Chapitre 03 - Deuxième partie

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— Mes amis, je vous remercie d’être venus si nombreux ce soir. Je dois, avant de vous quitter, vous dire pourquoi j’ai évoqué ce soir ces grands sujets de politique nationale et internationale. Certains d’entre-vous doivent déjà s’en douter. Et si vous avez encore des doutes les nombreux journalistes présents dans cette salle doivent sacrément vous mettre sur la piste.

Des rires, se mettent à fuser dans l’assistance. André attend qu’ils se calment avant de poursuivre.

Solennité et sobriété. Allez jette toi à l’eau !

— J’ai décidé, d’être candidat, aux primaires de notre parti !

Les rares sifflets désapprobateurs sont largement dominés par les applaudissements qui envahissent la salle tandis que la lumière s’élève pour permettre à André d’observer enfin son auditoire. La vaste salle est bourrée à craquer d’individus en train de faire la clappe de façon frénétique. Cela va faire de bien belles images pour les observateurs de l’actualité et autre moyens d’enregistrement audiovisuels qui dispenseront la nouvelle dans les heures à venir.

Bon maintenant, Il faut laisser l’explication de ma candidature motiver les invitations des journalistes. Comme on l’a défini avec l’équipe de communication.

Cette fois ci, André n’attend pas que l’ovation se calme pour se rapprocher du micro pour lancer un tonitruant un “Merci à tous. Bonne soirée !” avant de disparaître brusquement au fond de la scène tandis que les applaudissement redoublent d’intensité.

Le chemin vers sa loge est parsemé de mains qui se tendent pour saluer le héros de la soirée. Il en serre distraitement certaines et y ajoute quelques mots de remerciement pour les plus importantes d’entre-elles. Il a passé plus de temps que prévu sur la scène et s’est mis en retard pour le second rendez-vous de la journée. Un événement familial qu’il s’est promis de ne pas rater malgré l’importance que sa carrière prend aujourd’hui. Il se dirige donc en louvoyant vers la loge où il pourra se démaquiller et récupérer ses affaires avant de rentrer chez lui. L’agent de sécurité planté devant sa porte tente de lui dire quelque chose tandis qu’il l’ouvre l’huisserie. Un homme semble l’attendre confortablement assis sur l’un des canapés qui meuble cette pièce. André se retourne vers le garde en quête d’explication lorsqu’il aperçoit les trois géants qui les entourent en train de repousser les curieux sans ménagement. A la vue des lourds holsters et autres équipements à peine masqués par leurs vestes de costumes il devine la nature de l’individu qui l’attend.

— Il a dit qu’il avait rendez-vous et que vous ne verriez pas d’inconvénient à ce qu’il vous attende, bredouille l’agent de sécurité. J’ai bien essayé de lui expliquer que vous étiez pressé, mais…

L’homme désigne du regard les silhouettes massives des gardes du corps du visiteur. André peut parfaitement imaginer qu’il n’était pas de taille à s’opposer à ces hommes.
— Vous avez bien fait. Je ne veux pas être dérangé par qui que ce soit pendant notre entrevue. Elle doit rester confidentielle.

En voyant le soulagement de son interlocuteur qui acquiesce à ces dernières instructions, André franchi le seuil de la pièce et referme la porte. L’angoisse qu’il avait laissé derrière lui en même temps que la scène se rappelle à son souvenir de façon douloureuse. Il pensait avoir évité avec brio toutes les chausses trappes de cette soirée. Pourtant il a maintenant l’impression d’avoir fait un pas de trop. Il observe l’homme qui l’attend. Le visage noble, buriné et bronzé de vieil aventurier au yeux clair qu’il arbore est tempéré par des vêtements à la coupe parfaite sortant sans aucun doute de chez un tailleur anglais de Saville row. André sait qu’il ne doit pas se fier au parfum flegmatique de luxe suranné qui se dégage de la présence de cet homme. C’est un prédateur aussi à l’aise dans les salons de l’élite occidentale qu’en pleine brousse africaine.

— Je suppose que vous êtes l’un des généreux contributeurs de ma future campagne ?

— Excusez-moi de m’être présenté ainsi sans vous prévenir. Je m’appelle Spector Daniels et comme vous l’avez deviné je suis l’un des membres fondateur du Consortium Continental.

— Vous représentez quelle industrie en particulier ?

— J’ai investi dans divers secteurs n’ayant pas toujours des rapports les uns avec les autres dans le passé. Mais Il y a bien longtemps que j’ai délégué la gestion de mes affaires à des hommes compétents et jeunes. Je suis aujourd’hui un retraité qui aime voyager et rencontrer de nouveaux amis.

— Voilà une présentation qui me paraît fort évasive.

— Vous ne pouvez pas me reprocher de tenir à une certaine discrétion sur mes activités. Vous n’aimeriez pas que les relations que nous entretenons deviennent de notoriété publique, n’est-ce pas ?

— En fait, je m’interroge sur la nature de ces relations. Ce que vous allez faire pour moi a été bien défini, mais je n’ai pas bien compris ce que vous attendez en échange ?

