Jeudi 1er octobre, 15h.

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C'est compliqué dans les couloirs, avec Aiden dans les parages. Parfois, il me fusille du regard, d'autres, il a l'air de préparer un mauvais coup. Il me fout la trouille, je ne sais pas à quoi pensent ces yeux sombres, dans lesquels j'ai envie de me plonger et de... Ta gueule, Jay ! Putain... J'ai parfois du mal à comprendre mes propres pensées, qui sont tellement contradictoires. Depuis cette nuit, je fantasme sur lui chaque fois que je le vois, alors que je refuse de faire ça. Je n'arrête pas de chercher une raison logique, de me dire que Marie me manque, qu'avoir quelqu'un à embrasser me manque, et que mon corps a oublié que fille et garçon, ce n'est pas la même chose. Ma tête, elle, le sait très bien. Alors pourquoi cette idiote me dit aussi que les fesses d'Aiden doivent être vraiment belles et rebondies sans sa blouse blanche ? Bon sang, je deviens complètement fou. Pense aux fesses de Marie, Jay...

Je finis mon job à 16h30 et j'écris à Matt pour qu'on se voit. Je ne l'ai pas recroisé depuis trois semaines... Et j'aimerais m'excuser et arranger les choses. Parce que je commence à me demander s'il n'avait pas raison.

Je le retrouve à la Crique, notre coin habituel. Cette fois, c'est moi qui suis en avance. Je m'assois dans le sable en tailleurs. Au début ça me dérangeait d'en avoir partout, mais j'ai compris que c'est peine perdue et je me suis habitué aux grains de sable qui collent à la peau et aux cheveux. Je réfléchis à tout ce que j'ai vécu sur cette petite île, soit pas grand chose. Ça fait plus d'un mois que je suis là et... Je commence à m'y habituer et à m'y sentir vraiment bien. Je me suis fait des potes, j'ai trouvé une formation qui, au final, me plaît, je vis dans une maison superbe sur une île magnifique, le vent est agréable, le mode de vie, un peu plus lent qu'à Paris, est aussi tellement bon... Et j'ai arrêté de faire la gueule à mon père, qui lui aussi semble tellement épanoui dans son nouveau travail. On se rapproche doucement. Et puis, il y a ce type. Je ne sais pas encore définir où il se situe dans mon baromètre de l'amitié. J'hésite entre moins dix et plus vingt. Rien que ça...

  • Salut, Jay...

Je me retourne pour voir Matt avancer vers moi. La dernière fois, les rôles étaient inversés. Il vient s'asseoir à côté de moi sans plus un mot, attendant que je parle. Le malaise entre nous est palpable, et ça me fait mal parce que Matt est le premier à m'avoir accueilli, et le premier aussi qui m'a fait rire à une période où je voyais tout en noir. C'est lui qui m'a permis d'apprécier la vie ici.

  • Matt... Je suis désolé pour la dernière fois. J'ai déconné, j'avais peur de ce que j'ai pu faire ou pas, je me sentais vraiment perdu. Je t'ai blâmé pour ça... Excuse-moi.

Il me regarde en penchant la tête.

  • J'ai bien, compris tu sais. Moi aussi j'ai embrassé mon premier mec, un jour. (il a un léger rire). Je comprends que t'aies pu te sentir mal. Mais t'as attendu trois semaines avant de me contacter, quoi.

Il a repris son sérieux.

  • Je sais, j'ai merdé. J'avais la reprise des cours et tous ces trucs et maintenant j'ai mon stage alors j'ai du mal à tout gérer... Je soupire en regardant le sable sur mes chaussures, que je décide d'enlever pour sentir la chaleur des grains sous mes pieds.
  • Des excuses, mon pote. Un SMS, c'est pas dur à écrire.

Je me mords la lèvre, toujours les yeux baissés. Il a raison...

  • Pardonne-moi, allez ! S'teuplait ! T'en meurs d'envie ! Je dis tout à coup avec un regard de psychopathe.

Qui ne tente rien n'a rien, nan ?

Et ça marche. Il éclate de rire.

