Samedi 31 octobre, 8h.

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Depuis hier, je flotte sur un nuage. Je suis complètement accro à mon docteur. Je l'aime, et ça augmente chaque jour, je ne savais même pas qu'un truc pareil était possible parce que je me rends compte aujourd'hui que je n'ai jamais ressenti ça avant lui. J'ai envie de lui hurler tous les jours à quel point je l'aime, mais même moi je me trouve franchement lourd, alors j'évite. Je ne me supporte plus. Jay, arrête d'être fleur bleue, c'est moche. Où est passé le type cool avec ses Doc Martens ? Disparu dans les limbes du romantisme, en même temps que l'arrivée de ma nouvelle paire de sandales la semaine passée, je suppose... Merde.

Tiens, Aiden se réveille. Il ouvre ses grands yeux noirs. Qu'il est beau. Je l'aime. Stop.

  • Jay, il s'adresse à moi, trop mignon.
  • Hmmmm? je souris en le regardant toujours.
  • T'es flippant. Arrête de me fixer comme ça.
  • Oh.

Ça y est, je suis redescendu sur terre. Je me suis écrasé sur terre en fait. Bien fort. Je m'éloigne un peu, gêné.

  • Aiden, faut que je t'avoue un truc, je dis sans le regarder.

Je sais déjà qu'il hausse un sourcil.

  • Vas-y, dis-moi...

Il a l'air... Circonspect.

  • Écoute, j'arrête pas d'y penser et je peux plus le garder pour moi. (J'inspire un grand coup). T'es trop mignon ! je hurle et me jette sur lui en le chatouillant.
  • Putain, arrête- flippant, taré ! il crie en riant, tentant d'échapper à mes doigts agiles.
  • Les garçons, pas de sexe sous mon toit ! gronde la voix de Luc, et une bonne douche froide de bon matin me submerge.

Je m'arrête en plein élan et laisse retomber mes bras le long du corps.

On se prépare en vitesse et on descend.

  • On faisait rien de mal, je grommelle pour moi-même.
  • C'est ça, j'ai des oreilles et ce lit fait un bruit d'enfer. Si vous respectez pas la règle, je vous mets chacun dans une chambre.

Ça me rappelle que mon père n'a toujours pas donné de nouvelles. Alors je questionne Luc.

  • Et sinon, papa..? je demande doucement.
  • Il... N'est pas encore prêt, Jay. Laisse-lui du temps, d'accord ? Luc me regarde avec compassion.
  • Putain, on lui a pas dit que son fils était mort non plus ! s'énerve Aiden en tapant du poing sur la table.
  • Pas de violence chez moi, et langage, intervient Luc. Vous avez prévu quelque chose pour ce soir ? il demande après un silence.
  • Ouais, on va à une fête chez Andrew, beaucoup de monde y sera. On risque de rentrer tard.

À la mention de la fête je prends un peu peur. Je sais que Matt y sera et que quoi que j'en dise il essaiera de mettre Aiden dans son lit. Et Matt est beau et il est à son goût visiblement et la fidélité ça n'a jamais été le truc d'Aiden... Je commence à me faire des films. Faut que j'arrête.

***

C'est une soirée déguisée, et je déteste ce genre de trucs. J'ai dû me creuser la tête et finalement j'ai décidé de me la jouer vampire. Aiden dit qu'il est déguisé en loup garou. Il s'est juste fait une adorable petite moustache et entre nous, on dirait plus un chaton. Quelque chose me dit qu'il n'aime pas vraiment ça non plus...

On arrive enfin dans la maison d'Andrew, à quarante minutes de marche. Une bonne petite ballade au bord de l'océan les pieds dans l'eau, et son vent frais qui nous chatouille les cheveux ; après manger, rien de tel.

Quand on entre dans la baraque - reconnaissable à un kilomètre tellement la musique est forte - la fête bat déjà son plein. Je me dirige vers le bar improvisé pour me prendre une bière et Aiden me murmure à l'oreille qu'il ne veut pas que ça se passe comme la dernière fois et me ramasser à la petite cuillère. Message reçu... De toute façon, je dois rester sobre, au cas où Matt tenterait un truc.

