IV (Partie deux)

8 minutes de lecture

La La La — Naughty Boy feat Sam Smith

Adventure of a lifetime — Coldplay


Plus tard dans l’après-midi, je patiente devant la porte vitrée de la salle de classe, où étudie Simon avec d’autres enfants. 

Concentré sur les paroles du professeur, le petit bonhomme ne me remarque pas. Je le dévisage de profil, ses joues sont creuses, sa peau est toujours très pâle et ses lèvres violacées. 

— Tu peux aller l’attendre devant sa chambre, si tu le veux, déclare Rebecca, en arrivant à ma hauteur. 

— Je préfère rester ici, réponds-je en me focalisant de nouveau sur le petit garçon penché sur sa feuille. 

Son regard scrute les alentours, s’assurant que nous sommes seuls dans la salle d’activités, elle reprend :

— Je souhaiterais te voir, avant ton départ Samuele, m’avertit-elle durement, puis s’en va, me laissant dans l’incertitude. 

De quoi veut-elle parler ? 

Ma montre à maillon en acier, m’informe que le cours doit se terminer dans moins de cinq minutes. 

J’entends de l'agitation de l’autre côté de la cloison. Les petits se lèvent, rangent leurs affaires et progressivement il ne reste plus que Simon dans la pièce vide. 

Depuis notre dernière entrevue, j’ai longuement réfléchi, afin de trouver des activités adaptées à sa maladie, ses envies et à son rythme. Mon souhait est qu’il puisse se distraire le temps de ma courte visite. J’ai envie de le surprendre. 

Repérant des feuilles et des crayons sur une petite table. Je m’en munis et entreprends d’en faire un avion en papier. Mon œuvre finie, j’inscris en grosse lettre sur le dessus “TOURNE-TOI”. 

La porte étant maintenant ouverte, je m’avance et positionne ma main qui tient l’avion en hauteur. Je visualise Simon et projette le papier vers la table où il est assis. Le projectile atterrit sur une table devant lui. Attirant son attention, le petit garçon s’accroupit et le ramasse. 

Enfin, il se tourne vers moi et m’offre un sourire éclatant. J’en reste bouche bée. Mon cœur s’emballe et une vague de chaleur m’envahit. 

Simon me fait un signe de la main, je n'émets aucun geste pour ma part, encore décontenancé par la scène. 

C’est décidé, j’ai un prochain objectif à atteindre : revoir ses yeux pétiller de joie à nouveau.

Il s’avance dans ma direction, d’une démarche guillerette. 

Un éclat de lumière par la fenêtre fait rayonner son visage. Il n’y a pas une once d’obscurité dehors. Il serait dommage de ne pas profiter de la chaleur agréable de ce mois de Juin. Je me rappelle de la présence d’un jardin adjacent au service et qui a été conçu spécialement pour les enfants malades. J’adore le concept.

— Ça te dirait d’aller profiter du jardin ? demandé-je en pointant de l’index l’extérieur, au fond de la salle détente. 

— Oh oui trop bien ! saute-t-il sur place. 

Changement de programme alors !

— Avant tout, allons te chercher une casquette et de la crème solaire, l’avertis-je en tapant dans mes mains.

— Je n’ai pas besoin de crème solaire, grommelle le petit garçon.

Pour autant, Simon se dirige vers sa chambre, écoutant mes consignes. 

Arrivé dans la pièce, il part chercher le tube dans ses affaires et applique minutieusement de la crème sur ses bras. 

Je parcours les murs du regard et tombe sur une photo de famille, accrochée contre la cloison. Simon est au milieu, il sert dans ses bras un petit garçon qui arbore les mêmes traits que lui, la même couleur de cheveux, le même visage ovale, les mêmes fossettes. Sur la gauche, il y a une femme aux mèches flamboyantes et sur la droite un homme à lunettes, avec la même expression que mon petit protégé. Ils se trouvent devant une magnifique calanque, la mer est turquoise, le sable blanc, le ciel est bien dégagé. Simon a un sourire si expressif sur cette image. Je constate, qu’autrefois il était plein d’énergie et épanoui.

— Ce sont tes parents et ton petit frère sur cette photo ? 