  • T'es vraiment un malade, tu sais ? C'est bon va, je m'en fous, je voulais juste que tu culpabilises un peu de m'avoir laissé en plan. Mais me refais pas un coup pareil, compris ? Je sens son regard autoritaire et je vois ses lèvres qui refrènent un sourire. Je suis carrément soulagé.

Alors qu'on marche le long de la plage, les pieds dans l'eau, en direction de nos maisons en discutant de tout et n'importe quoi, je peux pas m'empêcher de lui parler d'Aiden.

  • Tu sais, je crois que t'avais raison. C'est vraiment une chaudasse, ce type. Il se taperait tout ce qui bouge ! Je dis dans un rire qui sonne faux.
  • De quoi tu parles ? Il a fait un truc ? Attends, il a essayé quelque chose avec toi ?!

Il s'arrête en disant ça. Comme si c'était impossible. Je trouve son comportement bizarre au vu de la soirée où Aiden m'a déjà embrassé, mais j'arrive pas à mettre le doigt sur la raison qui me fait penser ça. ça me bloque et je laisse tomber l'idée de lui dire la vérité.

  • Bah... Non, il a rien essayé avec moi, tu vois. Mais il arrête pas de draguer à l'hôpital. Toujours après les infirmières ! Je dévie le sujet, parce que j'ai l'impression que notre baiser échangé doit rester un secret qui n'appartient qu'à moi.
  • À l'hôpital ? Tu veux dire que tu bosses avec lui ?

Il est toujours à l'arrêt. Je lui prends la main pour le faire avancer.

  • Je te l'ai pas dit ? On fait notre stage au même endroit, alors je peux le voir sur son territoire de chasse.. Haha ! Je brode, je l'ai pas vu draguer une seule fois encore.
  • Je m'en doute, ouais... Au moins tu connais son vrai visage, ça me rassure !

Il dit en serrant ma main dans un sourire. Ça commence à me mettre mal à l'aise parce que je viens de prendre conscience qu'on dirait un couple. Et de me rappeler, accessoirement, qu'il est gay.et que moi pas.

  • J'vois qu'on s'amuse bien par ici...

Je lève les yeux et je le vois. Aiden. Et il n'a pas l'air content.

Je lâche immédiatement la main de Matt, comme si j'avais été pris en faute, et j'ai moi-même du mal à comprendre ma réaction. Je remarque qu'Aiden aussi avait les yeux vissés sur nos mains, et il relève le regard vers moi. Je vois encore une nuance d'émotion chez lui. De la colère mélangée à... Autre chose. Autant je sens mon coeur se pincer en me disant qu'il a dû imaginer des choses qui ne lui ont pas plu, autant je ne peux pas m'empêcher d'adorer le voir s'ouvrir petit à petit et dévoiler une palette de sentiments, comme si je m'essayais à la peinture et que je trouvais de nouvelles couleurs à force de mélanges. Un tableau magnifique. Et triste.

  • Aiden, mon vieux, ça faisait longtemps... Lui dit Matt avec un grand sourire.

J'avais oublié que je les avais vus discuter au bal de médecine, ça me revient que maintenant.

  • Matt. (Sa voix est tellement froide que j'en ai la chair de poule). Je dois te parler. Encore. Viens.

Et il se retourne, sans même regarder si Matt le suit. On échange un regard et il me murmure un "J'reviens" puis il y va aussi en trottinant.

Je reste comme un con, planté là à les regarder parler un peu plus loin. ça semble animé. J'expérimente un sentiment qui m'était inconnu. La jalousie. Pourquoi c'est à lui qu'il est allé parler ? Ce n'est pas moi qu'il embrassait ce matin ? Et qu'est-ce que ça peut me foutre ? Ça me rend fou, de nouveau.

Je les vois s'énerver l'un sur l'autre mais je ne comprends pas ce qu'ils disent, ils parlent à voix basse. Matt a l'air vraiment en colère, je ne savais même pas que ça pouvait lui arriver. Aiden, lui, semble plus calme, mais on dirait surtout un iceberg. Un iceberg inébranlable. Il a l'air... hyper menaçant.

