10. Les yeux de la nuit

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Dans un silence de mort, ils enfilèrent leurs tenues spatiales. Le nombre important de pièces à fixer rendait la tâche particulièrement longue et ardue. Les parties rigides, au niveau du torse et du casque les protégeraient des éventuelles micro-météoroïdes, tandis que les parties souples, composées de plusieurs couches protectrices assureraient leur survie.

Une fois prêts, Quentin ordonna le départ. Ils flottèrent en silence jusqu’à la porte verrouillée de l’antichambre, l’angoisse du moment les rendant aussi muets que des macchabées. Quentin posa ses mains sur la porte et demanda d’une voix nouée :

« Les portes étanches se sont bien refermées derrière nous ? »

La voix off de la Vigie acquiesça :

« Tout est en ordre. Vous pouvez y aller. »

Quentin appliqua une pression sur l’épais blindage et la porte se décala lentement. Le vide pénétra aussitôt dans la pièce close et ils s’accrochèrent sur les poignées des murs pour résister au souffle de l’air aspiré.

« Tout va bien ? » s’enquit Quentin une fois la secousse passée.

Il vit Montague et Martinez hocher la tête gravement.

« Allons-y. »

Le silence régnait en maître des lieux. Il n’entendait plus que les battements saccadés de leur cœur et la respiration haletante de Martinez dans leurs micros.

Il est jeune… J’aurais peut-être dû le remplacer…

Ils balayèrent l’antichambre avec les lampes fixées sur leur visière. Aucun objet n’altérait la symétrie parfaite qui régissait cet endroit vide, où se confondaient sol et plafond, haut et bas.

Au fond, le sas était ouvert, œil béant donnant sur l’infinité de l’espace. Quentin s’y engagea en premier, talonné par ses deux collègues. La sueur recouvrant son nez exhalait les relents âcres de la peur.

« On sort », annonça-t-il.

Sa voix possédait le même timbre que celle d’un prêtre durant un enterrement. Après s’être assuré du fonctionnement des propulseurs de la combinaison, il se propulsa à l’extérieur.

Le vide l’enveloppa aussitôt de ses bras. Les ténèbres paraissaient aussi épaisses que de la poix. Seules quelques étoiles clignotaient çà et là, troublant l’étendue uniforme.

« Vous me suivez toujours ? interrogea Quentin.

– Affirmatif, fit Montague. Je ne vois rien du tout pour le moment. »

L’espace… Quentin n’imaginait pas de lieu plus hostile que cet océan de vide s’étalant sur des distances faramineuses. Rien ne pouvait survivre ici. Il n’y avait que le noir, le noir, le noir…

Et ce silence…

« On va devoir faire le tour de la zone, annonça Quentin. On se sépare ici et on se retrouve dans une demi-heure. Ne quittez surtout pas la coque des yeux. Il ne s’agirait pas de se perdre dans le vide. »

Chacun emprunta une direction différente. Quentin longea un long tube de métal, prenant garde à ne jamais se tenir à plus d’un mètre de la surface. Heureusement, sa lampe projetait un peu de lumière au milieu de cet enfer sombre.

« Balayez chaque recoin. »

Il utilisa ses propulseurs pour longer un panneau solaire et scruta avidement la zone comme si un ours pouvait s’y terrer.

La solution se trouve forcément ici.

Il ne voyait plus ses coéquipiers situés de l’autre côté de la coque, mais surprenait encore leurs lumières qui se reflétaient sur la surface du vaisseau.

L’Arche est immense. La fouiller entièrement requiert des jours entiers !

« Toujours rien ? questionna-t-il dans le micro.

– Non, répondit Montague. Juste cette putain d’obscurité. »

Martinez garda le silence.

Il doit être terrorisé, malgré la formation de survie en milieu spatial qu’il a suivi.

« Martinez, que voyez-vous ? »

Martinez ne répondit pas. Quentin fronça les sourcils.

« Martinez ? Répondez. Que voyez-vous ? »

Mais Martinez ne dit toujours rien. Quentin sentit son ventre se soulever.

« Martinez ? Vous m’entendez ? Martinez ! »

Il exécuta un demi-tour. La Vigie réclama aussitôt des explications.

« Martinez ne répond plus, fit Quentin. Montague, rejoignez-moi, on va le chercher. Quelle était sa position ?

– Autour du corridor central », répliqua Montague.

Il aperçut la lumière de son lieutenant au loin. Elle se rapprochait de la zone en question.