D'ailleurs, après quelques bières qui me permettent enfin de me déchaîner sur la musique, faisant virevolter ma cape de vampire un peu partout, je vois l'ombre de Matt se balader. On dirait qu'il m'évite... Au moment où je compte le rejoindre, une main se pose sur mon bras.

  • Ça me fait plaisir que tu sois venu.

C'est Andrew, qui me fait un sourire sincère.

  • Bah, tu sais, c'est toujours sympa de s'amuser et tout...

Je n'ai jamais été très doué avec les remerciements polis et ce genre de trucs.

  • J'ai vu que t'étais avec Aiden... Alors cette fois c'est officiel ? il me demande, curieux.
  • Ouais, cette fois c'est officiel, je répète aussi pour moi-même parce que c'est trop cool de dire ça.
  • Sois prudent quand même. T'es un type bien Jay. Je voudrais pas, tu vois, que tu sois blessé...

Ils commencent tous à me saouler là, ils ne connaissent pas notre relation, ils ne savent pas comme c'est fort entre nous, et tout ce qu'on partage bordel.

  • Oui, je connais le refrein. Merci de t'inquiéter mais ça va bien entre nous. Très bien, même, je lui dis fermement.

Et je crois en ces mots.

  • Tu sais Jay, si on te prévient tous c'est qu'on le connaît depuis des années, on veut que ton bien...

Et sa main se laisse glisser de mon bras, et il s'en va comme ça. Ils me foutent la trouille, ils me font douter alors que j'ai confiance en lui et j'ai horreur de ça, putain.

Je danse encore un peu mais le cœur n'y est plus. Et Aiden n'est plus dans le coin. Mon ventre se serre à l'idée que les autres aient eu raison, et je décide d'aller le chercher.

Il n'est nulle part. Il n'est pas dans la salle de bain ni au salon, ni à la cuisine ou dehors. Et je n'ai toujours pas revu Matt non plus... Je suis prêt à abandonner quand j'entends un coup sec dans une chambre sur la porte de laquelle il est écrit "interdit d'accès". Je décide d'y jeter un œil ; elle est mal fermée.

Ça y est, j'ai trouvé mon homme. Contre le mur en face de moi. Je ne peux pas vraiment voir son visage, parce qu'il est caché par celui de Matt. Mais ce qu'ils font me semble carrément évident.

Putain.

Non.

Non, je ne vais pas faire comme dans ces putains de séries télé ou ces films à deux balles où la personne se sent bafouée et se casse sans avoir le fin mot de l'histoire, créant des foutus malentendus et ajoutant quarante-cinq minutes de film de merde de retrouvailles complètement nazes.

Je ne vais pas faire ça et je vais rester, je resterai jusqu'à ce que je comprenne de quoi il s'agit, jusqu'à ce que Matt décolle ses lèvres et son putain de corps de mon mec, ou éventuellement jusqu'à leur casser la gueule, ce dont je doute fortement.

Parce que j'ai confiance en Aiden, même là, maintenant, et je sais qu'il le repoussera. C'est mon homme. J'ai même un petit sourire. Je ne sais pas comment je peux penser un truc pareil alors que la langue d'un autre type est dans sa bouche et qu'il n'est pas vraiment en train de le repousser, mais en fait je suis presque zen et j'ai hâte de voir comment Matt va se faire dégager en un clin d'oeil. Me manquerait plus que les pop-corn.

Alors, le premier choc passé, je m'appuie contre le chambranle de la porte et je patiente.

Je peux profiter de détailler toute cette merde. Aiden est littéralement collé au mur, et Matt a plus l'air de l'emprisonner qu'autre chose. Ça a un côté rassurant. D'ailleurs, Matt - déguisé en squelette, franchement je devrais filmer cette scène, ça ferait un putain de buzz sur internet, un squelette et un chaton, sérieux - maintient comme il peut les mains d'Aiden et je sens bien qu'il essaie de le repousser. Je pousse un soupir de soulagement. Je suis presque en train de regarder une scène de viol, mais hourra, mon homme n'est pas complètement passif !

  • P...Ptain... Matt..

