Chapitre 4

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« Je ne veux pas la voir ! dit Manon entre ses dents.

— Moi non plus je n'ai pas envie, mais papa...

— Je m'en fiche ! C'est non ! »

La maîtresse met fin à la récréation en tapant dans ses mains, invitant les enfants à se ranger devant leur classe. Les jumelles suivent le mouvement et s'installent, côte à côte, à leurs pupitres. Elles ont toutes les deux bien du mal à suivre les leçons. Manon fait la tête et ne participe à rien.


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La journée paraît longue à Andréa. Quand sa sœur ne va pas bien, elle se sent mal. Les émotions voyagent entre elles comme des ondes invisibles. Elles vivent dans deux corps distincts, mais leurs esprits sont connectés. Des deux c'est quand même Manon la plus forte. Andréa ne peut rien y faire, elle le subit depuis toujours, pour elle c'est normal. Parfois elle réussit à calmer son double, mais là c'est compliqué.


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Elle non plus n'a pas envie de rencontrer Gladys. Elle aussi désire qu'elle n'existe tout simplement pas. Mais les mots de la maîtresse, qui parlent d'un pays lointain, l'emmènent ailleurs. Elle arrive à oublier pendant quelques heures. Manon, elle n'écoute pas, elle cherche obstinément une solution au problème. Tant qu'elle n'aura pas trouvé, elle ne pourra pas penser à autre chose.


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Mado les récupère à la sortie de l'école et comprend tout de suite que quelque chose ne va pas. Elle ne les a plus vues aussi moroses depuis l'enterrement de leur mère, et la période de deuil qui a suivi. Ses petites-filles lui ont été d'un grand secours pour dépasser le drame de la perte de sa propre fille. Les enfants ont une capacité à se jeter de nouveau dans la vie, bien plus grande que leurs aînés. Mais ils n'aiment pas le changement.


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« Vous en faites une tête ! Y a un problème ? »

Les gamines ne répondent pas.

« Est-ce qu'une pâtisserie pourrait vous faire retrouver le sourire ? propose la grand-mère.

— Non, ça ne va pas suffire, répond Andréa plus disposée à communiquer.

— Eh bien, c'est que ça doit être très grave ! insiste-t-elle d'un ton compatissant.

— T'imagines même pas, dit Manon la fixant droit dans les yeux.

— Dites-moi pour que je puisse vous aider. » tente Mado.


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Une fois installées dans la voiture, Mado écoute avec surprise leurs doléances. Elle est sous le choc elle aussi. Bien sûr que Richard ne peut pas rester seul, que c'est normal. Mais son cœur ne résonne pas aussi bien que sa tête. Elle se ressaisit rapidement et essaye de rassurer ses deux moineaux assis à l'arrière, sans assez de conviction peut-être :

« Elle est sans doute très gentille cette Gladys...

— Non ! » crie Manon.


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Elles roulent en silence jusque chez Mado. Qui constate, les voyant s'empiffrer au goûter, que ça ne leur coupe pas l'appétit. Elle-même tout de suite ne pourrait rien avaler. Les fillettes semblent ne plus vouloir en parler, comme si elles s'interdisaient d'ouvrir la porte de chez leurs grands-parents à l'orage qui gronde dehors. Elle n'insiste pas, et quand son mari rentre, elles font comme d'habitude une partie de Cluedo avec papy.


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Richard arrive tout excité du travail, et annonce triomphalement à ses beaux-parents qu'il va devoir se rendre au Japon en début d'année prochaine, pour le plus gros chantier qu'il ait jamais décroché. De quoi mettre le cabinet à l'abri de toutes difficultés à l'avenir ! Jean le félicite, Mado sourit et les filles restent de marbre.

« Vous entendez ça les minettes ! Vous resterez ici avec nous pendant ce temps ! s'exclame Jean.


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« Moi, c'est ce week-end que je veux passer avec vous, dit Manon en minaudant.

— Moi aussi ! ajoute Andréa saisissant au vol l'idée géniale de sa sœur.

— Désolé mes chéries, ce week-end, avec mamy, on va fermer le mobil-home pour la saison d'hiver. Vous le savez bien...

— Emmenez-nous ! insiste Manon.

— Il n'en est pas question, tranche Richard, agacé par la sournoise tentative de ses filles.

— C'est papa qui commande. » conclut Jean résigné.


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Manon a failli réussir. Richard passe la soirée à essayer de convaincre les jumelles que leur comportement n'est pas gentil. Que la rencontre entre Violetta et sa future belle-mère se passe bien, ne lui est d'aucune aide. Manon ne cède ni aux arguments de son père, ni au plaidoyer de sa sœur, adoucie par l'évocation d'une sortie au cinéma et l'achat d'une nouvelle tenue. Elle barrera la route à cette étrangère !


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Après une soupe à la grimace, une lecture sans conviction, et avec un pincement au cœur, Richard laisse les filles muettes comme des carpes dans leurs lits. Il pressentait que ça ne se passerait pas facilement, mais commence à douter de sa capacité à mener à bien cette histoire. Andréa, pendant ce temps, énumère les avantages de l'arrivée de Gladys. Manon ne lui répond pas, mais l'entend, et finit par la traiter de « Judas ! » en sanglotant.


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Gladys ne passe pas non plus une journée très agréable. Sa visite chez Murat ne se déroule pas comme elle l'avait imaginé. Il est catégorique, et cela ne fait pas partie de ses habitudes. D'ailleurs est-ce qu'un psy ne doit pas se contenter de vous écouter ? Elle est très en colère contre lui, elle s'en rend compte. Il se trompe : elle ne court pas à la catastrophe. Il ne connaît pas Richard !

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Elle le voit changer de couleur et perdre son sourire au fur et à mesure qu'elle lui raconte comment, cette fois-ci, elle va enfin s'accomplir en tant que femme au bras d'un homme, et prendre soin de sa nouvelle famille.

« Vous rendez-vous compte que vous rêvez ? » lui jette-t-il à la figure au bout d'un quart d'heure.

Comment un psychiatre peut manquer à ce point de professionnalisme ?! Vexée, elle abrège la séance et rentre chez elle.


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Le bouton de la bouilloire claque et elle ébouillante sa camomille. Elle a besoin de se calmer. Au fond, il n'a pas totalement tort, et sa réaction ressemble plus à celle d'un ami qu'a celle d'un médecin. Il a toujours été là en cas de besoin. Il l'a soutenue, épaulée dans toutes ses démarches. Il s'oppose juste à la méthode :

« Il faut parler à Richard avant de rencontrer les jumelles » lui a-t-il dit quand elle s'est sauvée.


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" Ce serra pire après Gladys, l'imposture est trop grave. Vous allez faire du mal à tout le monde. Vous-même ne vous en remettrez pas, une fois trop engagée. Vous êtes intelligente ! Annulez ce dîner, prenez le temps de lui expliquer. »

Ses paroles tournent en boucle et rongent Gladys de l'intérieur. Mais elle est déterminée. Elle n'écoutera pas la voix de la raison. Elle suivra son instinct !

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