II (Partie une)

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Mai

SAMUELE

Somewhere Only We Know — Keane

Stay — Rihanna feat. Mikky Ekko

Je place au milieu de la table ma carte rouge. C'est à Simon de jouer, il remet en place son bonnet noir sur son crâne avant de lancer un + 2 à son nouvel ami Léo. Celui-ci peste en apercevant la carte.

Le son de la télévision de la salle de détente me rappelle que nous ne sommes pas seuls. Le film, Le livre de la jungle se joue devant moi et la voix grave de Baloo amorce le refrain de la chanson « Il en faut peu pour être heureux ».

Hier, était la dernière journée de sa chimiothérapie d'induction. Simon doit maintenant patienter une à deux semaines avant de réaliser une biopsie de la moelle osseuse, qui déterminera s'il y a toujours des traces de sa leucémie, après le traitement anti-cancéreux.

Ses cheveux brun clair ont disparu, son visage est légèrement gonflé. Il semble aussi avoir perdu du poids. Un nœud se forme dans ma gorge. Je suis impressionné par sa bravoure et sa force en dépit de son jeune âge.

È une combattente¹.

— T'as quel âge, au fait ? m'interroge avec attention Léo.

— 26 ans et toi ?

Leurs yeux s'agrandissent de surprise, avant qu'ils ne se mettent à glousser. Entendre Simon rire est agréable, mais tellement rare.

Quel genre d'enfant était-il avant son hospitalisation ?

— Oh, t'es vieux !

Je lance un clin d'œil dans la direction de son ami.

Léo est lui aussi atteint d'une leucémie. Il a déjà entamé la chimiothérapie de consolidation et semble bien la vivre, ou il le cache très bien.

— Et comment tu sais parler italien ? demande dans un murmure mon petit patient. 

Son intérêt soudain me surprend. Depuis notre rencontre, il m’a seulement posé quelques questions personnelles. 

— Eh bien ! Je parle couramment cette langue, car j’ai des origines italiennes du côté de ma maman et françaises de mon père.

— Oh trop cool ! Et comment on dit merde alors en italien ? Promis j’dirais rien à personne, jure Léo en mimant d’un geste une fermeture éclair au niveau de ses lèvres.  

Les jeunes de nos jours !

Un sourire en coin étire mes lèvres. Je pense que cela serait très malvenu de ma part de lui l’apprendre, il ne manquerait plus que ce garnement aille le crier sur tous les toits. Un mensonge ne fait jamais de mal.

— Ce mot ne se traduit pas, mens-je.

Le minot me dévisage d’une moue dubitative. 

— T’es déjà allé en Italie ? intervient de nouveau, craintivement mon petit bonhomme. 

Nos regards se croisent quelques secondes, avant que le petit garçon analyse ses cartes. J’espère que prochainement il m’accordera sa confiance et se dévoilera. Il est encore réservé en ma présence, néanmoins rien n’est perdu.

— Oui la famille de ma maman vit dans la région de Naples. Et j’ai eu la chance de pouvoir étudier toute cette année en Italie avec mon cursus. 

— Alors elles sont jolies les italiennes ? hasarde son nouvel ami, avec un air de voyou.

Il ne s’arrête jamais lui ! A seulement neuf ou dix ans, il parle déjà comme un bourreau des cœurs. Je plains les pauvres adolescentes qui vont croiser son regard dans quelques années. 

— Oui, je réponds honnêtement cette fois-ci.

Ma réplique les fait de nouveau rire. Les badinages de Léo permettent à Simon de se dérider progressivement. On se remet tranquillement à jouer au Uno. Mon champion gagne la première partie et on décide de recommencer. L'instant est agréable et léger.

— Taïs est là cette après-midi, intervient Léo.

Un petit sourire illumine le visage pâle de Simon à l'énonciation de ce prénom. Il replace correctement son pull gris, me laissant apercevoir le cathéter veineux central sous sa peau. Le petit garçon remarque mon attention sur son corps frêle et détourne rapidement le regard, par pudeur j'imagine.

