Prologue: Un bien mauvais Rêve

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Au bout de cette longue avenue, la tour Perret perce la nuit et pointe vers le ciel, comme un doigt menaçant. Je quitte cette cabine téléphonique de la Chaussée Jules Ferry. Tout contribue à la rendre particulièrement laide, ce soir. Ses vitres rayées dans son cadre en aluminium dépoli par le temps, son tapis de mégots de cigarettes, ses graffitis au feutre noir, son refus qui claque encore à mon oreille.

Mais j’ai entendu un cri, à peine étouffé, perçant l’obscurité de ce début de nuit calme. Un cri comme un appel, une échappatoire, je lui ai demandé pardon, j’ai raccroché, j’avance dans l’avenue de Londres. À voir l’allure des maisons, leurs avancées sous véranda miniature en haut d’un escalier réduit à trois ou quatre marches tout au plus, dans cette rue, il me semble que j'arpente les rues de la capitale anglaise. C’est le quartier britannique. Je laisse sur ma droite la rue d’Édimbourg. À gauche, la rue Jean Boen, c’est ici que je suis logé dans une chambre d’étudiant. Une rue calme, un quartier calme. Pourtant, c’est ici, le cri venait d’ici.

Le lampadaire n’éclaire toujours pas. Depuis quelques jours déjà, une ampoule grillée, ça arrive. Un couple profite de la pénombre. Avait-elle peur de quelque chose comme ça ? Je ne suis pas comme eux, je ne suis pas comme tous ces mecs… Je ne suis pas comme ce type, là, dans la pénombre, qui insiste lourdement. Je jette encore un coup d’œil vers ce gars et je rentre, c’est pas juste… Elle me lance un regard… un regard qui m’appelle. Il lui couvre la bouche de sa main. Elle semble effrayée…

— Madame, est-ce que tout va bien ?

C’est lui qui me répond, sèchement.

— Fous-nous la paix, connard !

— Hé mec, tu te doutes bien que je ne peux pas rester là sans rien faire !

— Eh ben casse-toi alors, pauvre con !

Il a lâché sa proie. Cinq pas, je me lance vers l’agresseur, je crie à la jeune femme.

— Courez !

L’agresseur me frappe d’un coup de poing de revers au menton. La femme s’enfuit. L’agresseur me frappe d’un crochet gauche au visage, puis d’un coup de pied de face au corps. J’ai le souffle coupé. Je vais me relever. L’homme me parle.

— T’aurais pas dû t’en mêler…

Un autre coup de pied, au ventre, me renvoie au sol. La porte de mon appartement est là, à deux mètres, peut-être trois. Elle ne va pas s’ouvrir. Il commence à pleuvoir, des coups, de poings, de pieds, ils me font mal, puis moins, il doit faiblir… ou c’est moi, je ne sens bientôt plus rien. Je suis allongé sur le dos. Sa silhouette semble assise sur mon estomac. Le brouillard m’envahit. J’entends à peine sa voix.

— T’aurais pas dû t’en mêler !

Un rire… Deux coups de tonnerre, à moins que…

Me voilà assis, sur une chaise. Assis, mais je ne peux pas bouger… Paralysé ? Non, des chaînes… Faire tomber la chaise, pour me délivrer… Elle ne bouge pas, fixée au sol… Comment ? Je ne comprends pas… Où suis-je ? La cuisine américaine, là-bas, à gauche, le salon à droite, et la pendule, au-dessus de la porte qui mène à la cave, et son tic-tac assourdissant. Pas de doute, je suis chez moi, plus tard, beaucoup plus tard… Comment ? Regarde encore… baisse les yeux… Cet enfant, allongé par terre, et celui-là, juste à côté… Et cette fille, elle a, quoi ? Dix-huit ? Vingt ans ? Ils ne bougent pas… aucun des trois. Pas la plus petite onde dans cette flaque… cette flaque… cette flaque ? Cette flaque noire… Sang noir ! Je commence à comprendre… Non, ce n’est pas réel ! Ça ne peut pas être réel ! NOOOOOOOOOON !

J’ouvre les yeux, lumière éblouissante. Une atmosphère glaciale, une chaleur étouffante, quel contraste. Un lit inconfortable, je transpire, toute l’eau de mon corps, je tourne la tête vers ma gauche, une fenêtre coulissante laisse entrer quatre mètres carrés de cette blancheur immaculée. J’ai le bras droit relié à un perroquet, non, une perfusion… Confusion… Sur le mur d’en face, un téléviseur me regarde, sombre, non, noir mat. Quel contraste. J’attrape la télécommande, je dois comprendre ce que je fais là…

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