Chapitre 2 : Partie 2/4

4 minutes de lecture

Arrivant à proximité d'une barque étroite, Eileen se sentit défaillir et crispa ses doigts sur sa jambe jusqu’au sang. Elle hoqueta quand son pied foula l'eau gelée et grimaça lorsque le sel s'incrusta dans ses plaies. Son sauveur l’aida à monter sur l'embarcation et se mit à ramer sans tarder. Elle essaya de se calmer, de retrouver une respiration à peu près correcte, mais l'inaction soudaine lui permit surtout se rendre compte de sa situation. Le regard perdu dans le vide et le dos courbé, sa tête tournait et son corps tanguait comme s’il allait s’effondrer. La jeune femme puisait dans des forces qu’elle ne se soupçonnait même pas.

Ils atteignirent enfin le navire. Sa vision à présent trouble lui permettait seulement de deviner les larges canons qui dépassaient du bois. Eileen fit un effort insurmontable pour réussir à se redresser malgré la douleur que cela lui déclenchât dans tout le corps et s'appuya sur la coque pour garder l'équilibre. Elle attrapa le premier barreau de l’échelle de cordes qu’on lui tendait, se hissa avec difficulté et s'étala de tout son long sur le pont, alors que l’homme en armure enchainait déjà les directives. Son équipage s'agitait autour de lui et exécutait les tâches sans broncher. Il s’accroupit à ses côtés.

- Quel est ton nom ?

Les yeux écarquillés et débarrassés de leur voile brumeux, Eileen secoua la tête. Elle était tétanisée. Elle ne savait pas quoi dire, quoi faire et cherchait de l’aide du regard. Son sauveur soupira et la prit dans ses bras pour la transporter sans mal dans une cabine. Aussitôt, l’homme qui s’y trouvait posa le carnet qu’il consultait et se leva du lit, prêt à recevoir les ordres.

- Capitaine Kilenswar, cette femme a besoin de soins.

Il la déposa sur le lit et s’écarta, tandis que le capitaine vidait un coffret en bois. Plusieurs fioles et tissus repliés en tombèrent. Eileen frotta son front et ses tempes d’une main.

- Où… suis-je ?

Sa bouche pâteuse et ses lèvres engourdies l’empêchèrent de bien articuler. Elle ne savait plus quoi penser. Elle ne comprenait rien. Personne ne lui en avait laissé l’occasion jusqu’à maintenant. Soudain, une vague de lucidité frappa son esprit.

- Mais... Cet homme porte une armure ! Et c'était… un dragon ?!

Elle souhaita quitter le lit, mais ledit capitaine la retint par les épaules.

- Calme-toi, je vais examiner et traiter tes blessures.

Sa voix posée diminua les cris d’Eileen. Bouche bée, elle le fixa les yeux ronds, comme suspendue à ses lèvres. Il attendit un peu pour s’assurer qu'elle ne gigotât plus et termina les baumes. De l’étonnement et de la gêne se lisaient dans son regard, ce qui n’avait pas pour effet de rassurer la rescapée. Il pivota vers son supérieur.

- Commandant Ell’Tin, comptez-vous vraiment la ramener à Nergecye ?

- Contentez-vous de la mettre sur pieds, Capitaine Kilenswar, le rembarra-t-il.

Eileen reprit ses esprits et son élocution retrouva de sa vivacité.

- Où est Franck ? Qui êtes-vous ? Et je suis où là ?!

Elle vivait un horrible cauchemar. Oui, juste un cauchemar. Quand elle se réveillerait, tout reviendrait dans l’ordre.

- Calme toi, lui intima le capitaine penché sur ses blessures. Nous sommes sur l'Entre-Deux, mais nous allons te ramener au royaume en toute sécurité, n'aie crainte.

- Pardon ? s'étrangla-t-elle.

- Hé bien... L'Entre-Deux ne te parle pas ? De quel royaume viens-tu ?

- Un royaume ? Non mais c’est n’importe quoi ! Je rêve ! brailla-t-elle.

Malgré les circonstances, elle ne put s'empêcher d'émettre un rire nerveux.

- Les dragons qui crachent du feu et les mecs en armure, ça n’existe pas ! À part dans les films !

Eileen fixait les deux hommes de ses yeux fous. Le commandant partit se poster dans l’embrasure de la porte dans un calme insupportable. Le capitaine lui jeta un regard décontenancé, comme s’il attendait un ordre de sa part, puis reporta son attention sur la jeune femme.

- Je suppose que la violence des chocs t'a sonnée. Ce dragon s’appelle Khreir et il vient de Naleth. Nous sommes en guerre contre les Terres Rouges, mais bien sûr, il n'y a que notre royaume qui s'active au combat.

Mais qu’est-ce qu’il lui racontait ? Il attendit une réaction d’Eileen qui restait hébétée. Peut-être espérait-il qu’elle se souvînt ? Il coupa une large bande de tissu et l’imbiba d’un liquide bleu, puis enchaîna les questions, les sourcils relevés :

- Naleth ? La guerre entre les Terres Rouges et les Terres de Lumière ? Nergecye ? Non ? Ça ne te dit rien ?

Elle s’agita à nouveau.

- Non seulement ça n'a aucun sens, mais en plus... ça n'a aucun sens ! Et pourquoi le dragon ne nous a pas suivis sur la plage ?

- Le dôme mis en place bloque le gène Z. Les dragons, tout comme les irnaths, possèdent ce gène.

Eileen se remémora l’étrange voile qu’ils avaient traversés un peu plus tôt. L’idée que le reptile ne put franchir cette bulle de savon géante lui parut assez insensée.

- S'il avait essayé de passer, reprit-il, il se serait désintégré en moins d'une seconde. Les animaux sont intelligents, ils sentent ces choses-là. Heureusement qu'il protège la plage aussi d'ailleurs, sinon nous ne serions plus là pour en discuter.

Le capitaine de la garde avait parlé d'une voix posée, malgré de légers soubresauts, comme si tout était normal. Sauf qu’en fait, son discours était aussi compréhensible que du chinois. Eileen le vit fouiller dans une sacoche en cuir pour en sortir une longue aiguille. Un frisson lui parcourut l’échine et électrisa sa nuque. Son cœur se mit à battre à cent à l'heure.

- Je vais juste faire un point sur les bandes pour les maintenir, je ne vais pas te charcuter.

Eileen détourna la tête et tâcha de ralentir sa respiration. La situation lui échappait totalement. Et personne ne semblait partager ni même ressentir sa détresse.

- Je ne comprends rien...

Des larmes brouillèrent sa vue.

- Ça ne sert à rien de continuer maintenant, je suis d'avis de la laisser se reposer, déclara le commandant. Nous reparlerons de tout ça demain. Capitaine Kilenswar, nous allons aussi devoir trouver un plan pour le roi.

Ce furent les dernières paroles qu'Eileen entendît avant de plonger dans un long sommeil.

Annotations

Vous aimez lire Elwenwe ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0