11 : Soigne ton porc

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La fermière, madame Frelequin, remplit les seaux de bouillie préparée par Franz, jusqu'à ras bord. Elle saisit les quatre anses de part et d'autre entre ses mains aux vilains doigts tordus par l'arthrose. Ses deux bras ainsi lestés soulèvent délicatement leur charge soit environ sept kilos par récipient. Le dos bien droit, elle se dirige d'un pas décidé jusqu'à la porcherie. Sa prestation se veut démonstrative, en vue de m'expliquer une partie de mon travail à accomplir tous les matins.

En un seul voyage, elle peut alimenter ainsi les quatre truies. La cinquième n'aura rien aujourd'hui. Non seulement parce qu'elle n'a pas faim, mais surtout parce que ses chaleurs la dérangent. C'est elle qui couine, à la manière d'un appel au mâle. Sa nature enflée, tendue, attend d'être apaisée. Les verrats lui répondent en imitant le même grouinement. Et ça chante drôle sous ces toits, et ça s'interpelle entre celles qui se goinfrent, la gueule enfarinée, et ceux qui se promettent bien du plaisir à partager par-delà les murs de leur prison.

En effet, l'espace clos dans lequel ils vivent séparés ne peut être qualifié d'hôtellerie cinq étoiles. La disposition en ligne des cellules bétonnées ressemble à s'y méprendre au couloir de la mort, les barreaux en moins. Côté confort, rien à dire. L'eau courante du ruisseau court ; la carrée est briquée chaque vendredi soir ; la nourriture à volonté contente les résidentes qui apprécient le lieu. Chaque case dispose d'un trou suffisamment large pour obtenir la qualification de maternité. Ainsi, bien à l'abri du vent et de la pluie, les mères non attachées mettront bas leur portée d'une douzaine de petits. Elles les élèveront jusqu'au stade du sevrage soit environ quarante-cinq jours après la naissance. Les porcelets migreront dans une cabane collective pour y être engraissés au sec, au chaud, disposant s'il vous plaît d'une sortie extérieure pour exercices en plein-air.

Mais avant cela, il faut passer par la saillie. C'est ce dont s'occupe à présent la fermière aidée de son commis. Franz attache une corde autour du cou du reproducteur le plus ardent, le sort de la verraterie et le dirige au centre de la cour, le seul endroit pourvu de gravillons. Madame Frelequin amuse la truie avec un peu de grain. La femelle, légèrement efflanquée, reste indifférente. Elle a senti l'odeur du mâle. Elle grouine à son approche, s’immobilise. Les pattes fixées au sol, elle courbe le dos comme pour accepter le verrat, ses oreilles se dressent en arrière, elle se laisse renifler, lécher, bousculer. La tendresse n'est pas son fort, pourtant, le reproducteur – de la famille des large withe – colle sa tête contre le flanc de sa promise, interrompt son énervement, à la manière d'un prétendant qui demanderait la permission à sa dulcinée. La non réponse de la courtisée signe l'accord tacite entre adultes consentants. L'assaut bestial se déroule sous le contrôle des paysans. La truie bien campée sur ses pattes ne bouge pas d'un poil tandis que le gros porc, bien plus lourd qu'elle, tente d'introduire son dard en érection. Quand je dis dard, c'est une figure de style, mais au diable cette formulation hasardeuse, car dans le cas précis il convient d'employer le mot queue en tire-bouchon. Dans ma jeunesse, j'avais toujours rigolé en voyant remuer la queue des cochons. Ce que je ne connaissais pas, et que je découvrais entre les doigts de madame Frélequin, c'est le pénis comique du verrat. N'allez pas lui dire, il pourrait se vexer, le bougre, au risque de couper court à ses élans passionnés et de rater sa saillie.

Pour éviter qu'il ne se casse la verge, la fermière guidait la fouge du mâle jusqu'à l'introduire dans la nature de la truie en pleine effervescence, dégoulinante à souhait. L'Henri c'est un doux, c'est pas un brutal comme l'Eugène. Il est long, mais doux. Elle m'en parlait comme s'ils étaient humains. Alors je repense, bien malgré moi, au roman de Céline Minard « le dernier monde », dans lequel les porcs dirigent le monde. Je n'ai pas aimé.

Ainsi accouplés, les deux amoureux ne bougèrent plus, si ce n'est pour rattraper une perte d'équilibre. À les voir ainsi, lui chevauchant sa promise, elle émettant sa satisfaction, je m'aventurai à comparer ce genre de rapport à ceux que j'avais pu observer auparavant entre bélier et brebis, ou étalon et jument. Puis me revinrent les séances d'inséminations artificielles pratiquées à la chaîne dans l' élevage intensif de Belgique. Usine au milieu de laquelle, avec mon tracteur, je brassais la merde de porcs en souffrance. Je repensais à toutes ses truies attachées, immobilisées...

La copulation dura une bonne dizaine de minutes. Les deux bêtes furent séparées, remisées chacune dans leurs appartements. Demain, ils se remettront à manger, et dans trois mois, trois semaines et trois jours, des petits porcelets naîtront.

Madame Frelequin et Franz le prisonnier allemand ont disparu. Quant aux petits cochons, ils finirent en saucissons.

Ça s'est passé comme ça, chez madame Frélequin.

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