Il essaie tant bien que mal de lui dire d'arrêter, envahi par les baisers de mon pote. Le pote que j'ai envie de démolir, là de suite. J'aurais peut-être dû me la jouer "massacre à la tronçonneuse" ce soir... Je vois bien qu'Aiden hésite un peu parfois et que la pression qu'il exerce pour se dégager faiblit. Je vois qu'il répond même un peu au baiser de temps en temps. Mais à côté de ça, il a quand même majoritairement envie de dégager Matt. Je pense qu'à sa place, je réagirais un peu pareil. Ce n'est pas facile non plus de repousser ce type bien foutu au look de surfeur.

Un coup de pied dans les couilles et Matt s'effondre pendant qu'Aiden reprend sa respiration. Il est très, très fâché, et je sais que si je n'interviens pas, ça pourrait mal finir pour Monsieur Jack. Il se prend d'ailleurs déjà un premier coup de pied dans le tibia. J'avance d'un pas et racle ma gorge.

  • Bon, on va s'arrêter là. Matt, rentre chez toi, t'en as assez fait pour ce soir.

Tous les deux sursautent en me voyant, et Aiden blêmit.

  • Je te jure que c'est pas ce que tu crois, Jay. Je te jure, j'étais, enfin c'est lui qui-
  • Mon petit cœur, je peux pas me méprendre après ce que je viens de voir, détends-toi, je le coupe avec un sourire.

Je le trouve trop mignon. Je le vois se calmer un peu et il regarde à nouveau Matt, très fâché. Mon sexy-fâché-de-mec. À. Moi.

  • Toi... il siffle entre ses dents.

Vraiment, je vous jure, avec sa petite moustache, il n'a pas du tout l'air sérieux.

  • Arrête Aiden. C'est bon. Il a compris. Il a perdu. Sérieux Matt, barre-toi.

Quand je croise le regard du type qui est toujours en train de se tenir les couilles, je remarque avec facilité que sa souffrance n'est pas uniquement physique. Il a été rejeté, encore, par le type qu'il aime... Ça doit être très dur à admettre. Il a été frappé, en plus. Pris d'un élan de pitié, je lui tends la main. Il a d'abord un geste de défense, il a dû penser que j'allais le frapper, puis il me regarde avec incompréhension.

  • Allez, viens. Je vais t'aider.

Il prend ma main et je passe son bras autour de mon épaule.

  • C'est quoi ce bordel ? demande Aiden, de nouveau très froid, tout seul au milieu de la chambre.
  • J'en ai pour deux minutes, attends-moi ici, je dis pour toute réponse.

On traverse la foule de gens, certaines personnes ont un air interrogateur, la plupart s'en foutent complètement et doivent penser qu'il va juste dégueuler parce qu'ils se poussent avec une facilité déconcertante.

Enfin dehors, je l'aide à aller un peu plus loin, on s'éloigne des fumeurs et de la musique assourdissante. Il a toujours ce regard douloureux. Il s'assoit dans le sable, au bord de l'eau calme qui tranche avec l'ambiance qu'on vient de quitter. Il ramasse un coquillage et le lance. Je m'installe à côté de lui.

  • Matt... je commence.

Mais je ne sais pas vraiment quoi dire.

  • T'avais raison, d'accord ? Je sais plus comment te faire comprendre que ce type est pas fait pour toi maintenant. Je sais plus comment te montrer qu'il te mérite pas, il murmure ses derniers mots.
  • Euh... Je... Je sais que ça doit être dur pour toi d'avoir encore été... Hm, rejeté. Et même si j'ai eu envie de te tuer, mais vraiment de te tuer, je m'imaginais te découper en morceaux et tout, y a cinq minutes, on peut toujours rester amis... Si ça te fait pas trop de mal de me voir avec la personne que t'aimes, et si t'essaies pas, tu sais, de bousiller mon couple.

J'essaie d'avoir un regard doux. Un regard de pardon.

  • De quoi tu parles ? (Ses yeux posés sur moi sont d'abord complètement dans le flou. Ensuite il fronce ses sourcils et il se frappe le front de sa main droite, puis se laisse tomber en arrière dans le sable). Putain, Jay, tu crois quand même pas que je suis amoureux d'Aiden, hein ? Tu peux pas être dans le faux À CE POINT ?!

