Chapitre 6 : La Promesse

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Hélène affichait un large sourire, elle rayonnait au volant de la Mini Cooper gris foncé. Deux jours plus tôt, elle avait réussi à convaincre son ami de rester encore un peu chez elle, le temps de faire connaissance avec sa plus jeune fille, Joanie, qu’elle venait de récupérer à l’aéroport. Depuis la sortie de l’avion, la jeune fille n’avait pas quitté la petite caméra avec laquelle elle avait pu filmer son arrivée et s’apprêtait à immortaliser le moment de la rencontre avec cet inconnu que sa mère semblait impatiente de lui présenter.

Sur le trajet de retour, Hélène interrogea sa fille cadette, assise à l’arrière.

— Ne me dis pas que tu n’as pas lâché cette caméra pendant tout ton voyage… Tu ne voudrais pas la poser un peu, s’il te plaît ?

— Jamais de la vie ! Il faut que je m’entraîne, que je filme tout ce que je peux, répondit l’adolescente.

Puis, se tournant vers Hector, assis sur le siège passager :

— En fait, je veux faire du cinéma, plus tard. Mais pas actrice, comme toutes ces pouf’ avec leur grand sourire, qu’on jette quand elles ont leur première ride. Non, moi, je veux faire des films, action movies, vous voyez ? Je veux devenir movie maker.

— C’est son père qui lui a offert cette caméra, à Noël dernier, reprit Hélène. Il y a tout un équipement, un pied, un disque dur pour tout enregistrer, des petites caméras en plus, je crois, etc. Ç’a dû lui coûter une petite fortune, mais il a les moyens. Depuis, elle tourne à chaque occasion.

— Ouais, j’ai même montré à Al comment ça marche. C’est mon assistante, elle a fait des films, ici, pendant que j’étais pas là, et elle me les a envoyés. Il faut encore que je les monte, ça pourra faire un bon petit reportage souvenir, tu pourras montrer ça à tes petits enfants, quand tu seras grand-mère.

— Comment ça, quand je serai grand-mère ? Hélène tombait des nues. Je n’ai jamais vu ta sœur avec ça dans les mains, de toutes façons.

— C’est parce qu’on a caché des minis caméras dans le salon. C’est très discret. Mais t’inquiète pas, j’enlèverai les passages gênants.

De nouveau, la maman attentionnée s’adressa à sa fille, qu’elle fixa par le rétroviseur.

— Mais qu’est-ce que tu as fait à tes cheveux ?

— Je voulais me raser le crane intégralement, mais Daddy n’était pas d’accord. Il a eu peur qu’on me croie malade. Alors, j’ai laissé cette bande de cheveux, au milieu. Si je mets du gel, ça me fait même une super crête. Mais pour l’avion, c’était juste impossible. Alors, je les ai laissés souples et je les ai tressés.

Puis, s’adressant de nouveau à Hector.

— Vous en dites quoi, vous ? En plus, quand je monte sur le ring, ça impressionne l’adversaire, et puis ça en jette sur les photos. Tiens, regardez, ça, c’était la semaine dernière, regarde, maman, j’ai gagné tous mes combats ! Alors, vous en dites quoi, vous ?

Joanie avait tendu à Hector une photo sur laquelle, vêtue d’un pantalon ample à large ceinture élastique et d’un débardeur moulant, tous les deux assortis d’une même couleur rouge bordée de discrètes lignes bleu marine, elle tendait à bout de bras une large ceinture de cuir ornée d’un imposant médaillon métallisé bordé de lauriers en relief, et arborait un large sourire marquant autant la joie de la victoire que la fierté de la réussite sportive. Hector se contenta d’un sourire, devant ce choc intergénérationnel. Selon lui, la coiffure de Joanie se mariait plutôt bien avec le reste de sa tenue, du maillot de corps blanc un peu trop grand aux chaussures montantes noires, en passant par le pantalon bleu délavé et déchiré au genou. Le blouson de cuir, momentanément posé sur la banquette arrière à côté de l’adolescente, complétait un ensemble, malgré tout, harmonieux.

— Alors ? Mes grandes sœurs m’ont dit que vous étiez amoureux de ma mère. C’est vrai ?

