Samedi 24 octobre, 14h.

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C'est aujourd'hui qu'on déménage. J'attends des nouvelles de mon père qui est injoignable depuis hier soir. Je suis anxieux.

C'est après avoir tourné en rond dans ma chambre comme un lion en cage que j'entends la porte d'entrée se fermer.

Je descends les marches avec appréhension et m'arrête au milieu de ma course en voyant mon père dans l'entrée.

  • Salut papa... je dis d'une voix que j'espère sùre mais qui ne l'est évidemment pas en franchissant lentement les dernières marches.
  • Jay.

Il est toujours froid. Ça n'augure rien de bon.

Aiden arrive derrière moi, et le regard de mon père change. Il passe de la froideur à la fureur. Je regarde dans la direction de mon copain qui baisse les yeux, il a presque l'air d'avoir honte. Ça m'énerve. C'est injuste.

  • J'suis toujours ton fils ou pas ? Histoire que je sache un peu si je suis devenu orphelin, je lui crache en retrouvant un peu de ma verve.

Il est d'abord surpris, et je vois ensuite qu'il est vraiment blessé. Je relis la trace de colère dans ses expressions, et il se calme en respirant profondément.

  • Il faut qu'on parle. On va au salon. Seul à seul, il ajoute à l'intention d'Aiden, qui remonte dans la chambre sans un mot.

J'ai envie de lui courir après et de lui faire un câlin pour le rassurer, mais je suis mon père. Il a raison, on doit régler ça maintenant.

Après m'être installé sur un canapé et lui sur l'autre, séparés par la table en verre qui trône au milieu du salon, je l'écoute. Il doit ouvrir et fermer la bouche plusieurs fois, il a sûrement prévu tout un discours et il ne sait plus par où commencer. Je connais ça, j'ai probablement préparé le même... Enfin, presque.

  • Jay. Tu sais que je suis quelqu'un de tolérant et que ce genre de... Choses, ne me dérange pas en général. Ça ne me dérange pas du tout... Je suis pas ho-homophobe. Vraiment pas. J'accepte ces personnes, enfin vous, enfin ça sans difficulté. Mais là, c'est toi. C'est plus compliqué. Et c'est avec lui. Tu sais que ce gamin est mal fichu à l'intérieur, t'as entendu Luc en parler. Et-
  • Stop. Arrête-toi ici. Papa, je te le dis clairement parce que je l'ai pas encore fait. Je suis gay, et ça changera rien même si tu l'acceptes pas. Et Aiden n'est pas un putain d'objet, il est pas cassé, d'accord ? Tu sais très bien que moi aussi j'ai mes casseroles et mes bagages, et il les connaît. T'as bien entendu papa, j'ajoute quand je vois ses yeux s'agrandir sous la surprise, il les connaît ! Je lui ai tout dit, je lui ai parlé de ce qui m'est arrivé et ça m'a fait du bien. Il sait tout de moi. Il m'a accepté. Tu peux pas me dire que moi je devrais pas l'écouter et être avec lui alors qu'il a pas hésité une seconde à tout prendre de moi. Ce serait complètement hypocrite.

Je reprends ma respiration. Je tremble de tout mon corps mais j'essaie de paraître calme et posé pour avoir une contenance face à mon père.

  • Jay... il a cette émotion triste dans la voix. C'est pas ce que je voulais dire. Je comprends que tu sois... Attaché à lui-
  • Je suis amoureux de lui, papa, je le coupe pour lui faire comprendre que ça va plus loin que ça.

Il écarquille les yeux une seconde et tente de reprendre une expression normale, même si c'est évident qu'il est complètement troublé.

  • Bien, d'accord... Comprends juste que je ne veux que ton bien. Je ne veux pas que tu sois déçu, que tu ailles mal, que tu replonges dans...
  • Je sais où tu veux en venir, et ça n'arrivera pas. J'ai grandi depuis, je souffle en caressant machinalement les fines cicatrices sur mes poignets.
  • Arrête de me couper la parole, tu veux ? J'essaie de te faire comprendre pourquoi c'est dur pour moi. (Il attend un instant pour voir si je vais répliquer, et voyant que je l'écoute, il continue). Bien. Je veux ce qu'il y a de mieux et j'ai peur et je pense que c'est normal en tant que père. Et il y a aussi... J'ai plus que toi Jay dans ma vie. On a perdu maman, t'as ni frère ni sœur. C'est tôt pour te dire des choses comme ça, mais j'aurais voulu que tu aies... Des enfants, un jour. (J'ouvre grand les yeux). Oui, tu es jeune, t'y as encore pas pensé, mais ça fait partie de ces choses qu'on attend en tant que parents ! J'aurais voulu que tu aies des enfants, que tu saches quelle joie c'est, que tu construises une famille, enfin... C'est égoïste mais je me serais senti... Entouré.

Il baisse les yeux et je pense qu'il a fini.

  • Oui, c'est définitivement trop tôt pour aborder le sujet. Ça me met mal à l'aise, là. Et tu sais, euh.. Si, un jour, je devais... C'est facile de trouver, enfin d'en avoir, enfin pas facile mais possible alors tu vois... Non vraiment, c'est trop tôt, j'ai l'impression de devoir demander Aiden en mariage demain là. Mais sache juste que ça veut pas dire que ça n'arrivera jamais. Et que ce soit lui ou pas, papa, j'aime les hommes, d'accord ? Alors je ferai pas de... D'enfants naturellement même si c'est quelqu'un d'autre. Et ça se trouve, même si ça avait été une fille, j'en aurais peut-être pas voulu. Donc, s'il te plait, arrête d'être en colère contre lui. Il t'a rien fait et il t'aime bien.
  • Ok, tu as raison, c'est trop étrange comme conversation. Je vais essayer de garder ma rancœur pour moi. C'est lui qui t'a rendu comme ça parce qu'avant tu avais Marie, alors je peux pas m'empêcher de penser que c'est sa faute, mais ça passera peut-être avec le temps... Mais là je dois prendre de la distance, pour réfléchir à tout ça.
  • Il m'a pas "rendu" comme ça, il m'a juste permis d'assumer ce que je savais être inconsciemment depuis un moment déjà... je marmonne.
  • Soit. Si tu le dis. Je déteste te dire ça parce que je veux que ce soit une punition pour toi alors que ce n'est pas le cas, mais je peux pas te prendre avec moi pour l'instant. Je veux pas non plus que tu restes avec lui... Alors pour le moment tu vas rester ici jusqu'à- (Il s'arrête en me voyant sourire niaisement pour la première fois). JUSQU'À, il dit plus fort pour attirer mon attention, ce que je trouve une autre solution. Je pense peut-être à une chambre d'étudiant...
  • C'est vrai qu'une chambre d'étudiant dans une université dans laquelle Aiden va tous les jours... je commence, sarcastique.
  • Je réfléchis ! Je verrai. Je vais y aller. J'essaie de te comprendre Jay, vraiment. Mais c'est pas encore le cas. C'est trop dur pour moi de savoir que tu fonces droit dans le mur.

Il se lève et part sans me laisser le temps de répondre.

Aiden descend les escaliers lentement.

  • Ça a été ? il demande doucement en s'approchant de moi.

Je lui prends la taille et mets ma tête dans son cou affectueusement.

  • Je t'aime.

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