’air ne passât plus, ses paupières s’alourdissaient et se fermaient malgré sa lutte. Tout son corps s’engourdissait jusqu’à ne même plus pouvoir le sentir… elle perdit connaissance.

Eileen se réveilla d’un coup, les yeux écarquillés et la gorge irritée par la violence de son aspiration. C’était comme si elle récupérait son souffle après avoir été privée d’air un long moment : elle avait été incroyablement forte, soudaine et douloureuse. Elle se redressa avec violence par réflexe, mais la sangle la retint et sa tête frappa le métal en retombant. Une migraine la tambourina aussitôt. Elle n’eut le temps de se remettre de ses émotions que sa respiration se coupa, comme si elle était plongée dans l’eau – elle arrivait vraiment à ressentir l’eau sur sa peau – et qu’elle la retenait prisonnière. Comme si cette hallucination tactile n’était pas suffisante, sa vision se troubla et le noir dévoila un nouvel environnement. Elle avait l’impression de se trouver au fond d’un lac ou d’une piscine, peut-être. Elle ne comprenait plus rien. En manque d’air, elle expira et vida ses poumons jusqu’à ce qu’ils se missent à brûler.

Tout lui semblait plus vrai que nature. Elle pouvait même sentir ses cheveux se balader au-dessus de son visage au rythme d’un léger courant, bien qu’elle ne les vît pas passer devant ses yeux.

Une vague de lucidité la frappa de plein fouet. Elle hallucinait, elle ne se trouvait pas véritablement dans l’eau ! Elle pouvait respirer ! Sur le point de perdre connaissance, elle relâcha toute la pression et prit une profonde inspiration.

Soudain, le grondement redevint bourdonnement, puis ronronnement. Eileen vit le toit métallique se replier sur lui-même pour s’entasser derrière sa tête. La femme en blouse défit les sangles, tira ses bras pour la redresser et retira le casque de son crâne. Eileen se laissait guider, telle une poupée de chiffon. Choquée par ce qu’il venait de se passer, elle se contenta de suivre des yeux les gestes de la spécialiste, qui ne paraissait pas une once soucieuse. Toujours à ses côtés, elle s’empressa d’arrêter la machine qui se tut dans un cliquetis sec. Il ne restait plus que ces murs blancs et le grésillement sourd des graphiques qui se dessinaient sur la plaque. Pourquoi diable y avait-il des graphiques ? Cette pièce était irréaliste. Elle ne collait pas avec ce monde médiéval et fantastique qu’elle découvrait un peu plus chaque jour.

- Je pense que cela suffira.

Les jambes d'Eileen tremblaient alors qu'elle était toujours assise. A côté d’elle, les extrémités pointues des bras métalliques dansaient sur la feuille et la marquaient d’arabesques teintées de plusieurs nuances de bleu. La spécialiste la délogea une fois qu'ils eurent terminé, avant de l’étudier.

- Très bien, déclara-t-elle. Nasser va te reconduire à ta chambre, le temps que le roi décide de la suite.

- C’est tout ?

Combien de temps avait duré le test ? Une poignée de minutes, une heure ou peut-être plus ? Aussitôt, le garde réapparut. Il traîna Eileen par le bras sans lui laisser le temps de recouvrer ses esprits. Elle chancela, les jambes en coton.

Le loquet retentit.

Couchée sur le matelas fin, sa tête tournait et la nausée la guettait. C’était quoi ce test ? Et pourquoi devait-elle encore rester enfermée ?

Elle s’endormit, toujours à moitié abasourdie.


La porte claqua et Eileen se réveilla d’un bond. La lumière du jour l’éblouit, elle ne devait avoir dormi qu’une heure ou deux. Nasser l’attendait à l’entrée. Cela devenait une habitude, manifestement. Il attrapa la robe bleue qui trônait sur la chaise et la lui jeta sur le lit.

- Enfile ça.

Il se retourna pour qu'elle se changeât et elle s'exécuta sans un mot.

- Suis-moi. Sa Majesté va rendre son verdict.

Le grand hall était vide, à l’exception de quelques gardes, du Commandant Ell’Tin et du Capitaine Kilenswar. Eileen déglutit avec difficulté et s’évertua à ne pas fixer ses pieds. Nasser exécuta une révérence et s’écarta, le dos droit.

- Eileen Harleyn, commença le roi sur un ton grave.

Elle appréhendait cette entrevue. Le vieil homme l’effrayait, mais contrairement à la dernière fois, il lui semblait plus sympathique.

- Le don de l’eau a été décelé lors du test. Cela signifie que vous ne pouvez pas être notre ennemie. Néanmoins, si vous vous montrez encore coupable d'un affront à mon autorité, quel qu'il soit, ma sentence sera votre mort et cette fois-ci, elle sera irrévocable.

Son regard agacé se posa sur Illian avec insistance lorsqu’il finit sa phrase.

- En raison de votre amnésie et pour reprendre le contrôle de votre vie, reprit-il d’une voix plus forte, j’exige que vous vous entreteniez régulièrement avec Merielle durant tout un cycle. Vous suivrez aussi les cours donnés à l’école de l’eau de Nergecye Ouest durant quatre saisons pour que vous retrouviez la parfaite maîtrise de votre don. Et enfin, Capitaine Kilenswar, jusqu’à nouvel ordre, vous serez chargé de surveiller ses moindres déplacements en dehors de l’école, autant que faire se peut.

Le vieil homme prit une grande inspiration, essoufflé par sa tirade. Gaël, jusqu’à présent silencieux et statufié, fronça les sourcils et avança d’un pas.

- Votre Majesté, avec tout le respect que je vous dois, ne devrait-on pas confier cette jeune femme à un soldat ? J’ai bien peur, mon roi, que mon grade et ma charge de travail ne me permettent pas d’assurer cette tâche.

Sa voix se voulait posée, mais des tressaillements trahissaient son agacement.

- Capitaine Kilenswar, votre rôle est celui que j’exige.

Gaël ne put cacher une moue contrariée, mais obtempéra sans broncher. Il n’avait de toute façon pas le choix. Eileen se vit gênée. Maintenant qu’elle allait pouvoir sortir, elle allait avoir le rôle de boulet ?

- L’entrevue est terminée, vous pouvez disposer. Sauf vous, Illian Ell’Tin. J’aimerais m’entretenir avec vous. En privé.

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