Première semaine

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Après les soins du matin, on annonce un nouvel arrivage. Les infirmières donnent un coup de main pour changer la literie. La femme de ménage nettoie le mobilier. Au sol, la surface balayée sera lavée, rincée, séchée. La pièce dans son ensemble suivra le protocole de désinfection préétabli. Règles strictes. La chef de service intervient. Trouvez-moi un bassin pour lui tremper le bras et la main dans la bétadine. Faut me désinfecter tout ça, matin et soir. Allez voir dans les cuisines. Récupérez une grande poissonnière. Ça fera l'affaire. Prise de cachets une demi-heure avant l'intervention. La patiente ne me ressemble guère, elle est fade et mal coiffée. Celle-ci parle de cauchemars, raconte son histoire, demande des explications. L'aide soignante, sans doute étudiante, n'ose toucher la chair nue. La professionnelle parle beaucoup. Rassurer la personne accidentée, c'est aussi la soigner. Les bandes propres achèvent la séance.

La porte de la chambre reste grande ouverte sur les bruits de couloir. Tout roule ici. Desserte de prise de sang. Trépied de tension. Portique des perfusions. Plateaux-repas. Cortège de sourires. Engueulades entre collègues. Un chariot à pousser, un autre à tirer. Blouses blanches, grises, bleues. Cachets, odeur prégnante, urine, produit d'entretien, douches, toilettes, piqûres dans le ventre, somnifère, extinction des lumières, veilleuse de nuit, ne pas dormir, somnoler, tirer la sonnette, une vessie soulagée, un pistolet rempli, demander un autre à se foutre contre la tempe, pendant que la pompe à morphine ne cesse de se dérégler.

Bonjour, vous avez bien dormi ? Vous avez une petite mine. À tout à l'heure. Bonjour. Vous avez soif ? Voilà de l'eau fraîche. À tout à l'heure. Bonjour. C'est quoi ça ? Du sang ? Vous avez mal ? Fallait nous y dire ! Regarde la conne ! Elle baigne dedans ! Préviens le chirurgien.

Retour au bloc d'urgence. Dans les couloirs, le froid me poursuit. Changement de lit. Étroitesse de celui-ci. Une brume épaisse m'enveloppe. Je peux raconter une histoire ? C'est la mienne, il était une fois... Personne ne m'écoute. La pompe est mise en route.

Salle de réveil, celle où les néons blanchissent l'espace. Donnez-moi la main. Bonjour. Vous avez bonne mine. Vous voulez qu'on vous lave. Elle entend des bruits de voix, des bruits de roues qui tournent, des bruits d'ailleurs. Blouses bleues à gants grands. Blouses blanches et dents jaunes. Où sont ses repères, où s'en vont ses rêves ? Toujours pas faim ? À tout à l'heure. Une nouvelle colocataire. Vous verrez, elle est gentille. Au moins la troisième depuis hier, ou c'était avant hier. On est quel jour aujourd'hui ? Lui manque l'heure. Est-ce vraiment le présent ? Manger ça ira mieux. Elle n'a mal nulle part. Elle dort.

Il est l'heure de refaire les lits. Après les soins du matin, les infirmières au quotidien donnent un coup de main pour changer la literie. La femme de ménage passe dernière pour nettoyer les tables de nuit, le sol, les chaises. La surface balayée sera désinfectée. Un nouvel arrivage. La pièce sera astiquée deux fois de suite en suivant le protocole de désinfection préétabli. Les dames me surveillent du coin de l’œil tout en se frottant les mains avec ce produit. Je le sens. Règles strictes.

Sur un champ opératoire déplié, Cherika l'infirmière demande à l'aide soignante d'ouvrir les emballages pour en extraire les gants stériles, la paire de ciseaux, les pinces et bistouri pour couper les peaux mortes. Le mélange de pommade garantira une bonne lubrification des chairs mises à vif. Bonjour. Aujourd'hui, nouvel essai de pansement au charbon, identique à celui utilisé pour les grands brûlés. Le chirurgien participe aux premiers soins. Il est grand, vieux, maigre. C'est un maître. Ses disciples lui obéissent. La prise de cachets une demi-heure avant le soin, donne une certaine tranquillité à la patiente qui me ressemble. Celle-ci parle de mes cauchemars, raconte mon histoire, demande des explications. Il a réponse à tout. Il me trouve belle et chanceuse. Méticulosité, rigueur, attention retenue par les phlyctènes à découper soigneusement sur la peau greffée. Rassurer la personne alitée c'est aussi me soigner. Les bandes propres achèvent la séance sur une note de perfection semblable aux jours d'examens où le jury attribue de bons ou de mauvais commentaires. Satisfaction collective. Un sourire. C'est pour moi ? Ils partent. Je reste seule.

Qui me parle ? Un zombi à ma droite. Il m'explique. Une peau de porc greffée dans le dos.

Une nuit se termine tandis que le jour suivant tout pareil s'achève à son tour. La porte de la chambre grande ouverte laisse s'engouffrer les bruits de couloir. Le chariot de prise de sang. Le chariot de prise de tension, le portique des perfusions. Le chariot de prise de repas en forme de plateaux sous vide, liaison froide. Le chariot de sourires brinquebalant avec celui des engueulades entre collègues. Le chariot à pousser, celui à tirer. Tout roule ici. Blouses blanches pour les unes, grises ou bleues pour les autres. Cachet, produit d'entretien, douches, cachet, extinction des lumières, veilleur de nuit, bonsoir, sonnez-moi si vous avez besoin, ne pas dormir, somnoler, tirer la sonnette, un pistolet de rempli, un autre à se vider dans la tête.

Bonjour, vous avez bien dormi ? Vous avez une petite mine. À tout à l'heure. Bonjour. Vous avez mal ? C'est pas beau. Retour au bloc d'urgence. Je peux raconter une histoire. Personne ne m'écoute. Les effets de l'anesthésie. À peine le cathéter installé, j'ai des vertiges. J'ai froid. La pompe est mise en route.

Salle de réveil. Les néons blanchissent l'espace. Donnez-moi la main. Elle revient sur Terre. Bonjour. Vous avez meilleure mine. La douleur à évaluer sur une échelle de un à dix ? Cent quatre. Bonjour. Vous voulez qu'on vous lave. Rien n'est agréable. Tout l'irrite. Elle entend des bruits de voix, des bruits de roues qui tournent, des bruits d'ailleurs. Blouses bleues à gants grands. Blouses blanches. Perfusion. Où sont mes repères, où s'en vont mes rêves ? Retour en chambre.

Tout me plaît. Elle est moi. Toujours pas faim ? À tout à l'heure. Un nouveau colocataire. Au moins le troisième depuis hier, ou c'était avant hier. À tout à l'heure. On est quand aujourd'hui ? Est-ce vraiment le présent ? Bonjour. Manger ça ira mieux. À tout à l'heure. Je n'ai pas faim. Bonjour. Je n'ai mal nulle part. À tout à l'heure. Tout va bien.

Je patiente.

Merci.

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