Il a presque hurlé sa dernière phrase, et j'ai sursauté.

  • Que-quoi ? Ben, t'as couché avec lui et tu, t'es pas amoureux de lui ? (Je prends conscience de ce que ça veut dire). Alors pourquoi tu nous as fait chier ? Pourquoi t'as inventé toutes tes conneries et... Et ces mensonges et ce pari et pourquoi tu, putain je te comprends pas !
  • Merde, Jay ! T'es vraiment un boulet des fois ! (Il se rassoit et me regarde dans les yeux). Je-suis-amoureux-de-toi. Je-t-aime. (Il détache chaque syllabe. D'abord j'analyse, ensuite j'ai envie de rire parce que c'est ridicule. C'est ridicule, non ? Devant mon début de rictus, il commence à s'énerver). Tu m'as même demandé d'être clair ! J'ai été hyper clair, bordel ! J'ai pas arrêté de te draguer ! Tu crois que j'suis un chaud lapin qui fait du rentre dedans à tout le monde ? Et c'est pas parce que je me suis tapé Aiden que je l'aime, j'suis pas maso putain ! C'était juste un bon coup, il a dû te le dire non, que c'était juste du cul ? Merde, j'en viens à devoir t'expliquer que je t'aime, c'est carrément risible.

Il rit de lui-même et ça déclenche enfin une réaction appropriée chez moi. Le silence retombe, la musique en fond, le bruit des vagues en premier plan. Je regarde la lune se refléter sur l'eau, complètement hypnotisé.

  • Pourquoi ? je demande doucement. (Je finis par le regarder). Dès le début je t'ai dit - et je le croyais, je te jure - que j'étais hétéro.
  • Jay, tu crois qu'on choisit ce genre de trucs ? (Lui aussi est plus doux dans ses paroles). Depuis le jour où je t'ai entendu faire ton petit monologue tout seul sur la plage devant chez moi, alors que tu pensais que personne t'écoutait, je t'ai trouvé génial. Depuis le premier jour. J'ai vu que tu te rapprochais d'Aiden, je l'ai remarqué, et la façon dont tu me parlais de lui avec fougue comme ça, tu peux pas savoir comme ça me rendait jaloux. Mais j'étais vraiment sûr que t'étais juste... Fasciné par lui, c'est tout. Ce soir-là, lors du bal, je me suis dit que si t'apprenais qu'il t'avait embrassé, tu serais dégoûté. Que tu te dirais qu'il a profité de toi ou un truc comme ça. (Il se met à rire). Putain, en fait je vous ai carrément poussés dans les bras l'un de l'autre. (Il rassemble ses genoux devant lui et pose sa tête dessus). Je suis misérable.

Je respire, analysant tout ce qu'il vient de me dire. Je ne m'y attendais pas, pas du tout.

  • J'avais pas conscience de tout ça. Vraiment ça m'a jamais traversé l'esprit que... C'était tellement clair dans ma tête qu'on était... Amis. J'ai juste cru que t'étais jaloux de moi. J'ai jamais pensé tout ça. Je suis désolé. J'suis vraiment un con. Et ça te rassurera sûrement pas mais... Je pense que ça aurait quand même été lui. Même si je m'en étais rendu compte. C'était lui depuis le début.

Je pose une main sur son épaule. Il hoche machinalement la tête et me fait un petit sourire, mais ses yeux sont noyés par les larmes qu'il retient comme il peut.

  • Je suis vraiment désolé, Matt.

Il hoche encore la tête, et se lève.

  • Je, j'vais rentrer. T'inquiète pas, va le retrouver. Puisqu'apparemment tu l'as vraiment fait changer. Tu dois avoir ce don de rendre les gens meilleurs, Jay. Ça m'étonne pas. T'es génial.

Ses mots me touchent, et je ne sais pas où me mettre. Alors je le laisse partir sans plus rien dire. Je ne le rattraperai pas. Je ne veux plus lui donner d'espoir.

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