25. Braises ardentes

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Il y eut des protestations. Des révoltes. Des passagers en colère qui perdaient foi en l’humanité, qui réclamaient la fin de ce voyage. De nouveaux convertis au culte solaire qui voulaient rejoindre leur dieu et sa lumière. Des réticents, aussi, qui évoquaient leurs doutes quant à l’intégrité de l’équipage. Quentin les fit taire. Tous. Ceux qui parlaient et ceux qui pouvaient parler.

L’Arche coupa ses communications avec l’Agence, avec Mars et avec le reste du système solaire. Quentin ne souhaitait pas que suite à la découverte des résultats catastrophiques du voyage, le gouvernement décide d’y mettre un terme. Bientôt, ils se trouveraient si loin que personne ne pourrait plus les arrêter.

Une frégate de la Flotte fut envoyée quelques jours plus tard. L’Agence s’inquiétait évidemment. L’engin, véloce, les rejoignit rapidement et vint se poster à distance respectueuse d’eux, sur une trajectoire similaire. Ils envoyèrent une équipe diplomatique pour discuter. Mais Quentin ne voulait pas discuter. Les négociations auxquelles il prenait part avaient la fâcheuse tendance de mal terminer.

Je n’ai pas écouté mon meilleur ami alors pourquoi obéirais-je à ces parfaits inconnus ?

« Dirigez les canons sur la frégate ! » ordonna-t-il.

Le responsable de la mise à feu refusa d’exécuter ses ordres. Quentin sortit son arme et la pointa sur l’homme, qui changea d’avis.

Les torpilles téléguidées étaient normalement destinées à la défense de l’Arche face à d’éventuelles civilisations étrangères hostiles. Mais le véritable ennemi était humain, Quentin le comprenait désormais. Il était toujours humain. La frégate fut réduite en mille morceaux qui s’éparpillèrent dans l’espace et une pluie de débris arrosa l’Arche. Une partie du vaisseau se trouva endommagée et des gens périrent suite à la dépressurisation de certains secteurs. Cela mit Quentin dans une rage folle.

Il dirigea la mise à mort de l’équipe diplomatique et décida de larguer les corps au large, dans l’espace. Quentin ne désirait plus entendre parler de l’Ancien-monde désormais.

« Nous traversons une période de grands périls, déclara-t-il. Plusieurs d’entre-nous sont morts. Beaucoup ont souffert. Nous ne pouvons plus compter ni sur Mars, ni sur les mondes solaires pour nous aider. Par conséquent, je déclare l’indépendance totale de ce vaisseau. Nous n’obéissons plus à aucune juridiction humaine. Nous sommes libres et nous formons la première nation humaine interstellaire ! »

Ils avaient tous applaudis. Et deux jours plus tard, ils votèrent en âme et conscience afin de l’élever au rang de Grand-Capitaine. Il devint le seul et unique chef à bord. Plus personne ne pourrait l’empêcher d’agir pour le bien de la mission.

« Nous avons un seul objectif : parvenir au Nouveau-monde et l’essaimer de nos graines. Nous allons faire prospérer l’humanité au-delà des limites du Soleil ! »

Ils avaient tous pleuré de joie. L’avenir s’annonçait plein de promesses alléchantes.

Après de longs mois de voyage, Tiberus vint lui parler dans la Vigie. Quentin savait que quelque chose la taraudait, quelque chose qu’elle rechignait à lui confier. Malgré la fatigue causée par les événements récents, elle conservait encore une certaine fierté.

« Comment allez-vous ? » s’enquit Quentin, par politesse.

Elle semblait tendue et observa rapidement Montague, qui ne manifestait pas le moindre intérêt à leur conversation.

« Cela fait longtemps que je ne me pose plus ce genre de questions, répondit-elle en avalant bruyamment sa salive. Considérez que je me porte plutôt bien.

– Vous voulez me parler de vos patients, c’est cela ? Comment se portent vos services ? »

Elle hésita.

« Eh bien… Ils sont débordés, à vrai dire. Nous avons installé des murs capitonnés dans douze nouvelles cabines depuis la semaine dernière, mais cela ne semble jamais suffisant. Il y en a toujours plus… »

Elle tremblait, remarqua Quentin.

« Vous êtes sûre que vous allez bien, insista-t-il, j’ai l’impression que… »

Elle plongea subitement la main dans sa poche et en ressortit une arme de calibre moyen. Elle le visa.

« Que faites-vous ? s’exclama-t-il en levant ses mains en l’air. Justine, voyons !

– J’exauce votre promesse. »

Quentin entendit le coup partir, mais il provenait de l’arme de Montague.

Tiberus écarquilla ses minuscules yeux de souriceau et lâcha son arme avant de porter les mains à son ventre. Lorsqu’elle les releva, elles étaient imbibées de sang. Son visage pâlit et elle regarda fixement Quentin comme si elle avait quelque chose à lui confier. Ses jambes ployèrent et elle partit s’écraser sur le sol.

Montague renifla bruyamment.

« Ses patients l’ont rendue folle. »

Encore choqué, Quentin se pencha et ramassa l’arme qu’elle tenait. C’était la sienne. Il se rappela alors la conversation qu’ils avaient eu, voilà des mois, après la mort du pilote Paul Rupiles.

Je lui ai fait promettre de me tuer le jour où elle verrait la folie dans mes yeux.

Il se sentit soudain mal. La tête lui tournait affreusement et ses oreilles bourdonnaient. Il se précipita aux toilettes et vomit. Longtemps. Et lorsqu’il pensait avoir terminé, il recommençait, jusqu’à ce qu’il se sentît vidé et à bout de souffle.

Il croisa son regard dans la cuvette et referma violemment la lunette. Il retrouva ensuite son lieutenant.

« Montague, combien y a-t-il de fous dans ce vaisseau ? »

L’autre parut réfléchir et porta la main à son front.

« Beaucoup. Des dizaines, je dirais. Que voulez-vous faire, capitaine ? »

Quentin asséna sa réponse sans se soucier de ceux qui pourraient les entendre.

« Tuez les tous. »

Leur folie est contagieuse, ils vont finir par nous atteindre. Ils doivent disparaître.

Mais Montague semblait hésiter pour la première fois depuis des mois. Il balbutia :

« Mais capitaine… qui est fou ? »

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