Les adieux

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Ils s’en étaient sortis. Ajay ne savait pas comment ils avaient réussi. Ils étaient encore dans le désert de cendres, mais ils en réchapperaient bientôt.


Comme demandé, le criminel avait déterminé la direction des ondes et ils les avaient suivies toute la journée dans un silence lourd de menaces. Ajay avait peut-être laissé Coline les mener, mais il voyait toujours la silhouette de la mort trottiner à proximité. Il maudissait sa soi-disant sauveuse sans trouver le moyen de prendre le contrôle de leur folle aventure. Il s’était contenté de garder un œil sur les ondes – au cas où le Turkoman s’amusait à dévier – et avait gardé pour lui ses mauvaises pensées.


La température du désert diminuait à la tombée du jour. Coline choisit ce moment pour imposer à l’animal une trajectoire perpendiculaire à la précédente, direction les montagnes. Le criminel dut redoubler de vigilance pour s’assurer que les ondes glissaient sous le ventre de la bête et pas de son arrière à son avant-train, voire pire : l’inverse. Jusque là, Ajay avait su garder un semblant de calme, stress et peur enfouis au fond de lui. Cependant, l’alarme cessait de résonner la nuit de son activation. Quand cela arriva, il ne put retenir un gémissement de désespoir et une avalanche d’insultes adressée à la cow-boy. Elle se contenta de désigner une ombre dans le gris de la cendre : les montagnes. Requinqué, le criminel changea de comportement du tout au tout et la pressa de les y mener au plus vite.


Falaises atteintes, ils montèrent le camp malgré le danger des bêtes sauvages. Face aux protestations du criminel, la jeune femme répliqua qu’ils ne pouvaient pas planter la tente trop près de la frontière du désert, mais qu’ils en étaient assez près, maintenant, pour ne pas avoir à craindre les animaux qui traînaient dans les montagnes. Ajay voulut lui rappeler le « pas trop » qui avait agrémenté ses propos, mais se retint. Il savait, avant de le dire, qu’elle ne lui répondrait pas. Il préféra aller dormir plutôt que de la voir hausser les épaules à nouveau.


La température remontait avec le lever du soleil. Ils attendirent ce moment pour reprendre leur voyage en longeant les montagnes. Avant de partir, Coline promit à Ajay qu’ils passeraient la bordure du désert dans la journée et celui-ci se sentit naître un nouvel espoir en montant sur le Turkoman. Tiraillé par ce sentiment, il passa les dernières heures à lorgner l’horizon en priant pour que la cendre disparaisse au plus vite.


Une fois encore, ses prières furent inexaucées…


— On s’arrête ici, avoua Coline en stoppant la marche de leur monture.


— Quoi ? Mais non ! T’as dit qu’on était bientôt sortis… On peut pas s’arrêter maintenant ! se plaignit Ajay, paniqué à l’idée de passer un jour de plus dans le désert.


— Justement. Si tu veux sortir du désert libre, pas avoir fait tout ceci pour rien, alors on s’arrête. Ici. On est arrivé jusque là, tu peux pas tout faire foirer maintenant.


L’on ne lui donnait pas le choix, de toute façon. Il n’arriverait pas à la raisonner et doutait être capable de diriger le Turkoman sans elle. Il pourrait partir à pied, mais sans être certain d’atteindre la bordure du désert, il était hors de question qu’il essaie. Ajay cessa de se plaindre, à court d’alternative, et croisa les bras sur le torse en attendant les explications qu’elle donnerait. Elle devait lui en donner.

Il se tenait tout de même prêt à fondre, au moindre mouvement suspect, sur les bagages qui l’entouraient. Depuis la veille, il trouvait son équilibre sur le dos de la bête et ne s’accrochait plus à Coline pour ne pas tomber. Pour autant, il n’était pas serein et ne faisait ni confiance à l’animal ni à sa capacité à tenir en place. Une grande partie de son attention était ainsi tournée, plutôt que sur les mots de sa sauveuse, sur les mouvements devant et sous lui, et le chemin le plus sûr jusqu’aux bagages. Il ne voulait ni tomber, ni poser ses doigts là où il ne devait pas. Il avait assez donné comme cela.