— Joanie !!! s’indigna Hélène.

Hector prit sa défense.

— Au moins c’est direct. T’étais pas plus discrète, toi, à son âge ?

— Non, c’est plutôt toi qui hésitais à dire ce que tu avais sur le cœur !!! se défendit Hélène.

Joanie relança l’ami de sa mère.

— Alors, c’est vrai ou pas ?

— Ç’a été vrai, autrefois.

— Allez, arrêtez votre baratin, mes sœurs ne vous ont pas connu « autrefois », ça fait seulement trois semaines que vous êtes à la maison !

— Mais arrête, enfin ! Hélène commençait à rougir devant l’insistance insouciante de sa fille, qui ne renonça pas à son droit de savoir.

— Quoi ? On dirait deux ados qui n’osent pas se bécoter ! Toi aussi t’es amoureuse de lui ?

— Mais non enfin ! J’ai invité Hector pour qu’il se change un peu les idées après… Tu sais…

— Après l’assassinat, tu peux le dire. Hector était venu en aide à son amie. Quitte à être direct…

— Je suis désolée…, s’excusa Hélène

— Ne le sois pas. Il n’y a pas de raison.

— Ah ouais, quand même ! Là, y a quelque chose, dites pas le contraire !

— Mais tu vas arrêter, s’il te plaît ? La voix d’Hélène trahissait plus d’amusement que d’agacement.

Joanie le sentit et insista.

— Hey m’man, c’est cool. Al et Noé m’ont dit que c’est un type bien. C’est tout bon pour toi ! Ma mère vous a dit qu’elle ne s’est jamais remariée ? Pas même une petite relation en passant…

Hélène tenta de reprendre le contrôle.

— Ça, tu n’en sais rien ma petite chérie !…

Mais Joanie affichait toute l’assurance d’une adolescente décomplexée.

— M’man, ça va, j’ai plus cinq ans… et j’ai deux grandes sœurs… Bref, vous voyez, j’ai l’impression qu’elle attendait que quelque chose arrive…

Hector décida de jouer le jeu.

— Tu as ce genre d’impression, toi ? Quelque chose comme quoi ? Développe…

— Dis donc, tu ne vas pas t’y mettre, toi ? Voilà qu’Hélène se sentit trahie dans ce complot entre sa fille et son ami.

— Moi, je dirais bien quelque chose comme un grand type, costaud, qui prendrait soin d’elle et nous protégerait, disons, en cas d’agression…

— D’agression ?

— Ben ouais ! Elle vous a pas raconté ?

— Si, je connais toute l’histoire. Et il n’est jamais arrivé, ce héros ?

Hélène essaya d’arrêter ce qui pouvait encore l’être.

— Hector !…

Mais Joanie ne lui en laissa pas la chance.

— Moi, je crois qu’il est arrivé il y a trois semaines…

Hélène abandonna.

— Dites, quand vous aurez fini de comploter, tous les deux, vous pourrez me faire signe.

— M’man, regarde-le, il est mieux que ton pendentif tout moche ! Et puis maintenant, ils vont peut-être arrêter de t’emmerder, avec tous ces appels anonymes…

— Joanie, ne parle pas comme ça ! Espèce de mal élevée ! s’indigna Hélène.

— Quels appels anonymes ? demanda Hector.

— Oh, ce n’est rien, des petits plaisantins qui n’ont rien à faire de leurs journées, alors ils appellent, ils ne disent rien, ils t’écoutent parler, rouspéter, crier, parfois, et puis ils raccrochent.

— Et ça arrive souvent ça ? s’inquiéta Hector.

— Écoute, ça fait trois semaines qu’on a la paix, sinon, c’était à peu près chaque jour, deux ou trois fois par jour, précisa Hélène.

— Et ça dure depuis combien de temps, ce cirque ?

— Grosso merdo depuis le printemps, répondit Joanie.

— Ma fille, veux-tu bien surveiller ton langage, s’il te plaît ! corrigea sa mère. En fait, je pense que ce sont sûrement des étudiants qui ont eu besoin de décompresser entre les périodes de grosses révisions et les examens. Maintenant, c’est fini, et on est tranquille, se réjouit-elle. Allons, détends-toi, un grand garçon comme toi, ne me dis pas que quelques idiots qui font les andouilles au téléphone, ça t’effraie… Et puis, de toute façon, je te dis, c’est terminé, on ne nous embête plus depuis la fin des périodes d’examen.

