27 : Prémices du best-seller

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L'homme demeure assis, immobile, bras ballant de chaque côté du fauteuil. Le parquet à chevrons limite la profondeur de champ. Dans le prolongement de la main gauche, toujours inerte, s'enivre un verre de whisky dont le contenu, étalé au sol, se gorge de lumière matinale. C'est l'heure précise où le soleil troue la grisaille du rideau autrefois léger, vaporeux tel qu'il apparaît sur la photo de famille encadrée et suspendue au mur.

– Un mur vertical, c'est banal, non ?

– Ce qui l'est moins c'est la rigidité du bonhomme tout aussi froid que les touches de sa machine à écrire.

Une chambre ordinaire, dans une maison tout à fait banale. Seule originalité, le chien miaule. Il miaule à la manière d'un chat devant son écuelle de lait, même s'il sait d'avance qu'il la boira. La truffe pointée sous le bas de la porte, l'animal renifle une odeur familière. Un bruit de pas, une voiture qui stationne, le vent dans les feuilles des arbres rougis par l'automne, tout est prétexte à agiter sa queue d'épagneul pas breton, mais presque.

– Pathétique.

– Quoi ?

– Ton humour... ça passera jamais.

– Je continue.


Hurler à la mort toute la nuit n'avait servi à rien sinon attiser la colère du voisin Pierre. Ce fut de ce même Pierre que provint sa délivrance. Pas sans mal. Parfois le silence attire l'attention de ceux qui se saoulent de bruits. Après vingt-quatre heures de colère contenue, le râleur de voisin, toujours nommé Pierre depuis le jour de sa naissance survenue dans la douleur inhospitalière d'une chambre d'hôtel, le susdit donc, se présenta de bon matin sur le perron de la maudite maison. Il s'irrita de n'obtenir aucune réponse à ses coups violents assénés contre la porte d'entrée. Ses jurons fleuris de menaces et autres amabilités ordurières attisèrent la verve du clébard trop heureux de partager enfin un peu de conversation avec une aussi grande gueule. L'échange s'essouffla un instant avant de reprendre vigueur la minute suivante. Ce fut une femme qui vint apaiser les esprits chauds du chien et de l'homme.

– La femme...

– Introduire une femme dans un texte donne au spectateur ou à la spectatrice un moyen de s'identifier à un nouveau personnage qui sera, je l'espère, un événement majeur dans cette histoire.

– La femme... Prénom ?

– Êve ?

– Mouais. Reprends.

Êve se présenta en simple tenue de nuit, vaporeuse comme il se doit, transparente à souhait, dissimulée fort heureusement par un déshabillé tout aussi léger. La présence féminine troubla la vue de l'un des comparse, l'odorat de l'autre. Par chêne interposé, ils entamèrent un interrogatoire à bâtons rompus. Elle traduisit les couinements du chien par autant de réponses alarmantes aux questions posées et conclut à l'urgence d'enfoncer la porte. La brute saisit l'occasion pour attirer l'attention de cette voisine bandante en remuant les mécaniques. Il n'hésita pas à forcer le trait, quitte à se démettre une épaule. L'huisserie ne résista pas aux coups de butoir du rustre mâle excité par l'originalité de la situation. Sans doute paraissait-elle nue sous sa robe de chambre, mais elle aussi aurait pu conclure de même à propos de son acolyte pourtant bien enveloppé par les innombrables bières ingurgitées devant son poste de télévision.

Le chambranle arraché, le chien bouscula Caillou...

– Non Pierre...

– C'est pareil, le nom des personnages reste accessoire.

– Bon, alors déjà que tu abuses du cliché du voisin beauf gavé de télé-divan-pizza-bière, en plus si tu lui attribues un rôle d'objet volumineux sans intérêt, ça va pas le faire.

– Tu as raison. Bref.
Pierre, le type, déséquilibré par la rupture de la forte résistance précédemment éprouvée, roule-boula et se retrouva cul par-dessus tête, la jambe gauche vrillée autour du cou et la main opposée fracassée par autant de kilos à supporter.

À moins que ce ne soit l'inverse... la droite...

– Non, c'est bien la jambe gauche...

– J'admets, cette scène va être difficile à jouer pour un acteur de base.

– On commandera un cascadeur.

– Notre budget va exploser !

– Basta ! Lis la suite. Pierre qui roule n'amuse pas des masses.


En contre-plongée marinent de vagues relents de port de pêche, genre vieux maquereaux véreux abandonnés aux mouettes.

– Palsambleu ! Que vient faire Marine dans le texte ? Faut arrêter-là. Ça dégénère.

– C'est trop bête. On avait tout : le vieux romancier, le chien, la brute, la fille. Nous manque juste l'histoire d'amour et le mort.

– C'est pas le type du début ?

– L'amoureux voisin ?

– Non, le mort dans le fauteuil.

– T'es sûr qu'il est mort ?

– À la morgue, j'ai choisi du refroidi, du sur-mesure, c'est du garanti raide de chez raide.

– Mais alors pouquoi il bouge ?

– Qui ça ?

– Ben celui qui se dresse derrière toi ?

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