8 : La mère morte

8 minutes de lecture

Avertissement :

les noms des personnes et des lieux ont été modifiés afin de ne pas perturber la vie des personnes survivantes à ce drame inqualifiable.





Dans la forêt lointaine,

On entend le coucou,

Du haut de son grand chêne

On entend le hibou.


***

« Aviez-vous l'habitude de laver votre petit fils ?

— Oui, à chaque fois qu'il venait à la maison. »

***

Martine est originaire de la petite ville du Dorat dans le Limousin. Issue d'un milieu modeste, elle prit un plaisir fou à étudier, étudier, étudier jusqu'à – dans les années 80 – sortir major de sa promotion à l'Ensci, l'école de formation des spécialistes de la céramique industrielle et des matériaux en général.

***

« Martine ! Martine ! Qu'est-ce que tu fous ! Fais pas ça Martine, fais pas ça ! »

***

Le milieu industriel demande des compétences techniques, mais pas seulement. Martine, femme de caractère, évolue dans un milieu macho. Sa carrière professionnelle pourrait se résumer dans ses choix de mise en place de projets d'investissements, son aptitude à collaborer avec l'équipe de management, puis son orientation finale vers la formation des techniciens de production.

***

« Vous le laviez au gant de toilette sous la douche ?

— Dans la baignoire, c'était plus commode. En plus, il adorait barboter dans l'eau après que je l'ai savonné.

— Avec le gant de toilette ou à la main ?

— Oui, je le savonnais à la main, comme je l'ai fait avec mes enfants, comme ma mère me l'a fait et comme la grand-mère l'a fait à sa fille et à ses garçons. »

***

« Mais c'est mon fils, tu comprends bertrand ? Mon propre fils, la chair de ma chair circule en lui mon propre sang.

— Martine, calme-toi. Tu m'as envoyé un message. Mon sang n'a fait qu'un tour. Alors descends de là vite fait et explique-moi. Tout, depuis le début. »


***

« Ce sont des habitudes qu'il faut abandonner. À présent les enfants ne doivent pas être nus en présence d'un adulte

— Mais je suis sa grand-mère !

— Ils ne doivent pas être nus et porter un slip, ou une culotte et une brassière pour les filles !

— Quoi ? »

***

« Je désire comprendre tout ce qui t'arrive.

— Non, tu ne peux pas comprendre ! Mon propre fils me rend folle. Tu le comprends ça !

— Je suis là, Martine. Tu m'as appelé, je suis venu de suite.

— Je n'ai plus aucune raison de vivre.

— Si tu fais cette bêtise, je n'existerai plus sans toi. J'ai besoin de toi Martine, moi et ceux qui t'aiment Martine. On a besoin de toi. Tu ne peux pas nous laisser.

— Et lui, Hein ? Lui, il m'a bien laissée, il m'a renié, humiliée, bafouée, dénoncée, condamnée, abandonnée comme un sac poubelle rempli d'immondices. Oui ! Voilà ! Je ne suis rien, moins que rien. Dis-moi, bertrand, toi qui côtoie les rebuts de la société, au-dessous du moins que rien, il y a quoi ? Hein ? Dis-moi ! Tu sais pas évidement toi non plus tu ne peux pas savoir monsieur tu ne pouvais pas savoir et bien figure-toi le rien il est devant toi c'est moi le moins que rien c'est pire qu'une merde hein et encore une merde ça a de la valeur et bien en pire il y a moi ! »

***

« Nous en avons terminé pour le moment. »

Elle se lève et s'apprête à ouvrir la porte lorsque le psychiatre l’interpelle :

« Est-ce votre tenue habituelle ?

— Oui, en principe, je m'habille comme tout le monde, pantalon, chemisier...

— Vous ne portez jamais de tenue plus féminine ?

— Genre jupe ou robe ?

— Genre jupe ou robe par exemple...

— C'est à dire que dans mon métier, je côtoie essentiellement des hommes et je suis habituée à m'habiller comme eux, je ne dépareille pas ainsi. Sinon, quand je sors avec mon mari, ça m'arrive de porter parfois « genre jupe ou robe.

— Merci madame, ce sera tout. »

***

Votre fils, G. Machin, a déposé une plainte contre vous pour atteinte à la pudeur sur son enfant J.P. Machin âgé de quatre ans. Ce dernier s'est plaint d'avoir mal après être revenu de sa visite chez vous le 15 novembre 2010.


***


Martine explose en sanglots, le genre de sanglots qui défigurent la plus belle des personnes, qui te transmet toute la souffrance d'une personne désespérée. Il n'y a qu'une chose à faire, c'est ouvrir tes bras, et l'accueillir contre toi pour qu'elle décharge la douleur sur toi, qu'elle bave son trop plein de peine, qu'elle morve au creux de ton épaule, qu'elle hoquette jusqu'à ce qu'elle te transforme en serpillière imbibée de larmes. Les corps se collent et s'échangent des informations contenues dans le ventre, les boyaux, la poitrine, le cœur. Le cerveau est un lâche, il se déleste de son rôle premier, la réflexion, le recul.


***

La loi dans son article 222-23 Modifié par LOI n°2018-703 du 3 août 2018 - art. 2 précise : Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

***

« Pleure. Pleure. Pleure encore. Pleure longtemps. Quand tu auras assez pleuré, nous pourrons discuter.

— Voilà. »

***

La loi dans son Article 222-24 Modifié par LOI n°2018-703 du 3 août 2018 - art. 13 Modifié par LOI n°2018-703 du 3 août 2018 - art. 3 Modifié par LOI n°2018-703 du 3 août 2018 - art. 7 précise que : Le viol est puni de vingt ans de réclusion criminelle, lorsqu'il est commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de l'auteur ;
Pour le cas qui vous concerne, vous seriez amenée à répondre des accusations...