— Je viens justement vous apporter quelques informations à ce sujet. Il est évident que nous attendons votre victoire lors des primaires de votre parti et ensuite aux élections de votre état.

— Je ne suis pas sûr de pouvoir rallier suffisamment de soutien pour devenir le candidat de “Notre Terre”. Il va être difficile de battre le premier ministre déjà en place. Vous pouvez également imaginer que je ne peux pas garantir non plus la majorité du suffrage de nos concitoyens.

— Ne vous inquiétez-pas des primaires, elles vous sont déjà acquises. Le premier ministre n’a pas été suffisamment vertueux pour éviter l’accident politique qui va le pousser à renoncer à un second mandat dans quelques jours. La chasse aux sorcières qui va suivre va faire de vous le candidat le plus acceptable de votre parti.

— Mais comment…

— Une fois que votre candidature sera officialisée, vous allez rechercher un responsable pour mener votre campagne. Refusez toutes les candidatures que l’on va vous proposer pour nommer l’homme que vous allez recevoir demain matin à 10h30 dans vos bureaux.

— C’est un homme à vous ?

— Non, enfin, pas vraiment. Il ne sait pas quelle conjonction d’intérêt l’a placé sur votre route quelques jours avant que le scandale d’état qui va faire de vous un candidat n’éclate. C’est un avocat auprès duquel vous allez prendre conseil pour négocier la tempête médiatique qui s’annonce. Vous allez voir qu’il est très compétent dans son expertise.

— Vous m’imposez un homme à vous pour me surveiller.

— Je vous l’ai dit, il ne sait pas qu’il travaille pour nous et j’aimerais que cela reste comme ça. Il serait idiot de lui demander de vous espionner sans attirer ses soupçons sur nos accords. Vous allez découvrir qu’il possède un esprit très affûté.

— OK. Vous avez un plan pour faire de moi le nouveau dirigeant de notre état. Mais je ne sais toujours pas ce que vous allez me demander en retour.

— Vous pouvez imaginer que l’étendue de nos attentes sera forcément en relation avec les responsabilités qui seront les vôtres. Et j’aimerais vous rappeler que nous vous avons promis bien plus que le siège à la tête de votre état. Votre demande initiale était plus personnelle il me semble.

Je savais qu’il était impossible que je devienne premier ministre sans écraser quelques ambitions ou semer quelques cadavres, mais je n’ai pas pas demandé ça. Effectivement j’aurais préféré qu’on en reste à ma seule demande initiale.

— Néanmoins je suis venu ce soir vous demander un premier service reprend le visiteur. Je sait qu’il ne va pas être aisé de nous satisfaire, mais dans quelques jours vous devriez avoir l'opportunité d’agir sans courir un risque inconsidéré.

— Que dois-je faire ?

— Vous devrez faire valider par l’administration les visas d’au moins 60 migrants.

— Mais c’est un suicide politique ! Je n’ai pas le pouvoir de réaliser un tel miracle sans le payer très cher auprès des soutiens de mon parti et sans me mettre à dos une part non-négligeable de la population du pays.

— Je vous l’ai dit, vous allez avoir une fenêtre de tir inespérée dans quelques jours. Vous allez, lors de la table ronde, rencontrer discrètement Stanislas Balanter le responsable de SOS Humanité et lui demander de compléter cette liste.

Spector Daniels joignant le geste à la parole, tend un bout de papier dactylographié à André Stakhovsky sur lequel figure une vingtaine de noms.

— Ces dix-neufs individus doivent impérativement être rapatriés sur le continent sans attirer l’attention des médias et autres curieux. Nous pensons donc qu’il est indispensable de les mêler à d’autres candidats à la migration. Stanislas Balanter pourra choisir une quarantaine d’hommes de femmes ou d’enfant répondant à ses priorités humanitaires. Il va sans doute les mettre en avant pour démontrer combien l’action de SOS Humanité est nécessaire et vertueuse. Pendant que l’attention des journalistes sera accaparée par cette campagne de communication, nos 19 migrants pourront demeurer inaperçu.

— Pourquoi ces individus, sont-il importants pour vous ?

— Il vaut mieux que vous ignorez cette information. Mais sachez que c’est indispensable à la réalisation de nos objectifs. Si vous ne pouvez leur obtenir des visas, j’ai bien peur que cela remette en question nos accords. Il serait dommage que votre parti perde les élections à venir.

— Vous perdriez vos investissements.

— Voyons monsieur Stakhovsky, vous n’êtes pas naïf au point de croire que vous êtes le seul candidat que nous soutenons ?

Un long silence rempli de sous-entendus envahi l’espace entre les deux hommes qui s’observent mutuellement. L’un tente de dissimuler la tempête qui vient de se déclencher sous son crâne, tandis que l’autre affiche une détermination sans faille. Remettant un peu d’ordre précaire dans son esprit André Stakhovsky ne peut s'empêcher de poser une question.
— Mais, vous m’aviez affirmé que vous vouliez que je sois premier ministre ?