— Et tu lui as parlé de Cambronne ? relança Joanie.

— Cambronne ? s’étonna Hector.

— Ouais, c’est un type qui a une tronche à faire peur aux enfants, et pas qu’à eux, apparemment, et qui s’est fait un look de général napoléonien, avec des rouflaquettes jusqu’au-dessus du menton. Elle croit qu’il la suit pour lui faire peur, ou pire.

— Oui, poursuivit Hélène, je l’ai aperçu à l’enterrement de tes garçons, et il était encore là aux obsèques de Jonathan, tu sais, mon vieux voisin, aux States.

Hector n’eut pas le temps d’esquisser un petit sourire lorsque, la voiture arrivant près de la maison, Hélène s’énerva de voir un utilitaire bloquer l’entrée de sa voiture dans la cour.

— Tiens, qu’est-ce qu’il fait là, garé devant mon entrée, celui-là ?

— Tu changes de machine à laver pour une plus grande ? demanda Joanie avec une arrière-pensée amusée.

Mais Hector reconnut une situation angoissante et prit les devant. Il n’était plus question de plaisanter, désormais. La bonne humeur venait tout à coup de céder la place à une tension extrême.

— Joanie, baisse-toi et reste cachée. Ne sors pas de la voiture.

Hélène sentit l’inquiétude de son ami.

— Qu’est-ce qui se passe, Hector ?

— Jo ! Fais ce que je te dis !

Un homme cagoulé, entièrement vêtu de noir, sortit de la maison et se tint devant la porte d’entrée, regardant en direction de la voiture. Hector mit Hélène en garde.

— Reste avec ta fille. Avec un peu de chance, ils ne savent pas qu’elle existe. N’attire pas leur attention !

Hector sortit de la voiture et marcha d’un pas décidé vers l’intrus. Arrivant à sa hauteur, il le frappa du dessous de son pied dans le genou. Le ninja sentit sa rotule exploser et allait tomber au sol lorsque la main de son adversaire lui coupa le souffle, l’attaquant à la gorge d’un mouvement tranchant. Enfin, d’un coup de coude violemment assené sur le dessus du crâne, Hector acheva de neutraliser l’intrus. Il entra alors sans tarder dans la maison. Hélène entendit un cri, comme un mélange de douleur et de rage. En quelques secondes, elle vit un nouvel intrus, puis un autre, voler à travers les fenêtres de l’étage et s’écraser lourdement par terre. Prise d’angoisse, elle décida de sortir du véhicule pour aller voir de ses propres yeux ce qui se passait à l’intérieur. Elle donna la consigne à Joanie.

— Mon Dieu !!! Jo, reste cachée, ne bouge pas !

Joanie vit sa mère courir vers la maison aussi vite que possible, partagée entre stupéfaction, curiosité et angoisse. Elle la vit entrer puis en ressortir aussitôt, à reculons, courbée sur elle-même, et s’effondrer. Son chemisier blanc se teintait progressivement de rouge foncé. Hector aperçut lui-même la scène du premier étage. D’un bond, il franchit la rambarde du balcon de la mezzanine et atterrit trois mètres plus bas, sur ce nouvel agresseur au moment précis où celui-ci s’apprêtait à achever Hélène au couteau, et lui brisa la colonne vertébrale du même coup. L’agresseur tué, Hector se précipita vers Hélène pour la secourir. Celle-ci, essoufflée, s’inquiéta.

— Les filles ?

— Ne parle pas…

— Les filles ?…

— Elles sont… Il eut une hésitation.

— Tu vois… toujours le même…

— Hélène…

— Jo ne craint rien, tu veilles sur elle, aussi longtemps que nécessaire…

— Il ne lui arrivera rien.

— Son père… emmène-la…

— Je te promets…

— Ta présence… Merci… On aurait pu…

Hélène rendit son dernier souffle dans un jet de sang, arrachant à Hector un cri de désespoir qui déchira le silence pesant de cette fin d’après-midi.

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