Je ne voulais pas le mettre mal à l'aise.

— C'est une fille de votre âge ? dis-je pour faire diversion.

Léo s'esclaffe avant de reprendre la parole.

— Non elle est vieille comme toi, mais Simon l'aime bien, pouffe-t-il en lui donnant un coup de coude dans les côtes.

Le minot fronce les sourcils par mécontentement. Les regarder se quereller est très divertissant je l'avoue.

— Tu dis n'importe quoi, elle est pas vieille du tout ! assure Simon, la mine grave.

Léo lui tire la langue pour seule réponse.

Soudainement, mon petit patient est pris d'une forte quinte de toux interminable. Inquiet, je réagis et fais le tour de la table, m'accroupis à sa hauteur, pour observer son état. Je pose une main réconfortante dans son dos.

— Ça va ? Tu veux que j'appelle une infirmière ?

Aucune réponse ne franchit ses lèvres et son visage est rouge. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Je me relève, prêt à aller chercher de l'aide, quand il reprend doucement ses esprits. Discrètement, je demande à Léo d'aller rejoindre les autres enfants devant la télévision, sans protestation, il fait ce que je lui dis.

— Concentre-toi sur ta respiration mon grand. Tu te sens mieux ? je l'interroge avec crainte.

Je me sens responsable, impuissant de ce qu'il vient de se passer et je n'ai rien pu faire pour l'aider.

Une nouvelle fois je l'observe ; il est amaigri, sa peau est pâle, sa respiration hachée, il est épuisé et semble souffrir. Je reçois un uppercut dans l'estomac. Seulement je ne dois rien lui montrer, il ne doit pas voir le mal que cela me fait. Je suis maître pour enfouir mes émotions.

Simon est si jeune, si insouciant. Et déjà on lui demande d'affronter des problèmes et des peurs, dont il n'a pas encore conscience à 9 ans.

La vie est parfois si injuste.

— On va retourner dans ta chambre, je vais t'aider à te lever si tu le veux bien, cherchant des réponses dans ses prunelles rougies.

Je le soutiens pour qu'il se lève, il émet un léger gémissement lors de ce geste et je me sens démuni à cet instant. Le petit garçon a besoin de repos.

Nous nous dirigeons vers sa chambre. Simon est faible et tient à peine sur ses jambes.

Il y a seulement quelques semaines, j'ai rencontré cet enfant. Même s'il ne se livre pas facilement, je commence déjà à être attaché à ce petit bonhomme, un je-ne-sais-quoi en lui qui m'émeut et me touche.

Depuis plusieurs années c'est ce que j'évite pourtant de faire. Pour me protéger de la souffrance. Ne plus dépendre de quelqu'un. Je sens déjà une vieille amertume me terrasser. Mon cœur n’est plus en capacité d’aimer. 

Au milieu du chemin, nous passons devant la salle de soins où sont installés des fauteuils, je l'assoie sur l'un d'eux avec précaution. Sa respiration est toujours sifflante. Je lui chuchote doucement de rester ici en attendant que j'aille chercher quelqu'un.

Je suis déchiré de devoir le laisser seul quelques minutes.

La porte de la pièce est entrouverte, je ne réfléchis pas et entre sans signifier ma présence. Je remarque une soignante qui est de dos, elle est concentrée devant son ordinateur. Rapidement je jette un coup d'œil à Simon pour voir si la situation ne s'est pas aggravée.

Je me racle la gorge et la nana sursaute.

— Vous pouvez venir m'aider, Simon de la chambre 402 est très faible, je fulmine d'impatience.

Elle esquisse enfin un mouvement dans ma direction. Son regard clair croise le mien méprisant.

— Bonjour, que s'est-il passé ? m'interroge-t-elle posément en se levant de son siège.

Son attitude est calme - trop calme - . Génial, je suis tombé sur la cruche du service.