Un cri de surprise lui échappa quand il vit Coline passer une jambe par dessus le cou de l’animal et sauter à terre. Le Turkoman ne se coucha pas et se contenta de mâchouiller d’un œil endormi. Il ne pouvait pas descendre ! S’il se sentait plus d’assurance sur le dos de la bête, l’abandon de Coline ramena à lui la panique. Il ne pourrait jamais contrôler sa monture ! De plus, il restait persuadé que cette dernière le détestait et ferait tout son possible pour lui faire peur ou, mieux, le désarçonner.


— Qu’est-ce que tu fais ?! Fais-le se coucher, laisse-moi descendre… implora-t-il d’une voix tremblante.


— Du calme, Ajay. Tu tomberas pas. Accroche-toi à cette corde si t’as peur, dit-elle en nouant au cou de l’animal la corde qu’elle portait jusqu’alors à la taille. Tu dois rester sur le Turkoman. Tu ne dois surtout pas descendre ! Fais-moi confiance, j’ai un plan, mais pour le mener à bien, j’ai besoin que tu restes là-haut. C’est bien compris ?


Il hocha la tête malgré lui. Parce qu’elle lui avait promis la bordure du désert et qu’il s’accrochait à ce mince espoir, il voulait la croire. Si cela n’avait pas été la fin de leur périple en pays hostile, il n’aurait rien écouté et se serait contenté d’exiger et de se plaindre. Il s’imaginait déjà, sorti de cet enfer, tout sourire à l’idée d’être enfin débarrassé de cette maudite cendre.


— Écoute-moi bien, reprit Coline. Je vais partir la première. Il y a des gardes de ce côté-ci, je vais les distraire pendant que tu passeras. Couche-toi sur le Turkoman et ne touche à rien. Il va longer la montagne de lui-même. Tu dois partir d’ici vingt minutes après moi, d’accord ? Resserre les jambes quand tu voudras avancer, il comprendra. Tu le laisses longer la falaise pendant une demi-heure puis tu pourras te redresser. Encore dix minutes environ et tu verras un ruisseau. Attends-moi là-bas, je t’y retrouverai. Compris ?


Que pouvait-il dire de plus ? Il acquiesça docilement, le corps paralysé à l’idée de se retrouver seul avec la bête étrange qu’il montait. N’allait-il pas tomber au premier pas en avant ? Pouvait-elle lui assurer que l’animal ne partirait pas dans un galop farouche en l’éjectant de son dos ? Finalement, ce n’était pas la cendre qui allait le tuer, ni Coline, c’était le Turkoman !


— Du calme, poule mouillée, le taquina-t-elle, amusée. Tout va bien se passer. Je te promets qu’on se retrouvera de l’autre côté sains et saufs. Tiens, prends ça. (Elle lui tendit la montre.) Elle s’est remise à fonctionner dans la nuit. C’est pas la bonne heure, mais elle t’indiquera les minutes. Et, Ajay… je suis sûre que la chauve-souris a un sens. Comme… je sais pas… un sauveur ou un super-héros. De ce genre-là, quoi. Tu crois pas ?


Le vide se fit dans l’esprit du criminel. Ses mots… ne ressemblaient-ils pas à des mots d’adieux ? Ce genre de phrases un peu bizarres que sortent les héros avant de mourir. Allait-elle l’abandonner ici pour ne plus jamais revenir ? Il ne voulait pas y croire. Après tout ce qu’ils avaient vécu… devait-il être heureux ou malheureux ? Il n’arrivait à être aucun des deux. Un néant infini s’emparait de lui. Il n’était pas sûr et cette incertitude le plongeait dans une léthargie effrayante. Il n’eut pas conscience de tendre la main pour attraper la montre, pas plus qu’il ne sentit Coline enfoncer son Stetson sur son front de criminel. Il ne la vit pas non plus s’écarter pour retirer son foulard, son poncho et accrocher le tout sur la selle du Turkoman. C’est à peine s’il la vit s’enfoncer dans le voile de cendres et disparaître.


Pouf. Juste comme ça.

Disparue.

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