La Veuve Noire

Image de couverture de La Veuve Noire

Lettre à une personne disparue qui a marqué ma vie.

Frère,

Les années ont passé.

Voilà déjà longtemps que vous nous avez quittés pour rejoindre Saint Pierre et vous asseoir à sa Droite. De cela, je n’ai jamais douté. Cette place est la vôtre.

Nous nous sommes rencontrés un dimanche soir vers 18h dans les derniers jours d’août.

Cette année-là, Paris venait de se soulever et de découvrir « Sous les pavés, la plage ».

Moi, j’étais là pour autre chose que des vacances…

Je venais d’intégrer l’internat du Collège et l’on m’avait mené à votre bureau. Mes parents étaient déjà repartis me laissant seul devant cette porte où je pouvais lire « Bureau du Préfet de Discipline ».

J’étais en nage, le cœur affolé. Une voix sèche me pria d’entrer ; cette voix qui m’accompagnera durant de si nombreuses années… Notre première rencontre.

L’atmosphère de votre bureau – qui ne changera jamais – était glaciale. Ma sudation se changea en suée froide et finit par me faire grelotter. Je m'en souviens.

Sur votre table de travail, une plaque de cuivre où je pouvais lire « Fr. MARTIAL » et dans un sens d’équilibre un livre que j’ai supposé être votre Bible puisqu'une croix y reposait dessus. Et enfin vos mains, parcheminées, aux longs doigts fins qui reposaient à plat. Une posture…

Votre regard m’a accroché, enveloppé, capturé. Je me suis senti évalué, mesuré, soupesé… Aucune parole n’a été échangée et jamais plus je ne ressentirai le poids d’un silence si dense.

Vous m’avez laissé trembler devant votre bureau… Et ce n’est qu’après un temps certain, que vous m’avez dit – comme à chaque fin de nos rencontres - « Va en paix ». Je ne pense pas vous avoir répondu, tellement pressé de sortir…

Je venais de croiser la Veuve Noire. C’était ainsi que le millier d’enfants que nous étions vous surnommaient en rappel de votre longue soutane noire et de votre rencontre si fatale. Et vous le saviez mais jamais vous n'avez abusé de votre pouvoir. Vos sanctions étaient redoutées, sévères mais pourtant toujours justes.

Cette première semaine fut horrible pour moi. Lever à 06h, la messe, les corvées (appelées tâches communautaires), les études et le coucher à 22h. Mais de cela vous vous en doutiez.

Il était interdit de se trouver dans les blocs dortoirs durant la journée. Vous m’y avez trouvé, les premiers jours, réfugié sur un radiateur dans la cage d’escalier. Je croyais ainsi pouvoir m’isoler, à l’affût du moindre bruit.

Vous m’y avez surpris. Comment avez-vous fait ? Votre regard m’a épinglé au mur et vos seules paroles résonnent encore en moi : « Ce n’est pas bien !». Je me suis senti envahi d’une telle honte d’avoir déçu… Indescriptible. Votre charisme était ainsi.

Encore une anecdote. La dernière nuit de l’année scolaire était "la nuit de tous les débordements". Vous la tolériez. Mais une année, ce fut trop. Literies, chaises et autres livres ont été jetés par les fenêtres des dortoirs pour se retrouver dans la cour de récréation ; un carnage de matériel.

L’année suivante, vous êtes resté debout dans la cour - devant le bloc ; toute la nuit. Et rien n’a été jeté alors que dans les couloirs le silence s’était installé, inquiet de nos réactions ou de nos non-réactions. Je – mais je n’étais pas le seul – me suis levé plusieurs fois pour vous observer. Vous n’avez pas bougé de toute la nuit et ce n’est qu’à l’appel de la cloche de la chapelle que vous nous avez rejoints. Impressionnant.

Bien des années plus tard, ayant quitté votre établissement pour continuer d’autres études, il m’a pris l’envie, le besoin, de reprendre contact avec vous. Vous aviez pris votre retraite et étiez rentré dans un couvent. Nous avons échangé un courrier où vous me citiez une autre anecdote de nos rencontres. Votre réponse, je l’ai toujours. Malgré les aléas et autres tourments de la Vie, je l’ai gardée ; un peu comme un ancrage.

À cette époque, se trouver à l’aube de l’adolescence dans ce type de pensionnat catholique n’était pas vraiment une partie de plaisir. Mes passages dans des écoles militaires, par après, m’ont presque parues comme des camps de vacances. Et pourtant, nos rencontres ont marqué mon chemin de vie.

Merci .

AutobiographieCVDéfi
Tous droits réservés
1 chapitre de 3 minutes
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Table des matières

En réponse au défi

Ecrire une lettre a une personne disparu

Lancé par Chouchoute14

Bonjour à tous,

En regardant sur mon ordinateur, j'ai retrouvé une lettre écrite pour mon défunt père. Je vous propose de le faire à votre tour. Ecrire une lettre a quelqu'un de disparu (famille, ami, ou personne célèbre).

Je vous publie cette fameuse lettre que j'ai retrouvé.

Rien d'imposé, je laisse faire votre plume :)

Commentaires & Discussions

La Veuve NoireChapitre33 messages | 3 ans

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