15/1 : Endive braisée... envie de baiser

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Harold se pencha et gratta sa cheville nue.

– Putain, mais c'est comment déjà, le nom du type qui l'entretient ?

Le grattage s'effectuait mécaniquement sur la peau irritée.

– C'est à Mickael que tu penses ? demanda Fleur d'oranger.

La peau irritée l'irritait.

– Hum...

– Il doit être cuisinier à Vancouver, si telle était ta question suivante, lui précisa-t-elle.

– Mais bon Dieu oui ! Le cui-si-nier Mi-cka-el.

Fleur d'oranger afficha un léger rictus. Elle constata le rougissement cutané de la cheville de l'homme. Celui-ci entreprit de s'attaquer à un bouton positionné dans l'axe du tendon d’Achille. Les légers coups d'ongles auraient tôt fait de venir à bout de l'excroissance. Elle détourna le regard et lui demanda en fronçant les sourcils.

– Comment as-tu su pour Mickael ? Je ne t'en ai jamais parlé, je ne t'ai jamais croisé avec lui. Sans avouer que je partage une bonne partie de mon temps avec ta belle-mère, je pense que je me souviendrai de votre rencontre.

– Depuis que le vieux a cassé sa pipe, je ne suis plus retourné dans cet appartement avec cette vieille folle obnubilée par l'héritage.

– Tu ne réponds pas à ma question.

– Au resto, quoi !

– Lequel ?

Avec les deux mêmes doigts actifs, il extirpa une cigarette de la poche poitrine de son vêtement. L'état déplorable de l'objet, à l'origine cylindrique, prouvait que Harold avait dû l'oublier depuis un certain temps et qui sait même s'il n'avait pas dormi dessus.

– Passe-moi les allumettes.

Fleur d'oranger les lui tendit de rang. Il alluma sa cigarette, tira une bouffée, profonde, replaça l'allumette consumée dans la boîte avant de la balancer sur la table. Tout comme la tartine de confiture qui tombe sur le carrelage toujours du mauvais côté, la boîte se vida de son contenu après avoir heurté le coin du meuble.

– Fais chier.

Harold rejeta la tête en arrière, souffla lentement par la bouche l'énorme quantité de fumée aspirée dès la première bouffée, puis l'inspira à nouveau par les narines. Il continua de fumer ainsi « à la française ».

– N'est-ce pas à moi de poser les questions ? J'y pense, comment se fait-il qu'une femme comme toi s'occupe de ma belle-mère ? D'où viens-tu exactement ? Je ne sais rien de toi. C'est incroyable, je suis entouré d'inconnus.

Les yeux de Fleur d'oranger s'éclipsèrent, effleurant au passage la pointe de sang qui perlait à la base du mollet poilu.

– Mon travail consiste à répondre aux demandes de ceux qui souhaitent se détendre. Ta belle-mère en avait besoin. Toi aussi. À présent reprenons la séance, si tu le veux bien.

Harold se leva, remua sa nonchalance, puis entraîna dans son sillage un air soupçonneux. Un des pans de sa robe de chambre laissa entrevoir l'infiniment cru de sa nudité. Il s'en gratta les glanduleuses proportions.

– Pause cigarette terminée, Harold. Il tira une dernière bouffée et d'une pichenette bien ajustée, il envoya « vire-voler » le mégot bien au-delà du balcon. Il se dévêtit, s'approcha de la croisée.


***

– Quatrième étage, troisième fenêtre gauche, homme blanc, type caucasien. À vous.

– Il est nu ? À vous.

– Probable oui. À vous.

– Cible verrouillée. À vous.

– ...

– Cible verrouillée. Je répète : cible verrouillée. À vous.

– On attend les ordres. Reste en position.


***

Était-ce l’œil vitreux qui observait les lettres tracées sur la buée du carreau ou l'inverse ? Fort de cette inadéquation langagière, il s'allongea sur la table de massage.

– Non, non, pas sur la table. Nous sommes enfin parvenus à la sixième partie du travail : débloquer, manipuler. Tu vas par terre.

– Sur le carrelage ?

– Tu veux que j'installe le tapis ?

– À ton avis ? Hein ? Ben oui, quoi ! Je vais pas me peler les roustons pour tes beaux yeux !

***

– … Alors quoi ? À vous.

– Attendez instructions.

***

Elle déroule la carpette avant qu'il ne se couche sur le ventre.

– T'inquiète, ça va vite calmer tes ardeurs. Allez, un peu de courage. Comme tu as effectué correctement les exercices précédents, tes muscles sont chauds et bien disposés, nous allons débusquer le mal en profondeur.

– Tu sais que tu fais peur avec tes sous-entendus : débusquer le mâle en profondeur.

– Harold... Concentre-toi. Ton esprit mal placé te jouera des tours.

***

– … Je perds le contact... La cible m'échappe. Et la fille ? À vous.

– Avec nous... On remballe. À vous.

– Quoi ? Nous c'est vous ? À nous... Heu non, à vous.

– Oui ! Vous c'est nous. Opération annulée, je répète, opération annulée. À vous.

– Bien reçu !

