Le trésor

7 minutes de lecture

Le trajet jusqu’à la ville fut moins long que ce à quoi il s’attendait. Ajay ressentit un soulagement intense en quittant la proximité de sa compagne. Il profita de ce court répit pour s’étirer, inspirer et expirer un grand coup, comme pour tourner la page ou se donner du courage ; ou peut-être les deux à la fois. Il n’était pas dupe. Il avait compris les mots de Coline et le bar devant lequel elle attachait le Turkoman laissait peu de place au doute : ils devaient parler business.


Offrir son trésor à sa sauveuse… Le criminel n’arrivait pas à savoir qu’il s’agissait ou non de la plus grosse erreur de sa vie. Certes, elle l’avait libéré de prison, mais cette folie valait-elle sa fortune ? De plus, elle ne lui avait guère laissé le choix : son argent ou sa vie. Ajay avait hésité avant de rendre à l’évidence : vivant, il pourrait se procurer de l’argent ; riche, il ne pouvait pas s’acheter une vie.


Ajay pleurerait sa richesse envolée en échange de sa liberté, mais une promesse était une promesse. Il était homme de parole, il la tiendrait. De toute façon, il connaissait le sort que lui réserverait Coline s’il se défilait. Il ne voulait pas jouer à ce jeu-là. Elle aimait avoir le contrôle, il ne valait mieux pas qu’il essaie de la doubler ou il était prêt à parier que son corps viendrait nourrir le désert de cendres.


Décidé, le fugitif grimpa les trois marches du perron et tint la porte du bar ouverte pour laisser passer Coline. Sans regard ni remerciement, elle s’engouffra dans le bâtiment en semant derrière elle le cliquetis de ses éperons qui ne manqua pas d’attirer l’attention. Ajay la suivit entre les tables sans un mot et prit soin d’observer chaque client et employé. Il ne remarqua rien de plus suspect que sa complice.

Il s’assit face à elle dans le fond de la salle. Une serveuse ne tarda pas à arriver, arborant des cuisses étonnamment polies et d’une teinte douteuse : une Machin. Coline s’empressa de commander deux verres d’eau pour la faire partir et les laisser à leurs affaires. Ajay ne lui donna pas le temps de débuter les négociations, il prit lui-même les devants :


— Je vais te donner mon argent mais… pour quoi tu en as besoin ?


— Voyons, tu sais bien que, dans ce monde, on a tous besoin d’argent. On peut rien faire sans, répondit-elle vaguement, comme il s’en doutait.


— Oui, mais toi, t’es pas comme tout le monde. Je veux savoir ce que toi, tu vas faire de cet argent.


Un mauvais pressentiment l’invitait à se boucher les oreilles. Son instinct lui criait qu’il ne posait pas les bonnes questions, qu’il n’aimerait pas ce qu’il allait entendre. Néanmoins, il ne pouvait retenir sa curiosité. Il savait que la réponse ne lui plairait pas, mais il voulait savoir. Il s’agissait de son argent, après tout.

Ses mains gantées croisées sur la table, Coline le fixait de ses yeux gris cendre. Comme à son habitude, elle se nimbait d’une aura mystérieuse. Deviner ses pensées relevait de l’impossible. Si, jusqu’alors, Ajay n’avait pu qu’imaginer son sourire dissimulé sous son bandana, le voir en vrai le remua. Il détestait déjà ce sourire. Il dégageait quelque chose de malsain, d’inquiétant, et le criminel savait ce que cela voulait dire.


— Grâce à toi, je vais pouvoir m’acheter ça, dit-elle fièrement.


Sans qu’il ne sache vraiment d’où, Coline sortit un bout de papier qu’elle déplia soigneusement avant de l’aplatir sur la table. En découvrant la photographie d’un grand ciré en cuir, Ajay faillit s’étouffer avec sa gorgée d’eau. Même s’il s’en doutait, il gardait un maigre espoir de se tromper. Il avait prié pour que son argent ne finance pas les goûts farfelus de sa sauveuse. Une fois encore, il ne fut pas exaucé.


— Il t’ira très bien, commenta-t-il.


— Je sais.


Fière d’elle et de son trésor, Coline écrasa le compliment pour se concentrer sur l’image. Elle l’admira quelques secondes puis la rangea, aussi délicatement qu’elle l’avait déballée. Ajay pensait ses mots. Il ne les avait pas réfléchis, mais la vérité était là. Il ne manquait que ce grand ciré au cow-boy pour partir prendre possession du Far West à dos de mustang. Sauf qu’il s’agissait plutôt d’un désert de cendres à dos de Turkoman…


— « Grâce à moi », tout de même… C’est un peu fort. Si ça tenait qu’à moi, je partagerais pas mon trésor avec toi.


— Ne sois pas vilain, écarta-t-elle ses protestations d’un geste de la main. Je t’ai donné un choix, tu as choisi, point. Allons… Partager ? Tu l’as dit toi-même. C’est mon trésor, maintenant. Tu vas permettre à ton héroïne d’accomplir son rêve, tu devrais être content. N’en demande pas trop, tu veux bien ?


— Et si je refuse ? Je peux toujours garder mes secrets pour moi, tenta-t-il, peu convaincu par ses propres menaces.


