I (Partie une)

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Mai

People Help The People — Birdy

Beautiful Days — Venus

Les portes coulissantes du service d’hématologie-oncologie pédiatrique s’ouvrent devant moi.

En l’espace d'une année, je constate que rien n’a changé. Le sol est toujours aussi blanc, les couloirs respirent encore le détergent et le produit désinfectant.

Pourtant, l’environnement reste chaleureux. Les murs blancs sont décorés de touches de couleurs, formes géométriques, fleurs et mots réconfortants, parlant autant aux enfants qu'à leurs parents.

L'unité a subi des rénovations il y a quelques années et je suis fier de pouvoir dire que j'y ai contribué.

Je rejoins le bureau de Rebecca, la porte est légèrement entrouverte. Je toque pour signifier ma présence et m’adosse contre l’ouverture, attendant une réaction de sa part. Mais elle ne daigne pas lever les yeux de ses dossiers. Affublée de sa blouse blanche de service, ses cheveux bruns sont négligemment attachés en chignon.

Plusieurs secondes passent, puis son regard noir me scrute, je m’approche et avec nonchalance m’installe dans le siège en face du sien.

C’est l’une des rares personnes que je respecte encore, elle fait un travail remarquable avec les enfants de son service, Rebecca a un grand cœur et c’était l’une des plus proches amies de ma mère.

— Comment vas-tu ? commence-t-elle.

— Bien.

Elle ne sourcille pas, malgré ma réponse brève et détachée.

— Quand es-tu rentré de ton échange universitaire à Naples ? poursuit-elle.

— La semaine dernière, tu me manquais, je lance.

Rebecca amorce un léger sourire face à mon arrogance, cependant elle reprend très vite son sérieux en poursuivant. Je la remercie silencieusement, je n'aime pas les bavardages inutiles.

— Trêve de plaisanterie. Il s’appelle Simon.

Je ne réponds rien et écoute attentivement ses propos au sujet de ce petit garçon.

— Il a neuf ans, soupire-t-elle.

C’est toujours aussi difficile à entendre. J’interviens dans ce service depuis plusieurs années. A une époque, cela a été une échappatoire et un moyen de m’aider à ne plus succomber à mes démons.

— Quand a-t-il été admis dans le service ? j’ose demander.

— Il y a deux semaines.

— Il y a d’autres choses que je dois savoir, avant de le rencontrer ?

Rebecca déglutit difficilement et réfléchit quelques secondes. Au vu de sa réaction, cette nouvelle mission dont je suis affublé, semble complexe.

— J’aimerais que tu fasses preuve de patience dans un premier temps. Simon est… un petit garçon peureux, il est perdu, l’annonce de sa leucémie a été brutale pour lui et sa famille. Il n’a plus de repère, argumente-t-elle dans un souffle. Je vais te le présenter, m’indique-t-elle en me désignant la porte du doigt.

Je hoche la tête en me relevant du siège et la suis dans les couloirs sans parler.

L'annonce de la maladie et l'hospitalisation – qui dure parfois plusieurs mois – est souvent difficile à vivre pour des jeunes enfants. L'équipe soignante a donc eu l'idée il y a sept ans, de créer une association qui permet de rendre la maladie moins dure pour eux.

« Les enfants de l’espoir » est le nom de l’association. Elle accède à certains des besoins des patients, avec l'aide de bénévoles, qui passent plusieurs après-midis dans le service.

L'identité de l'enfant et ses repères sont modifiés. Le service devient sa deuxième maison. Il n'est plus qu'un simple enfant, mais un malade alors nous sommes là pour le lui rappeler.

Un regard extérieur, accéder à ses souffrances, qu’il puisse se distraire le temps d’une heure, déconnecter du monde réel, se confier sans ressentir de jugement ou de pitié. Pouvoir être rassuré - dans la mesure du possible - dans les phases difficiles de la maladie.

Nous avons le rôle de veiller sur lui jusqu’à ce que l’enfant soit au stade de rémission ou dans le cas fatidique, jusqu'à son décès.

J'aperçois la salle de classe et de détente mise à la disposition des enfants, quelques-uns sont agglutinés devant la télévision.

Nous arrivons devant la chambre 17. Rebecca frappe délicatement à la porte, pour signifier sa présence. Une voix fluette nous autorise à entrer. Elle se glisse à l'intérieur de la pièce et referme derrière elle, quant à moi j'attends sagement dans le couloir.

