Chapitre 03 - Première partie - André Stakhovsky

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“Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu’on peut supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine ; mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu’on peut détruire la misère. Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir, limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui, cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n’est pas fait, le devoir n’est pas rempli.”

Victor Hugo

(Discours à l’Assemblée nationale législative - 9 juillet 1849)

— Il est important d’apporter des réponses aux problèmes des migrants en méditerranée !

Un silence un peu pesant s’impose dans la salle en réponse à cette phase. André Stakhovsky a soudainement l’impression d’avoir posé le pied sur l’un de ces chemins de crête montagnard ou l’apic vous cerne de part et d’autre. Il aimerait ressentir la quiétude qui l'envahit lors de ces randonnées. Une activité qu’il aime pratiquer pendant ses congés. Mais les enjeux de cette soirée, l’annonce qu’il va faire dans quelques minutes, l’empêchent définitivement de parvenir à cette forme de sérénité. La tension palpable qu’il devine, cachée derrière l’éclat des projecteurs qui masquent l’audience de cette salle, ajoute à son stress au point de se transformer en peur.

Je le savais. C’est pour ça que j’ai décidé d’aborder ce thème en dernier, s’exhorte-t-il mentalement pour se rassurer.

— Leur détresse est réelle et, comme beaucoup ici, je voudrais leur porter secours. Qui pourrait rester les bras ballants devant le spectacle de tant de souffrance. Comment peut-on se réfugier derrière un protectionnisme frileux. Effrayé par des guerres et des conquêtes ancestrales. Craignant la disparition de notre ethnie ou de nos acquis culturels. Contrairement à ce que voudraient vous faire croire nos opposants politiques, ils ne viennent pas importer leur guerre chez-nous. Ils fuient les extrémismes politiques bellicistes et n’aspirent qu’à la paix. Ils désirent simplement assurer leur sécurité. Accéder à des conditions de survie qu’ils ne peuvent plus trouver chez eux. C’est pour cette raison que les autorités Européennes, appuyées par notre parti, oeuvrent pour que les territoires étranger qui nous envoient ces migrants puissent retrouver leur quiétude politique. Qu’ils puissent mettre en place des réponses aux challenges démocratiques et climatiques qui se présentent à eux. C’est le projet sur lequel “Notre Terre” travaille, même si pour l’instant, notre action est circonscrite qu’à quelques pays de l’union.

En entendant les murmures du public se réchauffer doucement André Stakhovsky sent qu’il va faire mouche.

Voilà pour la gauche historique de mon parti, pense-t-il. Maintenant une petite incursion à droite.

— Oui, j’aimerais répondre immédiatement à la détresse de ces gens qui se sont embarqués pour traverser cette mer qui marque pour eux la frontière entre la vie et la mort. Qui se sont égarés sur cette citée flottante, vivants dans le plus grand dénuement perdus au milieu de la méditerranée. Attendant l’autorisation de débarquer sur notre continent. J’aimerais faire quelque chose pour eux, mais je sais que ce désir sera difficile à assouvir. Malgré notre bonne volonté, nous ne pouvons pas prendre en charge tout le malheur du monde. Victor Hugo dans son fameux discours de 1849 où il déclarait qu’il voulait détruire la misère, avouait aussi en préambule de son discours que ses corollaires ne pourraient jamais être éradiqués. Il citait “la souffrance” comme “une loi divine” impossible à supprimer. Ce qu’il déclarait à l’époque est malheureusement toujours d’actualité. Nous sommes en face d’un enjeu planétaire qui dépasse intrinsèquement le cadre de nos frontières. Nous ne pourrons pas y répondre localement de façon unilatérale.

Haah ce bon vieux Victor à toujours été le meilleur pour passer de gauche à droite et inversement pense André Stakhovsky en ménageant une pause dans son discours pour en augmenter le potentiel dramatique.

— Le poids économique et humain que représente l’urgence humanitaire en méditerranée est trop lourd à assumer pour notre continent. Nos concitoyens accepteraient difficilement la pression fiscale nécessaire pour financer l’accueil de cette migration, et même pire. Nous mettrions en danger l’équilibre des ressources alimentaires européennes. Celui assuré par notre politique agricole commune. Ce projet porteur de paix et d’équité qui a cimenté notre fédération. Nous ne pouvons nous porter au secours de tous. Nous devons accueillir ce surcroît de population que de façon mesurée.

La je sais que même les gauchistes les plus extrêmes de notre parti vont réfléchir à deux fois. Même si cet argument n’est pas nouveau, l'être humain a toujours éprouvé une profonde aversion à partager le contenu de son assiette. Maintenant que j’ai entamé mon virage à droite, il est temps de porter l’estocade.