***

Le mariage avec Antoine Machin avait été une véritable union d'amour concrétisée par la naissance de M. un bébé adorable, suivi deux ans plus tard par la venue au monde de son frère G. un autre magnifique garçon. Antoine et Martine correspondaient tout à fait aux critères de parents attentifs, prévenant et soucieux d'apporter une éducation complète à leurs enfants. Réussite familiale ; réussite d'intégration dans la petite ville du Dorat en contribuant activement aux diverses activités culturelles et notamment le son et lumières organisé par le syndicat d'initiative ; réussite professionnelle. Tout allait bien dans le meilleur des mondes. Jusqu'au jour où :
« Allô chéri ? G. m'a envoyé un texto, je n'y comprends rien du tout. Je suis au colloque de Clermont. Je rentre dès ce soir. Attends-moi, je te montrerai ça. »

***

Elle renifle, s'essuie contre ma chemise.

« Merci d'être là à me supporter.

— Supporter ! Le verbe est d'actualité. Tout d'abord, excuse-moi, mais je tom-be des nues ! Martine ! Il faut que tu m'en dises plus. Qu'est-ce qui t'arrive ? Ra-con-te-moi. Raconte-moi tout, si ce n'est pas trop difficile.

— Je savais que je pouvais compter sur toi. Toi seul peux me comprendre.

— Ah ! Enfin, je sers à quelque chose ! Tout de suite, là, je n'ai pas trop envie de te gaver avec les bien tristes expériences que j'ai déjà vécues, enfin disons subies. J'ai plutôt envie de t'écouter et de t'aider à comprendre pour surmonter tout cela. »

***

Les conclusions du médecin sont catégoriques : JP Machin a subi des violences sexuelles caractérisées accompagnées de blessures internes.

***

« Quelle que soit l’issue de cette procédure, en tant que mis en cause je n'en sortirai pas indemne, je me sens détruite. C'est une véritable épreuve familiale. Même M. est venu me voir pour discuter et me sortir que... peut-être... quand il était petit... j'étais trop proche de lui...

— Trop proche dans quel sens ?

— Il subodore, il suppose que lui aussi aurait été choqué de m’apercevoir nue dans la salle de bain. — C'est probable, oui, ça doit choquer de voir sa maman, une telle horreur.

— Arrête, t'es pas drôle.

— Pardon.

— Tu sais que j'ai démissionné de mon boulot ?

— Ah bon, c'était donc ça, la raison ?

— Ben, oui, je voulais rester discrète et me consacrer entièrement à la procédure.

— Cette accusation est un choc violent, très violent, qui va provoquer des traumatismes. S'il te plaît demande une aide extérieure. Que t'a dit la gendarme ?

— Je dois me présenter tous les quinze jours, et attendre, car c'est elle qui a ouvert le dossier. Pas de chance, elle est enceinte, s'apprête à partir en congé maternité...

— Il n'y a pas de remplaçant ?

— Non, faut attendre. C'est angoissant. Certains disent que le dénouement hypothétique de ce genre de procédure peut aller jusqu'à sept ans.

— Vous avez tentez de parler à G. ?

— Antoine me soutient à fond. Il a voulu avoir une conversation d'homme à homme et non pas de père à fils. Mais avec moi c'est impossible. C'est sa femme qui refuse. Elle me met des bâtons dans les roues. Elle cherche à m'éloigner.

— Mouais. Tu sais ce que j'en pense moi ? Écouter les enfants c'est une chose. Nécessaire. Les manipuler en est une autre également. À quatre ans, c'est très facile. Que dit le médecin ?

— Il a effectivement subit des violences sexuelles.

— Donc c'est un fait. Il s'est passé un drame.

— Je n'accuse personne. Je me fiche de savoir qui. Ce qui me fait peur, là tout de suite, c'est l'avenir de ce petit gars. Qui va le protéger ? Hein ? Même si je suis en prison...

— Attends un peu...

— Même si je suis en prison, qui va le protéger du violeur ? Parce que le type il est dans la nature... — Alors si les gendarmes ne souhaitent pas précipiter les choses en évoquant « l'enceintitude de l'ouvreuse de dossier,» tu ne crois pas qu'ils approfondissent l'enquête ?

— Je ne sais pas. Je dis simplement que le gamin est en danger, et que je ne suis pas capable de le protéger.

— Mais pourquoi G. ne réagit pas ? Il doit bien se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond ?

— G. tu sais comme il est, pas bileux pour un sou, je ne vais pas dire qu'il est dépassé, mais il est dépassé. Il n'est pas capable de gérer le problème.

— Le connaissant, je suis persuadé que c'est lui qui va être l'élément déclencheur de cette injustice. C'est de lui que viendra la vérité, la solution à ce malheur.
— Comme je suis mis en cause, par précaution, la Justice, m'interdit tout contact avec mes petits enfants jusqu’à la fin de la procédure. Même innocentée, ma relation sera difficile, voire impossible. Le schéma de mon avenir est tout tracé : je vais perdre plusieurs années de ma vie. Alors à quoi bon ?

— Non ! Pas à quoi bon. Il faut te battre, il faut nous battre, nous t'épaulerons, nous tous autour de toi, tu n'es pas seule, Martine, tu n'es pas seule.


Dans la forêt lointaine,

on entend le coucou,

Du haut de son grand chêne

La corde autour du cou.

Annotations

Vous aimez lire bertrand môgendre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0