— Le temps du choix est fini, fais-toi une raison. Tu devrais plutôt cracher le morceau ou ce seront tes dents. Je peux trouver de l’argent ailleurs, tu sais. Mais toi… t’as qu’une vie, ne la gâche pas pour un trésor que tu as toi-même volé à un autre.


Elle avait raison. Il tenait à sa vie plus que tout autre chose au monde. Il était encore jeune, il réussirait à se remplir les poches à nouveau. Il n’accumulerait pas autant d’économies qu’aujourd’hui, mais ce n’était pas plus mal. Même si tout s’achetait en ce monde, il pouvait vivre tranquillement sans être riche. Sa vie serait même plus simple s’il possédait moins d’argent. Il avait une telle somme qu’il devait en cacher une grande partie. Ses déplacements s’en voyaient réduits puisqu’il ne voulait pas s’éloigner de son trésor. S’il gagnait assez pour tout transporter sur lui, il serait libre d’aller n’importe où et pourrait même quitter ce pays.


— Très bien. Je vais te le dire, se résigna-t-il. C’est assez simple à trouver, en vérité. D’ailleurs, si ma cache a déjà été vidée par un autre, je ne te dois rien. Je t’offre mon trésor. C’est pas de ma faute s’il n’est plus là où je l’ai laissé.


— Ce n’est pas très rassurant. Tu aimes jouer avec le feu, on dirait… Il n’y avait pas un endroit moins risqué ? J’ai peur de ne pas être d’accord avec toi. Si je trouve pas ton trésor là où tu vas me l’indiquer, ce sera de ta faute et tu regretteras de m’avoir fait perdre mon temps.


— Crois-moi, je pouvais pas cacher mon butin ailleurs. C’était la meilleure idée. Jusque maintenant, personne ne l’avait trouvé, mais qui sait… quelqu’un est peut-être tombé dessus par hasard.


— L’eau d’ici coûte cher, tu sais ? Si tu veux pas payer le prochain verre, tu ferais mieux de cracher le morceau une bonne fois pour toutes, siffla Coline, les dents serrées d’impatience.


Ajay soupira, les yeux fixés sur le liquide translucide qui tentait de lui renvoyer son image déformée. Il savait qu’il ne lui restait qu’une seule chose à faire : tout avouer. Pourtant, il hésitait. Pour sa vie, il n’avait pas le choix. Il devait le dire. Lui-même ne comprenait pas ce qui le retenait. Coline le tuerait ou torturerait s’il ne faisait pas ce qu’elle demandait. Il lui suffisait de dévoiler le lieu précis et tout serait fini. C’était peut-être ça, le problème. Après tout ce qu’ils avaient vécu… Une douleur incompréhensible pointait derrière ses côtes à l’idée que tout se termine plus vite et plus mal qu’il ne l’imaginait.


— Tu connais le siège du Pouvoir ? se lança-t-il enfin. À une trentaine de kilomètres au sud. Tu peux pas le louper, c’est l’infrastructure la plus bizarre du pays ! Avant les portes de la muraille, il y a un arbre mort peint en blanc qu’ils ont appelé « Gondor » ; soi-disant « l’arbre des rois » de la Terre Originelle, mais à mon avis, c’est que des conneries. Bref, tu pourras pas l’approcher, ils le gardent mieux que l’entrée, mais on s’en fiche. Dès que t’es pas loin, tu te tournes vers l’est. Tu verras une chaîne de montagne au loin. Tu vas par là, tu longes la muraille et tu verras vite un amoncellement de gros rocher. C’est là. T’auras besoin d’un levier solide pour bouger les pierres, mais dès que ce sera fait, mon trésor sera tien.


— T’as caché ton butin sous le nez du Pouvoir ? Sous des rochers ? Et c’est moi, la folle, critiqua-t-elle.


— Personne s’amuse à soulever les gros cailloux sur sa route ! Puis, j’ai toujours habité à deux pas du Pouvoir et ils m’ont jamais trouvé. Ils voient loin, c’est sûr, mais pour ce qui est de leur propre ville… ils sont pas au courant de la moitié des choses qui s’y passent. De toute façon, leur nom, c’est juste pour impressionner. Ils n’ont aucun pouvoir. Des politiques comme les autres. Un peu plus agressifs peut-être. Ils aiment le croire, mais ils contrôlent même pas le pays. C’est qu’une façade pour que les gens cèdent pas à la panique et à l’anarchie. À part ça, ils servent à rien.


— Ils dirigent les prisons de tout le pays. Je suis sûre qu’un bon nombre de leurs résidents adoreraient t’entendre dire des choses pareilles… se moqua Coline sur fond de menaces.


— Prisons desquelles on s’échappe comme on veut ! C’est pas la première fois que je suis enfermé, tu sais. Et certainement pas la dernière fois que je m’évaderai !


— Il vaut mieux pour toi, murmura-t-elle sans qu’il ne saisisse tous les mots.


— Quoi ?


— Crois-moi, si le trésor est pas là où tu le dis, tu hurleras pour que le Pouvoir t’emprisonne au plus vite.


Un sourire innocent aux lèvres, des menaces pleins ses yeux gris, Coline fit s’entrechoquer les verres pour trinquer et but d’une traite son verre d’eau.

Santé !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Epic Whale ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0