Dans un premier temps, il est important d'avoir l'autorisation de Simon, il peut refuser à tout instant de passer l'après-midi avec moi.

Quelques minutes plus tard, le battant s'ouvre. Rebecca se penche dans ma direction.

— Tu peux rentrer, chuchote-t-elle avec un léger sourire.

Je les rejoins dans sa chambre individuelle, un petit garçon me fait face, la mine fatiguée.

— Bonjour je suis Samuele, mais tu peux m'appeler Sam si tu le souhaites, j'énonce avec bienveillance.

Il hoche la tête pour seule réponse.

Je décide de rester en retrait pendant que Rebecca intervient, j'étudie son environnement et son attitude.

Simon est allongé sur son lit et me dévisage avec curiosité. Des dessins sont accrochés aux murs blancs crème. Je souris malgré moi en apercevant un ballon de basket qui traîne près de la fenêtre.

Sa peau est pâle, des tâches rouges parsèment son cou. Ses cheveux semblent naturellement lisses, de couleur brun clair barrant la vue sur ses yeux cernés, ses lèvres sont légèrement pincées et je comprends son attitude distante face à un inconnu.

J’aperçois une console entortillée entre ses doigts. Il finit par fuir mon regard. La première rencontre peut être parfois délicate. Une pile de livre me saute aux yeux, je m’approche du fond de la pièce sous le regard intrigué de Simon. Je prends le premier livre et passe ma main sur la couverture du roman Le Petit Prince.

Ma mère nous lisait régulièrement cette histoire le soir avant de nous endormir. Je me souviens de voir ma sœur Aurora somnoler, après que la voix douce de ma mère nous ait lu trois pages, alors que moi, j’étais incapable de fermer un œil avant la fin d’un chapitre. Mon frère Léone quant à lui, ne pouvait s'empêcher de poser une question à chaque nouveau paragraphe.

Je ferme les yeux en repensant à la phrase que ma mère aimait reprendre de cet ouvrage :

« C'est une folie de haïr toutes les roses parce qu'une épine vous a piqué, d’abandonner tous les rêves parce que l’un d’entre eux ne s'est pas réalisé, de renoncer à toutes les tentatives parce qu’on a échoué… C'est une folie de condamner toutes les amitiés parce qu’une d’elles vous a trahi, de ne croire plus en l’amour juste parce qu’un d’entre eux a été infidèle, de jeter toutes les chances d’être heureux juste parce que quelque chose n’est pas allé dans la bonne direction. Il y aura toujours une autre occasion, un autre ami, un autre amour, une force nouvelle. Pour chaque fin il y a toujours un nouveau départ. Fais de ta vie un rêve, et d'un rêve, une réalité. ».

Cette époque mi manca¹ . Je bats des paupières et me concentre sur le petit garçon qui me fait face.

— Tu as déjà lu ce livre ? je lui demande tranquillement.

Une nouvelle fois, il hoche la tête positivement. Je ne perds pas espoir d'entendre sa voix un jour.

— Ma Mamma me lisait cette histoire pour m’aider à m’endormir quand j’avais ton âge, je lui avoue.

Il me considère d’une attention troublante. Je repose mon regard sur la couverture abîmée.

— Mam... Mamma ? murmure-t-il d'une petite voix.

Rebecca observe attentivement notre échange de sa position, son regard brille d'émotion. Je parle rarement de ma mère et elle le sait. Une boule se forme dans ma gorge, secoué par ce souvenir.

— Cela signifie maman en italien.

Ses yeux s'arrondissent de surprise, la curiosité le pousse à poursuivre.

— Tu... Tu parles italien ?

Ma certo ! ²

— Oh ! Alo... Alors comment se dit bonjour ?

Je lance un rapide coup d'œil dans la direction de Rebecca, elle semble ravie, me fait signe qu'elle nous laisse seule, pour faire connaissance et sort discrètement.

Ciao³. Je pourrais t'apprendre quelques mots si tu veux.

Je le vois hésiter quelques secondes, avant de reprendre la parole.

— D'accord, finit-il par me répondre avec un léger sourire.

* * *

¹ : Me manque.

² : Oui bien-sûr !

³ : Bonjour.

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