Chapitre 3 : Partie 2/6

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Eileen ouvrit les yeux et les plissa aussitôt, aveuglée par la lumière éclatante. Des draps de soie glissèrent sur sa peau lorsqu'elle se redressa en position assise et dévoilèrent des compresses imbibées d'un produit gélatineux sur son bas-ventre. Des rideaux fins, cette fois d’or, tombaient jusqu’au sol, bordant le lit et entravant sa vue. Elle dut s’approcher du bord du matelas et soulever le voilage pour révéler une chambre somptueuse. A peine eut-elle le temps de se mettre sur pieds que des maux de tête la lancinèrent. Elle jura quand elle se constata vêtue d'une large tunique froissée. Sur la chaise, à proximité du lit à baldaquin, reposait une longue robe bleue brodée. Que d’efforts pour masquer sa féminité, pour rien ! Ce fut à la vue d’une paire de bottines couleur caramel, posée juste à côté, qu’elle s’aperçut qu’elle ne portait plus ses vieilles baskets. Elle s’extirpa du lit et analysa la pièce : des tapis rouges et dorés décoraient le sol et des sculptures – des portraits, les mêmes éléments stylisés que ceux du blason ou encore des courbes abstraites – recouvertes de feuilles d'or embellissaient chaque recoin.

Un valet entra dans la chambre.

- Veuillez m'excuser, mademoiselle, vos vêtements sèchent dans une autre pièce, nous ne pouvions pas vous laisser trempée.

Eileen ne réagit pas, surprise par son irruption et sa remarque.

- Sa Majesté compte en savoir plus à votre sujet, laissez-moi vous mener à elle. Mais d'abord, veuillez revêtir la tenue que je vous ai apportée.

Le voyant toujours planté là, elle se racla la gorge et indiqua la porte d’une main.

- Pourriez-vous me laisser seule ?

- Oh, toutes mes excuses. Je vous attends à l’extérieur.

Eileen retira les linges de son ventre et essuya au mieux le produit non identifié. Des ecchymoses tantôt rouges tantôt violacées marquaient ses abdomens. Elle enfila la robe qui s’arrêta au-dessus de ses chevilles, noua les lacets qui pendaient sur sa poitrine, chaussa les bottines et rejoignit le valet.

Les pièces étaient toutes plus grandes les unes que les autres. Toute une panoplie de décorations fines et délicates, surtout des tapisseries recouvertes de motifs dorés, ornaient les murs. Eileen traversa au bas mot une dizaine de salles avant de gagner un immense hall où trônait le roi, entouré de valets, gardes et accompagné d’Illian et de Gaël. La noblesse, plus en retrait, était présente elle aussi. Elle se sentit à nouveau oppressée au milieu de cette foule et un malaise s’installa. Le silence emplit la salle : le monarque, debout et bras croisés sur son ventre rond, s’apprêtait à parler. Son regard se planta sur Illian.

- Commandant Ell’Tin. Vous avez échoué la mission que je vous avais confiée. Vous deviez repousser l’ennemi.

Il marqua un temps de pause. Le concerné déglutit et en profita pour se justifier.

- Votre Majesté, pour notre défense, les Irnaths et leurs Nasombres n’étaient pas au rendez-vous comme prévu. Leur dragon, oui. Nous étions trop peu pour…

- Certes, le coupa-t-il dans un soupir. Cela ne justifie en rien votre acte. Illian Ell’Tin, bien que vous soyez commandant, il ne vous revient pas de prendre de telles décisions. Vous avez trahi la confiance que je vouais en votre personne.

Illian se raidit dans son armure. Malgré cette remontrance, il gardait la tête haute et une expression impassible peignait son visage.

Le valet guida Eileen devant le souverain, aux côtés du capitaine.

- Et vous mademoiselle.

Elle sursauta et se crispa aussitôt. C’était la première fois qu’elle se retrouvait face à un roi. Elle ne savait pas comment réagir et, au fond, avait peur de ne pas saisir toute la complexité et l’importance de la situation. Il pouvait la balayer d’un revers de la main s’il le voulait sans qu’elle ne pût rien y faire.

- Vous êtes bien chanceuse d’avoir croisé la route de Monsieur Ell’Tin.

