Scène 2

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Après le départ des croque-morts, j’attendis le retour de Gilbert et Carmin. À leur visage embarrassé, je compris qu’ils n’avaient pas grand-chose à m’apprendre. On ne savait pas où logeait la victime mais un vendeur de vin l’avait reconnue. J’avais au moins un prénom, Annette, mais personne ne souhaitait en dire plus. Dans les quartiers populaires, la méfiance et la haine du condé réprimaient la libre expression de la fibre citoyenne. Je n’espérais pas obtenir des témoignages spontanés. Cela viendrait plus tard, quand l’horreur du crime aurait infusé à force de rumeurs.

Armé d’un portrait et d’un prénom, je commençai la tournée des pensions, les provinciales choisissent souvent ce type de logement. Pour une somme modeste, ils offrent un minimum de lien social et de sécurité.

Au bout de deux ou trois établissements, un patron d’hôtel m’indiqua une adresse. Une jolie petite maison, un peu à l’écart dans impasse dont les pavés laissaient jaillir des touffes d’herbe. Les géraniums aux fenêtres donnaient un côté propret et accueillant à ses murs miteux. À la vue du crucifix accroché au-dessus de la porte, j’imaginai déjà le silence gêné durant les repas et les règles de bienséance qui devaient régner entre ces murs.

Je sonnai et la dame qui me répondit m’inspecta de haut en bas, soupçonneuse. Son visage aigri et mesquin me rappelait celui d’une fouine, elle portait des vêtements de travail rapiécés çà et là. Elle exhalait une impression de pudibonderie hypocrite et de méchanceté assumée. Elle m’évoquait les honnêtes citoyens qui ignoraient la charité et nettoyaient leur âme à la messe.

— Vous savez pas lire, croassa-t-elle en pointant son pouce vers un écriteau.

J’y vis de belles cursives qui interdisaient l’accès à toute personne de sexe masculin. Décidé à ne pas me laisser intimider, je lui mis ma carte sous le nez. La dame recula. Ses yeux farouches s’étaient teintés de peur, mais elle continuait de barrer l’entrée de son temple de la vertu.

— Police nationale, déclarai-je. Et vous êtes ?

Elle ne réagit pas, j’attendis un instant avant de lui poser la question qui me démangeait.

— Une de vos pensionnaires s’est-elle absentée cette nuit ?

Le visage de la vieille bique se décomposa, elle perdit de sa superbe, mais persistait à bloquer le passage. Je ne lui permis pas de se reprendre et lui mis le portrait de la jeune femme sous les yeux.

— Oui, c’est elle… vous l’avez arrêtée ?

— Non. J’aurais préféré, répondis-je en me rendant compte à quel point c’était vrai.

— Vous la recherchez pourquoi ?

— Nous avons retrouvé son corps, non loin d’ici. Je travaille à trouver son assassin.

Elle prit un air attristé, pas effondré, comme si le meurtre faisait partie de sa vie. Je voyais les rouages de son esprit mesquin tourner à plein régime. Elle calculait ce qu’elle allait perdre comme revenu et réfléchissait déjà à une remplaçante pour payer son loyer. Comme elle ne semblait pas disposée à me proposer d’entrer, je la poussai de la main et refermai la porte derrière moi. Elle tenta de se révolter, mais quelque chose dans mon regard transforma son air farouche en une sorte de soumission offusquée.

— J’aimerais en apprendre plus sur elle.

Devant son mutisme, je précisai ma question.

— J’ai besoin de son identité et de sa profession.

— Elle travaille comme couturière au Bon Paris.

Je sortis mon carnet et commençai à noter.

— Rappelez-moi ses nom et prénom.

— Riou, Annette Riou.

— Avait-elle des amis ?

— À ma connaissance, non, à part Louisette Vuillemin, une autre de mes pensionnaires.

— Pourrais-je lui parler ?

— Elle est pas là. Elle rentre en général vers six heures.

— Pourriez-vous me faire visiter la chambre d’Annette ?

Son visage reprit l’expression méfiante qu’elle avait à mon arrivée, mais elle me guida par un couloir. Je m’attendais à emprunter l’escalier qui desservait les étages, mais sa course s’arrêta devant une porte à proximité de celui-ci. Elle sortit un trousseau de clefs et m’ouvrit.


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