« Martinez, je répète : m’entendez-vous ? C’est le capitaine qui vous parle ! M’entendez-vous ? »

Il accéléra avec précaution. Tous ses sens étaient en alerte.

« Il a peut-être coupé son micro par mégarde », supposa Montague.

Quentin espéra qu’il dise vrai tout en rejoignant le long tube central qui formait le corps de l’Arche-Rouge.

« Il était par-là ? grogna Quentin, désappointé. Je ne vois aucune lumière ! Ne me dites pas qu’il a aussi accidentellement coupé sa lampe torche !

– Je… je ne sais pas », balbutia Montague.

Quentin fit le tour du tube circulaire en retenant sa respiration. Soudain, il vit se profiler le dos de Martinez, à une vingtaine de mètres de la paroi. La lumière de Quentin éclaira la bouteille d’oxygène qui pointait derrière le corps de l’homme.

« Je l’ai retrouvé ! s’écria-t-il. Rejoignez-moi ! »

Il s’élança vers Martinez en priant pour avoir bien visé. Parvenant à sa hauteur, il s’agrippa de justesse à son bras et ils tournoyèrent quelques secondes avant que les propulseurs intégrés à la combinaison de Quentin ne les stabilisent.

Il remarqua alors que Martinez ne bougeait pas. Le bras qu’il tenait était aussi inerte que celui d’une poupée de chiffon. Il releva sa tête et poussa un cri d’effroi en voyant le visage du jeune homme. La visière du casque avait été percée par un projectile. Son front était barré d’un trou fraîchement coagulé qui ne laissait néanmoins aucun doute sur l’état de l’homme. Il était mort sur le coup. L’estomac de Quentin se révulsa et il faillit vomir.

« Vous voyez ce que je vois ? lança-t-il à la Vigie.

La voix off acquiesça sombrement. Le projectile avait traversé la tête du malheureux de part en part.

« Que s’est-il passé ? interrogea Montague, alarmé.

– Martinez est mort. »

Il entendit le souffle de son collège s’accélérer sous le choc.

« Comment est-ce arrivé ?

– Je ne sais pas. »

Quentin ne comprenait pas. Il savait que des débris traversaient souvent l’espace, mais cette zone en était vierge. Et les ordinateurs de bord auraient dû repérer un projectile de cette taille voilà plusieurs minutes.

« Je ne comprends pas, se lamenta-t-il. C’est tout bonnement impossible. Je… »

Une masse le percuta violemment, le projetant sur le côté. Il sentit des bras l’empoigner et se débattit avec vigueur, en essayant de retrouver ses sens tandis que son corps tournoyait comme une toupie endiablée.

Il s’écrasa contre la paroi de l’Arche et parvint à se libérer de l’étreinte de son agresseur.

« Lumière, lumière ! hurla-t-il dans son micro »

Les lampes torche de sa visière s’allumèrent à pleine puissance, illuminant le visage de son adversaire.

Paul !

Paul Rupiles, le Responsable de vol, se tenait devant lui, la face barrée d’une hideuse grimace. Ses yeux exprimaient une terreur pure que Quentin ne parvenait pas à expliquer. Il essaya de l’attraper pour le maîtriser, mais le pilote se déroba et dégaina une arme de poche. Et le visa.

Les yeux de Quentin s’écarquillèrent tandis que sa respiration se bloquait. Il loucha sur le canon de l’arme pointé sur sa tête et comprit qu’il était perdu.

C’est lui. C’est lui qui tué Martinez. Ce n’était pas un débris, c’était une balle !

Il leva la tête et regarda à nouveau les yeux du pilote. Les pupilles dilatées affichaient une expression que Quentin avait déjà vue quelque part.

La femme aux yeux verts avait le même regard.

Paul était devenu fou. Ce fut la seule pensée que Quentin put exprimer.

Mais alors qu’il attendait son châtiment, la visière de Paul se brisa en mille morceaux. Son visage perdit aussitôt toute expression. Quentin aperçut du sang flotter dans son casque et se durcir instantanément au contact du froid glacial. Derrière les billes de glace qui se formaient sur la peau pâle du pilote, sa tempe droite affichait une plaie béante.

Quentin entendit Montague jurer. La Vigie semblait sur le pied de guerre et hurlait. Mais il se fichait éperdument de ce qu’ils pouvaient bien dire. Il savait juste qu’il n’était pas mort.

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