— Oui avec mon frère Jules, m’apprend-il d’une voix hachée.

— Quel âge a-t-il ? je demande en scrutant le cliché.

— Cinq ans.

— C’est une très belle photo, dis-je en me retournant vers lui. 

On se jauge. Ses yeux sont voilés de tristesse. 

J’y lis tout ce qu’il n’ose pas m’avouer ; qu’il a peur, qu’il voudrait retrouver son ancienne vie, cette vie si rassurante. Toute la souffrance qu’il a accumulée ces dernières semaines. Mon cœur se serre face à cette vision douloureuse. 

On n’est jamais préparé à l’annonce d’un mauvais diagnostic. A cet instant, toute l’existence bascule. Cette photo fait maintenant partie du passé. Devant moi, c’est un nouveau Simon.

La seule chose que je peux faire, c’est imaginer ce qu’il peut éprouver depuis plusieurs semaines. Quand j’avais 18 ans, on a enduré le choc de l’annonce d’une maladie chronique, avec ma famille. Parce que savoir qu’on est malade n’est pas la seule conséquence, il y a : les mois de douleurs et de peurs, les multiples traitements, les maintes hospitalisations, les différents effets indésirables des traitements qui sont censés guérir, les mauvaises nouvelles du médecin, voir les cicatrices apparaitrent sur le corps d’un être cher. On se réveille la nuit à bout de souffle en ayant la sensation qu’on perd pied. Peut-être que demain cette personne rendra son dernier souffle. La mort, ça vous brise.

— On y va bonhomme ? finis-je par lancer, pour détourner son attention.

Simon hoche la tête et m’emboîte le pas vers la sortie. Il ne prononce pas un mot en longeant les couloirs. 

L’air est lourd à l’extérieur, néanmoins l’endroit est bien abrité contre les rayons du soleil. Plusieurs chaises-hamacs sont disposées dans les différents recoins du jardin. Un petit groupe d’enfants regardent un film sur un grand écran de projection. Deux fillettes jouent sur une balançoire. Du matériels sportifs est mis à disposition des malades. Contre un mur, un panier de basket est accroché, des marquages sur le sol synthétique, délimitent un terrain d’activité. C’est un petit coin de paradis, dans l’enfer du milieu hospitalier. Il y règne une ambiance apaisante. 

Je récupère un ballon de basket dans une caisse.

— Hé ! Attrape ! j’apostrophe Simon en lui lançant l’objet.

Il bataille avec la balle, avant de la stabiliser entre ses mains. 

Simon dribble, puis se rapproche du panier, il prend de l’élan et marque.

Fantastico¹ ! Le grand Simon Chauvin, vient de marquer un panier Mesdames et Messieurs ! je clame haut et fort.

Il éclate de rire et finit par taper dans mon poing. 

Le reste de ma visite, nous revoyons les bases, les exercices de tir et les tactiques de jeu pour troubler l’adversaire, tout en respectant le rythme de mon protégé. Cependant, je remarque que les traitements anti-cancéreux ont diminué l'endurance du petit garçon. Contrairement aux autres enfants de son âge, Simon est obligé d’interrompre notre partie après vingt minutes de jeu, se sentant essoufflé par l’effort.  

Je vais lui chercher un verre d’eau à la fontaine, pour qu’il puisse se rafraîchir. 

Un instant, son regard scrute l’intérieur de mon avant-bras droit. 

— Tu as un tatouage ? se renseigne-t-il avec des yeux exorbités.

— Pas un, mais trois, je ricane.

— Je peux les voir ?

— Sans problème, je m’avance pour qu’il puisse les détailler.

Ils sont très personnels et significatifs pour moi. 

Celui qui se trouve à l’intérieur de mon avant-bras, représente une photo de famille. Les lignes sont noires. Chaque membre y est retranscrit avec perfection. Seuls les visages ne sont pas dessinés. J’ai huit ans sur le cliché, Léone sur mon dos. Aurora quant à elle, est hissée sur les épaules de mon père et ma mère s’amuse à faire des oreilles de lapin, avec ses mains au-dessus de la tête de mon frère. C’était un été, pendant lequel, nous étions partis en vacances en Italie. Derrière nous se trouve La fontaine de Trevi à Rome. Léo et moi, nous y sommes même baignés, devant le regard éberlué des touristes et de nos parents. Je voulais garder le souvenir de cette journée, ancré dans ma peau. Quand j’y songe, je sais que maintenant, il manquera toujours quelqu’un. 

