22. Réveil incertain

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Autour de la cabane de l’ermite, la brume se leva. Le Soleil apparut, d’un rouge sanguin, comme si on avait enfoncé un poignard dans ses entrailles de feu. À ses côtés dominait un immense croissant de lune, telle une faux prête à s’abattre sur la colline. L’homme sortit de son cabanon et se posta face à l’astre pourpre.

« Je n’ai pas peur ! »

Le Soleil lui répondit en gonflant ses rayons. L’homme perçut sa chaleur infernale qui envahissait par bouffées son visage.

« Je n’ai pas peur de vous ! Vous appartenez au passé ! »

L’étoile se transforma soudain en une boule d’énergie intense et implosa. L’homme sentit le feu céleste l’éblouir et lui brûler les rétines. Il hurla tandis que son corps s’embrasait.

« Capitaine, capitaine ! »

Quentin se réveilla. Il se trouvait sur un lit drapé de blanc, dans une salle à la lumière éclatante. Il se rappela le fou, le fou et le couteau dans son ventre.

J’ai été blessé.

À présent, il ne sentait plus rien d’autre qu’une lointaine démangeaison au niveau du nombril. Comme un ongle qui grattait sa peau.

« Capitaine, capitaine ! »

Il leva les yeux et aperçut Montague à son chevet. Son crâne chauve était couvert de sueur et sa tempe palpitait.

« Quoi ? »

Montague balbutia en reprenant son souffle :

« Une mutinerie, capitaine. Une mutinerie.

– Une mutinerie ? Comment ça ?

– Ils sont arrivés, avec des armes et ils nous ont menacés. Ils étaient bien trop nombreux… Ils ont pris le contrôle de la Vigie et capturé deux otages, deux de nos hommes.

– Qui ça, ils ? Qui mène le groupe ? »

Montague le fixa d’un œil vide.

« Le planétologue, capitaine. Nero Valdor dirige l’insurrection. »

Les ombres fusèrent dans l’esprit de Quentin. Comment cela était possible ? Il n’avait donc rien vu venir… Nero. Non, cela ne se pouvait pas. Il était son ami.

« Vous en êtes sûr ?

– Certain, capitaine. Je l’ai vu, entouré d’une dizaine d’hommes, tous des félons. Lui aussi portait une arme. Il m’a visé et a déclaré que le voyage était terminé. »

Il m’a trahi. Nero m’a trahi.

Une immense douleur engourdit les muscles de Quentin, tandis qu’un cri de colère éclatait dans sa tête.

Trahison !

« Rassemblez les hommes qui nous sont encore fidèles, ordonna Quentin en s’asseyant sur le lit, encore trop désorienté pour se tenir debout. Nous allons les déloger. »

Montague parut hésiter :

« Capitaine… ils n’hésiteront pas à tirer, j’en suis certain. Ils le feront si vous les y poussez. Ils ont peur. C’est la peur qui guide leurs gestes. Et un homme terrorisé peut faire n’importe quoi. »

Quentin grogna, ignora l’avertissement de Montague et au prix d’un effort surhumain, se leva. Aussitôt, Montague vint le soutenir, mais le capitaine le repoussa.

« Capitaine, vous êtes encore trop faible… »

Trahison ! Félonie ! Fourberie !

« Je peux encore marcher ! aboya Quentin, furieux. Et je vais marcher jusqu’à ce que ces parjures soient punis ! »

Il rassembla ses affaires et enfila sa tenue, forçant sa douleur au mutisme.

« Nero a peut-être perdu la tête, mais pas au point de me tirer dessus. Je vais le raisonner. Vous vous posterez derrière avec les autres gars. Si jamais ça tourne mal, lancez l’assaut. Récupérer la Vigie est une priorité absolue. »

Montague acquiesça et partit. Quentin noua ses lacets et enfila sa veste de capitaine avant de se mettre en route.

Quand il arriva devant l’entrée de la Vigie, deux hommes pointèrent leurs armes sur lui. Quentin reconnut d’anciens fidèles.

Des traîtres. Tous.

« Je dois parler à Nero Valdor.

– Le planétologue ne désire pas vous voir pour le moment. Quittez cet endroit immédiatement. »

Quentin fronça les sourcils avant de s’avancer d’un pas vers le soldat.

« Je suis le capitaine de ce vaisseau et j’exige de voir Nero Valdor tout de suite. »

Mais l’autre demeura stoïque face à l’insistance de Quentin.

« Reculez ou nous serons contraints de vous évacuer de force.