— Monsieur Stakhovsky, je préférerais effectivement que vous preniez en main les responsabilités de votre état. Je connais la nature exacte de vos motivations. Avec vous les choses seraient simples et je sais que je possède sur vous le plus intime des moyens de pression. Mais le Consortium Continental doit se prémunir de tous les aléas, y compris des risques démocratiques.

— Vous, voulez dire que vous avez déjà vos entrées auprès du premier ministre ? Qu’a-t-il fait pour vous déplaire ?

— Monsieur Stackhovsky, je pense que j’ai déjà suffisamment abusé de votre hospitalité. Il est grand temps que je me retire.
Joignant le geste à la parole Spector Daniels extrait sa haute et large stature du canapé et fait un geste de salut avant de se diriger vers la porte. Il y tape quelques coups en guise de signal pour ses gardes du corps. L’huis est ouvert par l’un de ses mercenaires surarmés qui lui fait signe qu’il peut sortir en toute sécurité.

Une fois la porte refermée, André Stackhovsky reste quelques instant les yeux dans le vague ne sachant quoi penser de cet entretien. Puis se souvenant qu’un événement d’importance l’attend chez-lui il appelle le personnel destiné à le démaquiller et l’habiller. Il esquive de débriefing de son équipe de communication en leur promettant de les rencontrer en priorité le lendemain matin et s’embarque dans sa voiture avec chauffeur pour rentrer à la maison.

–––––––––

“Elle t’a attendu tant qu’elle a pu. Mais elle dort dans sa chambre”. La phrase prononcée par sa femme résonne encore dans son esprit tandis qu’il observe dans l’obscurité le lit médicalisé de sa fille. Elle est toute fluette dans cette couche épaisse monstrueusement bardée d’accessoires en tout genre. Pour la journée de son anniversaire, les médecins ont décidé de la débrancher des moniteurs surveillant ses signes vitaux. Les bourdonnements et cliquetis qui animent habituellement cette pièce ce sont tus. Son enfant n’est ce soir que quelques draps roulés en boule s’animant au rythme de sa respiration. Si petite et si fragile. André tente de retenir son souffle pour entendre celui de sa fille habituellement masqué par le vacarme du matériel médical. Il compte les expirations ténues.

Un, deux, trois…

Chacune d’entre-elles est un combat.

Quatre, cinq, six…

Une victoire de la vie contre la fatalité.

Sept, huit…

Huit ans aujourd’hui que sa fille survit, contredisant de nombreux diagnostics.

Neuf, dix…

Combien de médecins leur ont donné un peu d’espoir avant de confirmer la condamnation précédemment prononcée par leurs confrères.

Onze, douze…

Et puis un jour, un homme étrange avait abordé André dans un restaurant. “Vous savez, ces maladies ne sont pas aussi orphelines que vous le pensez” avait-il affirmé. “Notre expérimentation se limite aujourd’hui qu'à quelques cas répertoriés en occident en respectant les lois en vigueur. Mais le monde est vaste, nous pouvons trouver d’autres cas dans des contrées bien moins contraignantes vis à vis de l’utilisation d’un arsenal génétique.”

Treize, quatorze…

“Vous êtes un homme de pouvoir monsieur Stackhovsky, vous pouvez peut-être faire évoluer les choses”.

“Ce n’est pas de mon ressort” avait répondu André. “Il faudrait que je sois au moins premier ministre”.

“Ce n’est pas impossible. Nous y pensons” avait rétorqué l’homme.

Quinze, seize…

C’est ainsi que le Consortium Continental l’avait approché. Ce soir, quand Spector Daniels avait parlé de “motivation”, ce n’est pas d’ambition politique qu’il parlait. Certes André, comme tous ceux qui vivent aux crochets de la politique, est avide de pouvoir. Mais son objectif ne va pas jusqu’à viser le poste ultime. Les responsabilités régionales qu’il occupe aujourd’hui lui suffisent largement. Le prix à payer pour un pouvoir plus étendu est à son avis bien trop onéreux. Ce rendez-vous de conspirateur avec Spector Daniels le conforte totalement dans cette idée.

Dix-sept, dix-huit…

Sa motivation, c’est ce médicament illégal, fournit par le consortium, qui permet à sa fille de respirer par elle-même après six mois de traitement. Ce remède qui permet aux médecins de la débrancher des moniteurs pour qu’elle passe son huitième anniversaire libre de toutes attaches.

Dix-neuf, vingt…

C’est ce qui lui permet ce soir de veiller sur les expirations de son enfant dans le silence de sa chambre. C’est ce qui lui permet d'écouter une bouffée d’air supplémentaire sans craindre qu’elle soit la dernière.

Vingt et un, vingt-deux…

Sa motivation c’est d’entendre le changement dans le rythme de sa respiration. Se rendre compte qu’elle s’éveille. Un bras menu soulève le drap pour laisser apparaître son visage enfantin. Elle jette un regard ensommeillé vers son père, lui sourit doucement.

Les gens du Consortium Continental ont raison. Je ferais tout pour garder auprès de moi ce sourire.

— Joyeux anniversaire Camille.

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