Il revient après cinq minutes intenses où je suis resté à les regarder, finissant par m'asseoir et laissant tremper mes pieds dans l'eau, tout en essayant de comprendre ce qu'il se passe. Aiden revient vers moi le premier et il me tire par le bras pour me ramener à la maison. Les yeux de Matt sont ronds comme des billes, visiblement lui non plus n'a rien compris.

  • Lâche-moi tout de suite, Aiden, je gronde. Tu me fais mal ! J'ajoute pour le culpabiliser un peu.
  • La ferme. On rentre.

Je déteste la façon qu'il a de me donner des ordres. J'ai peut-être l'air d'être son esclave à l'hôpital, mais faudrait pas qu'il y prenne goût aussi à la maison. Pourtant, je me laisse emporter en faisant un petit au revoir de la main à Matt, qui me regarde, tête penchée sur le côté, avec un air hébété.

Une fois dedans, mon colocataire continue de me tirer, toujours devant mon père et Luc qui viennent apparemment de rentrer du travail. Ils nous suivent du regard, et j'essaie de me mettre à leur place. Chaque fois qu'ils nous voient, on se court après. Ou on se hurle dessus. Ou on s'ignore. Ils doivent vraiment se dire que les choses ne vont pas bien du tout entre nous... Enfin, c'est le cas, non ?

Il continue de me tirer même dans les escaliers, alors que je réfléchis tranquillement à ce qui est en train de se passer dans ma tête.

  • C'est bon, je sais où est la chambre, tu peux me lâcher maintenant ! Je grommelle pour la forme.

Mais il ne le fait qu'une fois qu'il m'a envoyé sur mon lit de toutes ses forces. Il reste debout, bras croisés, attendant. Attendant... Quoi ? Après un temps interminable durant lequel j'ai vu passer toutes sortes d'émotions fugaces sur son visage - et je suis bien incapable de dire à quoi il pense tellement c'est rapide - il reprend son expression préférée, son foutu masque de glace.

  • Explique-moi.

Quoi, c'est tout ?

  • T'expliquer quoi ?! t'es cinglé ! Je dis avec fougue, les coudes relevés, me massant le bras qu'il a tiré avant.
  • Arrête de te foutre de moi Jay, tu faisais quoi avec lui ?

Ces mots sortant de sa bouche, c'est très particulier. J'ouvre la bouche et aucun mot ne sort. Il est... Jaloux ?

  • Je... (Je perds toute contenance). Je... Quoi ? Avec... Lui ? Je faisais rien, on discutait !
  • Tu te balades sur une plage en tenant la main des personnes avec qui tu discutes ? Son ton est calme, chose que j'admire beaucoup chez lui, mais ses yeux fulminent, reflets de ce qu'il ressent réellement.
  • Toi, tu discutes bien avec eux en les baisant, non ?! Je crache avec véhémence.

À son tour d'avoir la bouche bée un instant. Il rougit. Pourquoi, dans un putain de moment comme ça, j'en arrive à le trouver "mignon" quand il rougit ? Je suis détraqué.

  • Ça n'a rien à voir.

Wouah... C'est la première fois qu'il ne trouve pas ses mots et qu'il ne sait plus quoi répliquer. C'est moi qui me reprends tout à coup.

  • Et je suis pas ta meuf, en fait ! Je te dois rien, pourquoi tu me harcèles comme ça ?! C'est quoi ton problème ? T'es fou de moi ou quoi ?! Je demande en me levant de mon lit, me remettant debout face à lui, bras aussi croisés que les siens, mais avec une tête de plus.

Je suis partagé. Je suis partagé parce que j'ai l'impression de pouvoir voir sa véritable personnalité seulement dans les moments où il est énervé contre moi, et ça me donne envie de le pousser à bout. Mais je n'ai pas envie non plus de le blesser.

  • Ça n'a rien à voir, Jay ! T'es pas le centre du monde. C'est peut-être de lui que j'suis fou, tu crois pas ?