– Nero ! cria Quentin. Viens ici ! Nero ! Bon sang, Nero ! Explique-moi cette mascarade ! »

Les hommes l’attrapèrent et le soulevèrent pour l’emmener plus loin.

« Nero ! Que fais-tu donc ? Tu as perdu la tête ! »

Une voix retentit soudain, avec une autorité que Quentin ne soupçonnait pas :

« Non, laissez-le. »

Nero apparut à l’embrasure de la porte menant à la Vigie. Il regarda son ami d’un œil sombre.

« Tu ne m’as pas laissé le choix…, s’excusa-t-il, sans paraître néanmoins gêné.

– Sais-tu ce que tu es en train de faire ? scanda Quentin, hors de lui. Tu risques…

– Oui je sais, l’interrompit Nero d’un air presque las. J’ai organisé une mutinerie à bord d’un appareil de la Flotte martienne rempli de civils. Par conséquent, je risque la peine de mort. »

Sur un signe de main du planétologue, les deux soldats lâchèrent Quentin, qui s’approcha doucement de Nero pour mieux le regarder. Incapable de réfléchir, il ne put que marmonner :

« Pourquoi ?

– Tu le sais très bien, répliqua tristement Nero. Tu as vu ce qu’il s’est passé. Toutes ces vies emportées. Nous ne pouvions continuer.

– Nous avions une mission ! cria Quentin, les yeux embués de larmes. Tu nous as trahis, tu m’as trahi ! Je te faisais confiance !

– Regarde-toi, fit Nero avec une pointe de dégoût. Toi aussi tu perds la tête. Tu es obnubilé par cette mission, tu ferais n’importe quoi pour son succès. Ce n’est pas digne d’un capitaine.

– Non ! C’est faux !

– Cette Arche était en train de devenir un asile d’aliénés. Qu’espérais-tu en te bornant à continuer ? La reconnaissance ? La gloire ? Seul le deuil t’aurait attendu là-bas.

– Tu ne fais qu’empirer les choses ! tonna Quentin, hystérique. Tu leur as retourné la tête ! Tu leur as parlé de cette histoire de cosmofolie, et ils ont eu peur. C’est de ta faute, tout est de ta faute ! J’avais la situation en main, et tu as tout gâché ! Tu as beau marteler le contraire, tu n’es qu’un misérable serviteur de Sol, un fanatique, comme ton pourri de père, comme cette folle aux yeux verts ! »

Tremblant de rage, il se retourna vers les deux soldats qui l’encadraient :

« Regardez-le, c’est un foutu terroriste, il vous a manipulés ! Sa langue ne débite que du venin à longueur de journée ! Arrêtez-le ! »

Les deux hommes ne bougèrent pas d’un pouce. Nero lui adressa un sourire navré.

« Et tu oses dire que le fou, c’est moi ? Jamais tu n’aurais perdu le contrôle de cette manière avant le départ. Où est passé l’Amiral de la Flotte assuré et charismatique ? »

Quentin scruta Nero, muet de stupeur. Ses mains frémissaient, sa tête lui tournait et son corps entier n’était qu’une pendule déséquilibrée.

« Pour la sécurité de l’équipage, annonça Nero, nous avons décidé de mettre un terme au voyage. Les moteurs sont actuellement enclenchés et tournent au maximum pour débuter la phase de décélération. Nous ne sortirons jamais du système solaire. »

Quentin tenta en vain de réprimer les larmes qui s’entassaient sous ses yeux.

« Tu es en train de mettre en danger toute la mission ! Des milliards ont été engagés, depuis des décennies ! Tu es en train de tout ruiner !

– Cette mission est un échec, admit Nero, mais elle apprendra à l’humanité la sagesse. »

Quentin eut un rire amer. Il ne prit même pas la peine d’essuyer ses joues mouillées.

« Idiot, tu t’imagines quoi ? Qu’ils vont t’accueillir comme un héros, comme le bon sauveur de l’humanité ? Pauvre fou, tu ne seras pas arrivé qu’ils t’embarqueront pour une geôle kuiperienne où tu croupiras le restant de tes jours, tandis que le monde entier crachera sur ton nom ! »

Nero sembla s’énerver.

« Quelle importance ? Je sais tout cela, tu ne comprends donc rien ? Continuer le voyage serait commettre un crime plus grave encore. Un crime contre l’humanité. »

Quentin eut un mouvement de recul instinctif. Puis, alors que les pensées s’entrechoquaient en lui, il pointa un doigt accusateur vers son ami et le fusilla du regard.

« Il y aura des sanctions. Je le jure sur Mars et sur le Soleil ! »

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