29 : Fuir la folie des hommes

2 minutes de lecture





Très près du rio Pichileufu, un terrain accidenté semblait attendre leur venue. Le fond des cuvettes était riche, fertile, recouvert du sable noir déposé après la dernière éruption volcanique. En ces endroits déjà cultivés croissaient l'herbe grasse, les froments et les maïs. Sur les coteaux, véritables amas de pierraille, les parcelles restaient disponibles pour ceux qui prenaient la peine de les ensemencer. La terre de Patagonie, sur laquelle ils avaient établi leur campement encore provisoire, n'était pas bonne, certes, mais l'homme voulait l'arranger à sa façon, car il en était l'occupant attitré.

Alors, chaque jour, il arrachait pierre après pierre pour tenter de semer un peu de maïs quelque part. Il y avait l'homme qui défrichait, la femme qui cultivait. Il partait de bonne heure, emportant ses empanadas, sa yerba maté. Et tape que je te tape. L'homme ne prenait pas le temps de regarder voler les mouches. Il était, à ce qu'on m'a raconté, issu de la communauté mapuche, un natif comme sa compagne. De vraies bêtes de somme. Tout juste s'arrêtait-il pour déguster son maté.

Pourtant, lorsque le soleil atteignit le zénith, il entendit des coups de fusil, du côté de l'estancia Carmelita, la fabuleuse demeure des riches propriétaires dissimulée derrière le rideau de peupliers. Il observa dans cette direction, mais ne remarqua rien, sinon s'enfuir autruches et guanacos en quête de coin tranquille. Il n'était pas rare dans ce pays d'organiser des tirs sur les bêtes sauvages. Toute la journée, il entendit les coups de feu qui résonnaient de ce même côté, et ce, jusqu'à la tombée de la nuit.

De retour dans sa masure, il retrouva sa compagne qui l'accueillit à bras ouverts, trop contente de revoir son époux. Nos voisins se sont bien amusés lui dit-il. Ils n'ont pas cessé de tirer des coups de fusil. Malheureux, répondit-elle dans un sanglot. Elle l'étreignit plus fort que jamais. Elle lui révéla avoir pleuré tout le jour, et le pria de ne jamais retourner dans son champ. Tes patrons de l'estancia t'ont-ils maltraité ? lui demanda-t-il perturbé par cette tristesse. Non mon ami, mais les balles t'étaient destinées. Avec leurs invités, les colons de la grande ville, ils essayaient de toucher l'homme bronzé qui ramassait les pierres. La cible humaine ne se rendait compte de rien, piochait de droite et de gauche toujours en avançant. De temps en temps, il s'arrêtait pour souffler ou boire son maté, et semblait tendre l'oreille de notre côté. Lorsqu'il m'ont forcé à tenir le fusil à mon tour, je me suis évanouie. Mon chéri, ne retourne pas dans ce maudit champ. Partons d'ici.

Dans l'heure même, ils harnachèrent leurs chevaux et abandonnèrent leur masure.

Revêtue de sa blanche toilette de nuit, la lune silencieuse éclaira l'équipage à la recherche, plus au sud, d'une terre certes moins fertile, mais moins dangereuse.

Ça s'est passé comme ça pour ces gens-là.

Annotations

Vous aimez lire bertrand môgendre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0