Quelque chose se brise dans ma poitrine, et je crois que c'est mon coeur. Je le touche machinalement du bout des doigts et je le sens battre à tout rompre. Ah, non, visiblement il est encore capable de faire le fou dans ma poitrine. Amoureux... De... Lui ? De Matt ? Pourquoi ? Je me sens humilié. Je me sens idiot. Je n'arrive plus à penser à rien à part "Pourquoi ?" Mes yeux s'éteignent et je perds toute ma hargne. Dire qu'il y a deux minutes, j'avais peur de le blesser. Je me mords les lèvres pour pas verser des larmes stupides pour ce mec stupide. Alors je lui dis la seule chose qui me traverse l'esprit et qui tourne en rond dans ma tête.

  • Pourquoi ? Oui, ça sonne con, et y a pas vraiment de réponse à ça, mais je ne suis pas capable de faire plus, là.
  • Quoi ? Pourquoi quoi ? Il demande en fronçant les sourcils.

Et là, je fais la deuxième seule chose que je suis capable de faire. J'avance d'un pas, et cette fois je suis déterminé.

  • Pourquoi c'est lui ?

Il recule. Les choses s'inversent.

  • Jay..?

Il semble... Avoir peur. ça me fait hésiter un instant, mais ce n'est plus ma raison qui parle, c'est mon corps. J'avance encore jusqu'à le coincer contre le mur. Il a peut-être toujours l'air de me dominer, il est peut-être plus âgé, mais il fait toujours une tête de moins que moi. Et c'est moi qui ai le dessus, là.

  • Pourquoi c'est lui ? Je redemande.

Et quand il lève ses yeux noirs vers moi, je ne pense plus à rien.

D'une main, je lève son visage sans douceur, et j'écrase ma bouche sur la sienne. C'est comme quand on n'a plus d'air et qu'on a ce besoin de respirer qui surpasse tout. C'est ça que je ressens au fond de ma poitrine. Et j'en ai marre d'écouter ma raison, cette fois. J'ai besoin de cet oxygène-là. Tout de suite. Il essaie de me repousser faiblement en posant ses mains sur mon torse, mais je sais que j'ai gagné. Je l'entends gémir sous mes lèvres, et nos langues se mêlent enfin l'une à l'autre. Il n'y a plus aucune barrière entre nous, je colle encore plus mon corps bouillant de désir contre le sien, et sans même y penser, j'attrape ses hanches et les soulève pour qu'il arrive à ma taille. Il enroule ses jambes autour de moi, s'agrippant à ma nuque de toutes ses forces. Je laisse échapper un râle de plaisir tout en l'embrassant dans une passion qui nous consume tous les deux. Je ne sais pas combien de temps ça dure. Je perds la notion du temps, de l'espace et de la réalité.

C'est quand mon téléphone se met à sonner que nos lèvres se détachent l'une de l'autre, mais nos yeux ne se quittent pas. Nos regards sont pleins de désir. Ses yeux sont encore plus noirs que d'habitude. J'aime cet Aiden-là. Il est sublime. On a tous les deux le souffle court, et on se regarde un moment, oubliant à nouveau tout le reste. Mon téléphone sonne encore, et cette fois le charme est rompu. Je le laisse glisser contre moi et ses pieds touchent le sol à nouveau. Je me recule et passe ma main dans mes cheveux. Qu'est-ce que je viens de faire ?

Quand pour la troisième fois mon téléphone sonne, je détourne le regard et décroche machinalement.

  • Oui ? Je demande, agacé d'avoir été interrompu.
  • Jay ? Tu vas bien ?

C'est Marie. Je me sens mal tout à coup, et la culpabilité m'envoie un énorme coup dans le ventre.

  • Oh, ma puce... Je, oui, ça va, je souffle en me tournant vers Aiden.

Quand il m'entend, je vois une telle douleur sur son regard que j'ai envie de raccrocher et de le rassurer.

  • Devine quoi mon coeur ! Devine, devine, allez ! Elle semble tout excitée.
  • Qu'est-ce qu'il y a ? Je demande directement, pas d'humeur à jouer - du moins, pas avec elle.
  • Oh t'es pas drôle... Allez, je te donne un indice. Devine où je suis, là tout de suite ?

Mon coeur rate un battement.

  • Je... Sais pas...?
  • Je suis à l'aéroport. A TON aéroport ! Je te vois dans une heure ! Je t'aime !

Et elle raccroche.

Putain.

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