26. Vingt-neuf ans plus tard…

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« Le temps est passé avec la lenteur d’un mort-vivant errant dans un cimetière sans cadavres. Voilà des années que j’ai oublié l’Ancien-monde et les Anciennes choses et les Anciennes gens.

Ce matin, nous avons pu distinguer pour la première fois notre future planète à l’œil nu. Nous nous sommes rassemblés derrière la verrière et certains ont crié de joie. D’autres sont restés silencieux, tournés vers un passé qui retient leur âme. La planète était magnifique. N’importe quel astre l’est quand on ne connaît que l’espace. Mais ce Nouveau-monde… je pense que c’est le bon, je l’espère. Il se révèle gorgé d’eau en profondeur, avec un air respirable. Il est parfait. Nous pourrons nous y installer, réussir la terraformation avec les travaux et notes laissés par le planétologue. Son absence ne nous manquera pas. Nous y arriverons. Nous avons bien réussi à survivre au Nihil…

Mon cruel quotidien a gommé le passé, mais pas les rancœurs et les regrets. Il n’y a pas un jour qui passe sans que je ne repense à Nero. Le poids de la honte est chaque matin plus fort, et me brise le moral. Je revois sans cesse son visage souriant me regarder dans le miroir. Il hante mon reflet, et quand je clos mes paupières, je l’aperçois. Mais les traits de son visage ont été balayés par le souffle du temps, et je ne vois plus qu’une silhouette informe et floue. Certains jours, je l’entends me parler, me susurrer que tout va bien. Ça me rassure un peu.

La vieillesse m’a frappé sans prévenir. Mes épaules se sont rabaissées, mes cheveux ont commencé à grisonner, puis à blanchir, et enfin à tomber. Mais il m’en reste encore un peu… Suffisamment pour pouvoir me servir du peigne durant ma toilette matinale. Mes yeux ont noirci et se sont parés de cernes. Elles sont les témoins de ma grande fatigue. Mon front s’est ridé et ma peau a pâli. On m’a dit il y a longtemps que je ressemblais à un vampire. J’ai beaucoup ri après ça.

Les autres passagers ne me parlent plus vraiment. Comme si je les effrayais. Moi aussi je m’effraie en me voyant, parfois. Pour faire partir la peur, je me force à rire, très fort, à pleins poumons, pendant de longues minutes. Au début, ils s’inquiétaient, mais maintenant… Ils ont l’habitude je pense.

Il n’y a pas eu beaucoup de morts ces derniers temps. Enfin, je crois. Montague s’occupe du gros des tâches et me remplace lorsque je suis épuisé. Peut-être ne me dit-il pas tout… Il est bon. Parfois, je me demande où est passée l’euphorie du début du voyage, avec tous ses visages souriants, toutes ses bouches joyeuses. Les voyageurs d’aujourd’hui sont tristes et maussades, pareils à des revenants.

Plusieurs couples ont enfanté, mais leurs rejetons sont… étranges. Ils ne rient jamais et leurs lèvres ne savent pas sourire. Ils se traînent avec lourdeur dans les couloirs de l’Arche, évitant tout contact. Ils sont les premiers enfants stellaires… Leur âme doit posséder quelque chose de différent.

Il y a plusieurs années de cela, nous avons croisé un étrange objet. Une sorte de caillou massif qui projetait des éclats lumineux. Il avançait à une vitesse folle, un quart de celle de la lumière selon les relevés. Il est passé à quelques millions de kilomètres de nous. Très près. Ce jour-là, Montague a eu très peur et a fait accélérer l’Arche, comme si le caillou était dangereux. Je lui ai bien demandé ce qui l’effrayait autant mais il n’a pas voulu me répondre.

Aujourd’hui, Nero m’a murmuré des choses à l’oreille. Je ne sais pas s’il a raison. »

Quentin Aurel se releva de son bureau. Il fit quelques pas jusqu’à la porte de la cabine et la ferma à clé. Puis il revint à sa place et ouvrit un tiroir. Sa main plongea à l’intérieur et en ressortit l’arme de Tiberus. Il apprécia la sensation du métal froid sur ses doigts – il ne l’avait pas touchée depuis sa mort – et releva le cran de sûreté. Il s’avança jusqu’à la verrière et contempla la vue somptueuse du Nouveau-monde. Un nouveau soleil, une nouvelle planète, une nouvelle maison pour l’humanité.

Il se tint droit sur ses jambes et amena le canon à sa tempe. Elle palpitait. Il posa son doigt sur la détente et insuffla l’air de la vie.

Son visage souriait.

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