A-t-elle entendu mon appel à l'aide ?

— Il a été pris d'une grosse quinte de toux !

Elle ne semble pas impressionnée par mon attitude irrespectueuse. 

Pourquoi ne réagit-elle pas ?

Immédiatement, cette nana m'exaspère et m'irrite. Pourtant, je sais qu'il est injuste de juger quelqu'un aussi rapidement, mais quelque chose me dérange dans son comportement trop léger.

Ses cheveux d'un blond froid tressés en nattes, encadrent son visage harmonieux. Elle est jeune, à peine la vingtaine je pense.

— D'accord et ça s'est passé il y a combien de temps ? se renseigne-t-elle en s'emparant d'un appareil dans le placard.

Seriamente² ! Ses questions barbantes me contrarient, elle nous fait perdre du temps.

— Je ne sais pas et ce n'est pas le problème ! j'aboie en rejetant la tête en arrière.

J'espère que Simon n'entend pas mes paroles acerbes. Il faut que je me radoucisse, pour ne pas l'effrayer.

Sans me prêter attention, elle me contourne et se dirige rapidement vers le petit garçon qui patiente dans le couloir, je lui emboite le pas. Comme moi plus tôt, Blondie s'accroupit à sa hauteur, examine son visage et s'empare d'une de ses mains.

— Bonjour Simon. Si tu ne peux pas répondre à mes questions, serre ma main d'accord ? articule-t-elle avec un sourire bienveillant.

Le petit bonhomme réagit en l'empoignant.

— Tu as du mal à respirer ?

Il presse une nouvelle fois sa main.

— Vous en avez encore pour longtemps ? j'interviens avec agacement.

Blondie ignore ma remarque et se concentre de nouveau sur Simon, elle ébauche un sourire rassurant dans sa direction. Je me comporte comme un véritable mufle et prends conscience que je ne lui facilite pas son travail, seulement je ne peux pas m'empêcher de me soucier pour cet enfant.

— Très bien, je vais prendre ta tension artérielle avec ce brassard et ton pouls, tu sais comment ça marche ? questionne-t-elle en entourant son biceps avec prudence du fameux bandeau.

Les résultats s'affichent lentement sur l'appareil, mais je ne sais pas les déchiffrer. Elle lui explique qu'il a une tension à 9/6 et un pouls à 115 battements par minute. Blondie lui donne d'autres informations que je ne comprends pas.

— Tu es très courageux Simon. Ça va aller, on va s'occuper de toi, reprend-elle d'une voix qui se veut réconfortante.

Je reconnais qu'elle est très professionnelle et se préoccupe soigneusement de Simon. La blonde récupère son téléphone dans sa poche et appelle quelqu'un.

Toujours en surveillant Simon, je suis sa conversation avec son interlocuteur. La femme se présente et j'apprends par la même occasion qu'elle s'appelle Taïs. Rapidement elle raccroche et se retourne vers moi en levant le menton.

J'ancre mon regard dans ses yeux d'un bleu givré, les siens sont accusateurs.

— Ma collègue va arriver. Vous pouvez rentrer chez vous Monsieur. Nous allons veiller à présent sur Simon, évoque-t-elle sans appel.

Dans mon champ de vision je perçois l’autre soignante sortir d’une pièce et s’empresser de nous rejoindre. Mon petit patient assiste à notre échange houleux et ce n'est pas l'exemple que je veux lui montrer de ma personne. La blonde a raison, je dois partir et être raisonnable.

Je pose ma main sur l'épaule du petit garçon, avant de lui murmurer :

— Mon grand je dois partir, j'appellerai demain pour prendre de tes nouvelles, promis, je l'informe calmement.

Il hoche la tête positivement.

— Tu es un guerriero³, j'affirme, la voix légèrement tremblante.

Je respire fortement en me relevant et sans un égard pour cette femme, je fais demi-tour.

¹ : C'est un battant.

² : Sérieusement.

³ : Un guerrier.

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