Des exclamations discrètes s’élevèrent dans la foule. Il n’avait pas utilisé son grade. Eileen remarqua une perle de sueur dévaler le front du commandant.

- Merielle, notre meilleure guérisseuse, a accepté de panser vos blessures. Hélas, votre présence ici est illégale. Le hublot du cachot sera votre seule ouverture sur l’extérieur.

Sa voix était intransigeante, teintée d’une once d’irritation. Illian fit un pas en avant, ce qui provoqua des regards indiscrets chargés de jugements. Les poings serrés, ses lèvres tressautaient. Il s’exprima pourtant d’une voix claire et calme :

- Votre Majesté, c’est mon erreur. Je suis le seul à devoir en pâtir et j’en prendrai l’entière responsabilité. Cette jeune femme n’a jamais demandé à être ici. Mais elle n’est pas notre ennemie.

Le vieil homme passa une main sur sa barbe et jugea Eileen du regard.

- Quel est ton nom ?

Son sang se glaça dans ses veines. Son tutoiement soudain et son regard durci la pétrifièrent. On aurait dit qu’il sondait son âme.

- Eileen Harleyn, votre… Majesté.

Si elle avait pu être émerveillée un peu plus tôt par la similarité de ce qu’elle vivait avec un film du genre d’héroïc-fantasy, à présent elle déchantait. Elle n’avait pas envie de s’y prendre au sérieux. Son esprit la persuadait toujours que tout n’était que le fruit de son imagination. Paradoxalement, elle était tétanisée à l’idée que tout fût vrai.

- Eileen, bon séjour dans les bas-fonds du royaume.

- Non, attendez, insista Illian, soulevant une vague d’indignation dans la foule. Donnez-lui une chance. Laissez-la rester dans le quartier Est du château et préparez le test. Cela pourra nous assurer qu’elle n’est pas une menace.

Eileen se sentait dépassée par la situation et n’osait même pas ouvrir la bouche. Le roi la fixa de ses yeux aux paupières tombantes, avant d’éclater d’un bref rire gras.

- Très bien, faisons cela. Quant à vous, Illian Ell’Tin, ma décision à votre sujet n’est pas encore prise. Amenez-la dans le quartier Est. Pour les autres, retirez-vous.

Aussitôt les ordres prononcés, les gardes exécutèrent une révérence et retournèrent à leurs postes. Le commandant profita de cette mêlée et du brouhaha pour se faufiler aux côtés d’Eileen.

- Ceci n’est que temporaire. Ne fais rien d’insensé pendant ce temps.

- Quoi ? s’alarma-t-elle. Où est-ce que je vais aller, il se passe quoi là !

Elle n’eut le temps de souffler qu’un garde empoigna son bras pour la tirer hors du hall.

- Non mais lâchez-moi et dites-moi au moins ce qu’il se passe, je suis en droit de savoir ce qu’il va m’arriver quand même je…

- Tais-toi.

Elle s’arrêta net dans son flot de paroles. Le garde, plus grand qu’elle de deux têtes au moins, visage fermé et ton autoritaire, à la carrure imposante recouverte de pièces d’armure, n’inspirait pas la sympathie. Elle se laissa traîner sans rien dire, cette fois dans un dédale de couloirs pauvres en décoration et au sol de pierre blanche nu, jusqu’à faire face à une large porte en bois sombre.

- Ton nouveau chez toi, ricana le garde d’une voix rauque. Merielle se chargera de t’apporter de quoi manger.

Il la poussa dans la pièce et, à peine entrée, Eileen entendit un loquet verrouiller sa seule issue. Elle réalisa enfin dans quelle situation elle se trouvait. Le « quartier Est » n’était qu’un cachot déguisé.

- Non, ne me laissez pas là-dedans ! hurla-t-elle. Je n’ai rien fait, j’y suis pour rien et je ne comprends rien !

Submergée par une vague de panique, elle s’égosilla jusqu’à éreinter sa voix et tambourina contre la porte. Les larmes roulaient sur ses joues rougies. Elle se laissa glisser au sol, le dos contre le bois ébène. Elle tapa du poing contre la pierre blanche et regretta son geste sur-le-champ vu la douleur engendrée.

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