La beauté

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Obnubilé par le le retour imprévu de Coline, Ajay en oubliait le reste. Pendant plusieurs minutes, il ne vit plus que les deux yeux gris qui se moquaient de lui. Puis, il se leva, tapota ses vêtements pour enlever la poussière, l’herbe et la terre qui s’y accrochaient. Étonnamment, les quelques particules de cendres qui restaient ne lui laissèrent qu’un agréable sentiment d’accomplissement : c’était fini, il avait triomphé du désert et ne le reverrait plus jamais.


Revigoré par ses pensées, Ajay afficha un sourire victorieux et tendit la main à Coline pour l’aider à se lever. Ce fut à ce moment qu’il le comprit : elle ne serait plus une magnifique paire d’yeux gris coincée entre un foulard et un Stetson…

Tandis que, assise en tailleur sur l’herbe tendre, elle époussetait son Stetson avec une grande délicatesse, le criminel vit les longs cheveux bruns qui reposaient lourdement sur les petites épaules ; le front bombé, les sourcils parfaitement dessinés ; et le nez droit, légèrement retroussé, qui laissait traîner son ombre sur les lèvres rose que Coline, trop concentrée, mordillait inconsciemment.

Lorsqu’elle releva ses beaux yeux, si brillants au milieu de son visage, et sourit à la main qu’on lui tendait, Ajay recula précipitamment. Il hoqueta, sous le choc, et recula à nouveau.


La jeune femme le fixait avec surprise, sans comprendre ce qui arrivait à son complice. Plus exaspérée qu’inquiète, elle se leva d’un bond, tapota son chapeau sur sa cuisse pour retirer la poussière, puis l’enfonça sur sa tête. Ajay, lui, avait cessé de respirer. D’ailleurs, plus rien ne semblait exister autour de lui ; il ne restait que son cœur qui pulsait avec force à ses oreilles et Coline, dans toute la beauté de ses secrets dévoilés.


Ajay se moquait souvent de ses goûts vestimentaires, mais il ravalait tous ses mots et pensées méchants. Son accoutrement lui allait à merveille.

Son Stetson remit en place, elle avait également trouvé le temps de nouer à son cou son bandana dont le bout reposait innocemment entre ses seins, offrent une valeur insoupçonnée à son léger décolleté. Son pantalon en cuir sombre lui serrait tant les jambes qu’il donnait l’impression d’une seconde peau alors que son holster de cuisse mettait en garde les regards imprudents. Ses Santiags présentaient un talon compensé tout à fait curieux tandis qu’une étoile argentée cliquetait sur ses chevilles à chacun de ses pas. Ses gants semblaient ne faire qu’un avec la veste qu’elle portait sur une chemise qu’il jugea être faite sur-mesure tant elle lui cintrait la taille sans lui écraser les seins. Ses épaules semblaient fragiles et donnaient envie de prendre dans ses bras la jeune femme pour la protéger de tout ce qui pourrait la briser. Pourtant, paradoxalement, Ajay sentait une grande force émaner de ses bras fins. Sa poitrine était – comme il l’avait senti à ses dépens – assez petite mais, fière, elle tendait le tissu de la chemise pour dévoiler une courbe tout à fait séduisante. Du reste : son ventre était plat, ses hanches un peu larges et ses cuisses rondes.


Dans ses yeux d’ex-prisonnier, le corps de Coline paraissait parfait et extrêmement aguicheur. De tout ce qu’il avait pu imaginer sous le poncho gris, rien n’égalait la vérité. Profondément choqué, Ajay ne savait plus que regarder et finit par détourner les yeux, embarrassé par ses propres réactions. Néanmoins, en apercevant un mouvement au bord de son champ de vision, il concentra à nouveau son attention sur la jeune femme. Une main effrontément posée sur sa hanche, de l’amusement plein les yeux et un rictus moqueur aux lèvres, elle semblait prête à affronter le monde entier et il sut, à ce moment, qu’il était perdu : elle ne cesserait jamais de l’embêter.


— Je suis plus belle que tout ce que tu as pu imaginer, pas vrai ? se moqua-t-elle en rejetant ses cheveux derrière son épaule. Pauvre Ajay, je pourrais être tentée de te faire payer juste pour regarder, tu sais…


Comme toujours, elle disait la vérité : elle était plus que tout ce qu’il avait imaginé. Pourtant, quelque chose l’empêchait de se sentir attiré. Au contraire, il lui semblait être repoussé, il voulait fuir cette sublime créature. Ajay ne comprenait pas tout à fait ce qui sonnait faux, ce qui paraissait assez étrange pour lui faire peur, le contraindre à la prudence. Quelque part, ses vêtements lui allaient trop bien. Ils ne semblaient pas avoir été faits pour qu’elle les porte, mais Coline elle-même paraissait être née pour les porter ; c’était précisément ce qui le chiffonnait et renforçait la question sans réponse qu’il ne cessait de se poser : qui était-elle vraiment ?


— Bon, si t’as fini de m’admirer, on pourrait repartir, non ? déclara Coline sérieusement. Nous devons rejoindre la ville la plus proche. Sur place, nous n’aurons plus qu’à parler trésor – t’as pas oublié ta promesse, pas vrai ? – et… vendre quelques trucs. Ensuite, tout ceci sera fini. Pas d’objections ?


— Non.


Le criminel aurait bien aimé lui poser quelques questions ; comme ce qu’elle avait fait aux gardes, qui elle était, pourquoi l’avoir sorti de prison et l’intérêt d’une paire d’éperons quand on monte un chameau. Il savait, pourtant, qu’elle ne lui répondrait jamais ou de façon évasive et détournée. Il préféra s’abstenir et s’efforça de trouver les réponses à ses interrogations de lui-même. Au moins cela lui permettait-il de se concentrer sur autre chose que la peau nue qui, étonnamment propre, captait le moindre rayon de soleil et le renvoyait aux quatre coins du monde pour implorer Ajay de la toucher.


Il aurait presque pu demander à Coline de se rhabiller comme avant, avec son poncho gris et son bandana remonté sur le nez, s’il n’avait pas su qu’elle en profiterait pour se moquer de lui. Il se contenta de concentrer son attention sur les mouvements du Turkoman, fermer les yeux et écouter le sifflement du vent, en attendant, les bras croisés sur le torse, que la ville arrive et lui offre, sinon un salut, un répit tant attendu.

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