— Les organisations non-gouvernementales aveuglées par leur mission de secours emprisonnent les migrants dans un imbroglio juridique qui leurs donnent peu de chance d’obtenir leur visa. Ils travaillent dans une urgence qui semble oblitérer chez ces bons samaritains toute forme de réflexion à long terme. Toute possibilité de négocier de nouvelles formes de sauvetage. En bafouant le découpage des zones de “recherches et secours” en créant cette monstrueuse cité flottante, ils nous empêchent de trouver des solutions raisonnables et pérennes à ces enjeux humanitaires. Pire même, ils créent un appel d’air qui conduit toujours plus de réfugiés vers notre territoire. Pour ces candidat à la migration notre continent représente un eldorado où ils pensent recevoir des réponses à tous leurs problèmes.

"Certes nous sommes fiers de notre modèle de société et nous aimerions qu’il soit repris largement à travers le monde. Il a été conquis par l’Europe parfois dans de grandes souffrances. Malgré les haines historiques opposants nos peuples, nous avons su trouver la stabilité et la paix que nous apporte la fédération. Mais nos ressources ne sont pas extensibles au point de palier aux défaillances des états étranger en cours de démocratisation. Il faut que ces gouvernements prennent à leur tour la mesure des attentes de leurs populations et se mettent à arpenter ce chemin vers la justice, la sécurité et le bien-être. Ils ne pourront se décider à entamer cette démarche que s’ils sont conscients des enjeux auxquels ils doivent faire face. Si nous encourageons la migration vers notre continent nous masquons à ces états les enjeux qui sont les leurs. Ils ne prendront jamais conscience qu’ils doivent mener une politique d’intégration au sein de leurs pays de la totalité de leur population. Chez “Notre Terre”, nous sommes prêt à leur apporter toute l’assistance à la conduite de ces changements. Nous, nous engageons pour anticiper et maîtriser les mouvements géopolitiques à venir.

Un léger brouhaha s'élève dans la salle, indiquant à André Stakhovsky qu’il s’est peut-être trop attardé à parler de politique en pays étranger... Du côté droit de l'hémicycle. Mais ce soir il ne parle pas seulement aux membres et sympathisant de leur parti. S’il a loué cette vaste salle et invité tous ces journalistes, c’est pour faire l’annonce avec laquelle il va finir son discours. Celle qui va changer sa vie. La raison qui l’a poussé ce soir à évoquer ces sujets de politique générale, normalement très éloignés de ses responsabilités locales.

Bon, je clos le sujet et je me lance...

— Je comprend que les O.N.G ne peuvent rester passives devant les cadavres de l’on repêche dans les eaux de la méditerranée. Selon “l’Human Stat Institute” plus de 5 000 corps ont été trouvé sur les plages cette année. Malgré la modification des lois nationales concernant le débarquement des naufragés, les lois maritimes sont claires concernant l’assistance aux personnes en danger et l’intervention des bons samaritains répond à une détresse criant son urgence. Mais, nous ne devons pas encourager les misères créées par le déracinement des migrants. Il est difficile de quitter sa maison, son pays, ses parents pour s’élancer dans l’inconnu. C’est toujours un drame humain…

Allez, encore un peu de pathos.

André Stakhovsky laisse encore une fois quelques instant de silence interrompre son discours et prend une grande inspiration avant de continuer d’une voix grave.

— Je connais parfaitement la nature de ce drame. Il a précipité mes grands parent hors de leur pays en d’autres temps, ou il était le siège d’une tyrannie. C’est…

C’est pour ma famille l’histoire d’un paradis perdu. Une honte de n’avoir pu lutter pour rester sur la terre où nos ancêtres ont vu le jour. Les regrets d’avoir abandonné une juste cause pour la sauvegarde des siens. L’humiliation de n’avoir pu préserver notre dignité de citoyen...

Ho, combien je comprend de façon intime le malheur qui frappe ces hommes...

J’ai peut-être un peu trop poussé le trémolo dans la voix, pense André Stakhovsky avant de reprendre d’un ton ferme.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé aujourd’hui de me battre pour qu’aucun homme, aucune famille n’ait à affronter un tel déracinement sans recevoir une assistance à la hauteur de sa détresse. Hommes d’états, responsables politiques, organisations non gouvernementales et citoyens, nous devons nous rassembler pour affronter ce problème. Nous devons ensemble, de part et d’autre de la méditerranée, trouver des solutions. C’est dans ce cadre que j’interviendrais lors de la table ronde internationale organisée par SOS Humanité dans notre capitale dans quinze jours.

Un tonnerre d’applaudissement répond à cette annonce. André Stakhovsky lève la main et se met à sourire en arborant un l’air satisfait et sûr de lui de celui qui se sent porté par le public. Il sait qu’il vient de gagner des points dans la bataille à venir, mais ne peut s’empêcher de penser, que dans quelques instants, le sol risque de se dérober sous ses pieds.

Le grand moment est venu.

Tandis qu’une légère angoisse remonte peu à peu au creux de son estomac il fait des signes pour apaiser la foule. Les applaudissements mettent quelques minutes à mourir. Il attend patiemment que le silence s’impose.

(a suivre...)

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