Chapitre 1 : Partie 1/3

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La nuit, désormais installée, offrait des conditions optimales à Eileen pour écrire son nouveau scénario. Assise en tailleur dans un large fauteuil et entourée de paperasse, elle attrapa son bloc-notes et écrivit avec ardeur. Une lueur s’alluma dans ses yeux et elle passa nerveusement une main dans ses cheveux blonds, qui retombèrent sur ses épaules. L’adrénaline guidant ses mouvements, la mine graphite grattait la feuille aussi vite que les idées fusaient dans son esprit. En général, quand l'inspiration pointait son nez, rien ni personne ne pouvait déranger sa concentration ; il n'y avait plus au monde que son carnet et son crayon. Pourtant, Franck, installé sur un siège voisin, la sortit de ses pensées cette fois :

- Regarde ça ! s’enthousiasma-t-il.

Elle l’entendit et le vit agiter un journal du coin de l’œil, mais était trop occupée à coucher ses idées sur la feuille pour s’en détacher. Il se campa devant elle et baissa ses notes d’un doigt.

- Allez, regarde !

Eileen jura à mi-voix et lui arracha le magazine. Il la dérangeait alors qu’elle était enfin inspirée, après plus d’une heure passée à malmener ses neurones ! Elle lut en diagonale les premières lignes de l’article. Son cœur rata un battement et sa mauvaise humeur vola en éclat : l’encart vidéo du mois mentionnait Cerberos Movie ! Les yeux écarquillés et un grand sourire peint sur les lèvres, elle sauta de joie à son tour. Elle se voyait déjà en haut de l’affiche.

- On parle de nous ! On va être connus, ça y est !

- Moins de bruit, grogna la gérante de la bibliothèque.

Eileen tut ses exclamations et rangea son bloc dans son sac en bandoulière.

- Tu m’as quand même coupée dans mon élan, râla-t-elle gentiment.

- De toute manière il faut y aller, les autres y sont déjà.

Avec Franck, ils géraient une équipe d'acteurs amateurs et rêvaient de crever l’écran avec leurs courts métrages d'horreur. Ils travaillaient avec des amis et les vidéos postées sur Youtube gagnaient de plus en plus en visibilité. Mais en trois ans, c'était la première fois qu'ils rencontraient un si gros succès. Eileen, à la fois actrice, scénariste et réalisatrice, était la plus impliquée du groupe. Elle avait connu Franck en entrant au lycée : il l’avait accostée, sans doute par pitié même s’il lui répétait toujours le contraire, alors qu’elle patientait seule sur un banc. Leurs centres d'intérêt en commun et leurs délires insensés les avaient très vite rapprochés et elle s’était intégrée au groupe. L'idée de créer des films revenait à Franck, mais ni lui ni les autres n’avaient voulu endosser la responsabilité du réalisateur. Eileen avait accepté avec plaisir de mener le projet. Depuis, ils ne se quittaient plus.

Le ciel s’assombrissait davantage à chaque minute. La jeune femme enfila sa veste et voulut ranger quelques livres dans un rayon trop haut. Sur la pointe des pieds, elle prit appui sur l’étagère quand les ouvrages échappèrent de sa main. Derrière elle, Franck venait de les lui prendre pour s’en occuper. Plus grand d’une tête, ses yeux verts contrastaient avec sa chevelure noire et lui donnaient un charme certain.

- Que dirait ta grand-mère si elle apprenait que tu sors la nuit ? la taquina-t-il.

- Je lui ai dit que je travaillais tard, elle ne le saura pas.

Il ne valait mieux pas qu'elle l'apprît, au risque qu'Eileen ne revît pas les rayons du soleil de sitôt. Sa grand-mère était son unique famille et la jeune femme culpabilisait de lui mentir. Hélas, à vingt-ans, elle avait besoin de liberté, pas d’être couvée comme si elle en avait cinq. D’aussi loin que ses souvenirs pouvaient remonter, elle ne se remémorait rien de sa vie depuis sa dernière année de collège.

Elle avait été retrouvée inerte sur le bord de la chaussée, pourtant sans la moindre égratignure. D’ailleurs, elle ne se souvenait même pas de ce qu’elle faisait à cet endroit-là. Sa grand-mère était venue la chercher au poste de police, lui rappelant que ses parents n’étaient plus de ce monde depuis des années.

À cette heure-ci la bibliothèque était déserte, à l'exception de la gérante qui classait des affaires derrière le guichet. Franck jeta les papiers qui traînaient encore autour du fauteuil, avant de la rejoindre à grandes enjambées. Ce soir-là, ils avaient prévu de tourner un film angoissant, dont l'héroïne était jouée par Eileen.

- Tu as le matériel j’espère ? s’impatienta-t-elle.

- Oui, dans la voiture.

- Parfait, on avancera vite alors.

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