***

Fleur d'oranger positionna Harold les bras étirés sur le devant, mains jointes, le plus loin possible des épaules. Elle lui demanda de garder la tête relevée tandis qu'elle s'assit sur son postérieur. À l'aide de ses deux poings, elle pratiqua des appuis de chaque côté de la colonne vertébrale. Peu à peu, elle poussait avec la force des avant-bras, puis des épaules et enfin du buste jusqu'à trouver un bon équilibre entre la pression exercée et le massage en profondeur. Doucement, elle assouplit le dos jusqu'aux cervicales sans que Harold n'émette aucun son, hormis les expirations prolongées exécutées sous son autorité. L'homme était à point.

– À présent, tu croises tes bras sous ta poitrine. Relève le buste. Maintiens cette position. Je vais me mettre debout sur toi. Je commence par te masser les pieds... avec les miens... puis les mollets... les cuisses et je remonterai ainsi jusqu'au sacrum. À la prochaine étape, nous travaillerons le dos, sans brutalité, en souplesse.

Fleur d'oranger se rendit compte qu'elle viendrait à bout de sa mission sans trop de difficulté. L'homme était à sa merci. Elle posa son pied à la base de la nuque. Il lui suffisait de glisser violemment en remontant vers la tête pour lui briser le cou. Net et sans bavure. Elle déporta son poids sur la jambe gauche pour libérer la droite et parvenir à ses fins.

Le carillon de l'entrée retentit. La soudaineté du réveil fit perdre l'équilibre à Fleur d'oranger au moment où Harold se releva brusquement. Elle chuta tête la première contre le radiateur en fonte. Pas angoissé un seul instant par son geste malencontreux dont il n'avait pas mesuré les conséquences, il se présenta devant le visiteur.

– Bonjour Monsieur, je me présente, Mickael le cuisinier.

Harold serra ses mains dans les siennes et le regarda droit dans les yeux. Si cet homme n'avait pas eu quinze ans de plus que lui, on aurait pu jurer qu'il tentait de le séduire. Il aimait regarder les personnes de cette façon, franche et déterminée. Harold était un séducteur dans l'âme, il aimait séduire celles et ceux qui gravitaient autour de lui, jeunes et vieux, grands et petits, beaux ou laids, femmes ou hommes, il avait besoin d'être regardé, admiré en attirant l'attention sur lui.

– Sur le conseil de Madame Chasen, votre belle-mère, je viens vous présenter le menu de ce midi : en entrée, des coques.

– Au vin ?

– Non, ce sont des fruits de mer.

– Mangez léger m'a t-on suggéré depuis peu.

– Alors je vous invite à déguster la palourde.

– C'est pas cuit ?

– Non.

– J'avais cru.

– Très digeste, la chair fraîche vous apportera une vigueur durable, quoique, à vous découvrir ainsi équipé...

– Grand sot que tu es Mickael. Que proposes-tu comme plat du jour ?

– … Envie de baiser... euh pardonnez-moi, je voulais dire en-dives brai-sées.

– Tu es tout pardonné, je comprends ton trouble, surtout devant tout cet attirail dont je ne sais que faire.

– Monsieur Harold, j'ai comme l'impression que vous êtes doté d'une capacité naturelle peu ordinaire. Sont-ce les massages de ma collègue Fleur d'oranger qui vous revigorent ainsi ?

– Fleur d'oranger ? Ah oui, mince, je l'avais oubliée.

– Mais où est-elle ?

– Oh regardez-la, la pauvre, elle ne bouge plus, on dirait.

Mickael s'agenouille près de la femme inanimée.

– Je crains qu'il n'y ait plus rien à faire pour elle. Soit. Je m'en occupe, j'appelle les pompiers... Commencez à déguster les coques.

– J'enfile un justaucorps et je m'attable.

– Gobez-en une petite pour commencer, vous verrez ça passe tout seul.

– Il faudra m'expliquer un jour par quel tour de passe-passe tu es entré dans le cercle très fermé de ma belle-mère.

– Je n'y manquerai pas, Monsieur Harold.

– Zut, je n'ose pas... Crotte, elle m'échappe. Montre-moi Mickael.

– Je n'oserais pas non plus, Monsieur Harold.

– J'insiste.

– L'usage me l'interdit.

– Goûte !

– C'est à dire que je n'ai pas très f...

– Serais-tu bête au point de refuser de m'aider ? Démonstration !

– ...

– Presto !

– ...

– Je te l'ordonne !

– Puisque monsieur l'exige... Slurp... Voilà, il suffit de gober et... Ho... Ho...

– Qu'y a t-il mon ami ?

– Ça brûle...

– Ah ! Vous parlez d'une recrue.

– Ça brûle de plus en plus.

– Je la croyais froide.

– Je... suis... re-cuit.

Mickael s'écroule tout près de Fleur d'oranger. Intrigué Harold repousse le plat loin de lui. Il téléphone à sa belle-mère.

– Holà ! Que se passe-t-il ? Me voilà avec deux cadavres sur les bras.

– Mon Dieu Harold qu'as-tu fait ?

– Rien je vous assure. Je suis victime d'un fâcheux concours de circonstances...

– Prends la voiture qui t'attend en bas de chez toi. Je te rappelle que nous avons rendez-vous chez le notaire.

– Pour quoi faire ?

– Un arrangement à l'amiable avec les directives de feu ton père.

– Soit. C'est bien pour vous que je viens, certainement pas pour l'autre apôtre, l'enfer ait son âme.

– Respecte-le, même s'il ne t'aimait pas, en public la réciprocité ne devrait pas s'envisager. En privé, les rancœurs peuvent s'exprimer avec tact, tu le sais.

– Oui, belle-maman.

( à suivre)

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