Pour le suivant, je suis obligé de relever mon débardeur au-dessus de mon pectoral gauche. Ses yeux passent d’une lettre à une autre. “Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ” est inscrit de l’écriture délicate de ma maman, un hommage pour elle. Mon ami Andréa a réalisé un travail méthodique, c’était exactement ce que je souhaitais.  

— Tu as reconnu la citation ?

— C’est Le Petit Prince ! Ça fait mal ? il m’interroge en retraçant les lignes.

— Tout dépend de la zone que tu choisis de te tatouer. Celui-là était plus douloureux, je montre du menton la citation.

— J’trouve les tatouages moches, m’avoue Simon en grimaçant. 

— On en reparle dans quelques années, je raille en lui étreignant l’épaule. 

Nous discutons encore quelques minutes, puis je lui annonce mon départ. 

— Eh ! Mais tu m’as pas montré ton autre tatouage, proteste le petit garçon.

— Tu devras patienter… assuré-je en réprimant un rire.

— T’reviens quand ? s’empresse-t-il de me demander.

Je retiens mon souffle. Cette phrase qui parait anodine, me réchauffe le coeur. Une nouvelle étape vient d’être franchie.

— Lundi.

On échange une courte étreinte, puis je lui fais un dernier signe et prends la direction du bureau de Rebecca. C’était un moment très agréable. Je frappe contre le battant, attendant qu’elle m’invite à y entrer.

— Installe-toi ! me fait-elle signe. Tout se passe bien avec Simon ? 

Ses prunelles me scrutent. Un pressentiment me fait deviner qu'elle ne m’a pas demandé de venir ici, simplement pour me poser cette question anodine. C’est plus profond que cela. Elle semble tendue et agacée.

— Viens-en au fait, je m’impatiente.

— Tu sembles vraiment apprécier ce petit garçon. Je sais que tu t’inquiètes pour ses soucis de santé, poursuit-elle. Mais Samuele, je ne tolère pas qu’on manque de respect à un membre de mon équipe. 

Scusa² ?

Ma nuque se raidit face aux accusations de Rebecca. 

— Quand cela est-il arrivé ? Et avec qui ? 

— Ce n’est pas la question ! proteste-t-elle. Tu dois collaborer avec les soignants pour le bien-être de Simon. Si cette situation devait se reproduire, je devrais me passer de tes services et je n’ai pas envie que cela arrive, conclue-t-elle d’un ton sans appel.  

La scène est surréaliste, je fais partie de cette association depuis plusieurs années et ça n’était jamais arrivé jusque-là. 

Je ne comprends pas. La seule fois où j’ai pu légèrement m’emporter, c’est parce que la soignante était incompétente et inactive, face à l’urgence. Rebecca ferait mieux de se séparer de cette brebis galeuse, pour le bien des patients. J’ai horreur des gens qui vont se plaindre à leur supérieur, au lieu de se confronter aux véritables problèmes. J’enrage contre cette gamine, qui me met dans une position délicate et contre Rebecca qui ne cherche pas à avoir ma version de l’histoire. 

— Il y a erreur, je n’en démords pas. Je n’ai ja…

— Tu connais les règles du service, me coupe-t-elle. Simon est ta priorité Samuele. Ne laisse pas la colère guider tes actes et tes paroles. 

Il faut toujours un coupable et en l'occurrence, c’est moi le fautif.

Ma mâchoire est contractée au possible. Je ne rajoute rien, car mes paroles pourraient dépasser mes pensées. Pourtant, je ne compte pas en rester là. Il vaut mieux pour cette garce, qu’elle ne croise plus mon chemin. Cette gamine s’est attaquée à la mauvaise personne, mais cela, elle ne le sait pas encore. Elle veut que je sois le méchant ? Soit, je le serai.

* * *

¹ : Fantastique.

² : Pardon.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Mathuuche ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0