Lundi 24 août, 8h.

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  • ... Oui, hier soir. On est à l'hôtel Maota, là. On va prendre le petit déj', on se donne rendez-vous pour dix heures ? Ça va me faire bizarre de te revoir, après toutes ces années... (...) Merci ! (...) Ça te fera pas trop de route, c'est bon ? (...) Ok ! On t'attendra devant l'hôtel. À toute à l'heure.

Je me tourne dans mon lit et vois mon père, sourire nostalgique aux lèvres. Il a l'air excité comme une puce. Il ne vit pas le voyage de la même façon que moi, c'est clair... Et je lui en veux encore plus pour ça.

  • Alors...?
  • Prépare-toi, fils. Luc vient nous chercher à l'hôtel dans deux heures. ça me rassure un peu, j'étais pas sûr de trouver sa maison...
  • Ok. 'Vais me doucher... Dans cinq minutes...

Et je me retourne, bien parti pour me rendormir.

  • Je les connais tes cinq minutes, je l'entends marmonner. Vas-y maintenant. Après on ira manger un bout, et à nous la nouvelle vie !

Ça y est, il recommence avec son sourire jubilatoire. J'vais vomir.

  • Super... A nous la nouvelle vie, ouais...

Je lève un pouce sans le regarder et j'entends mon père rire en sortant des affaires de sa valise. Je crois qu'il a décidé de laisser tomber l'idée de me faire changer d'avis. Enfin.

Je me lève, le cerveau encore embrumé de mes rêves - cauchemars - de la veille. Sous la douche, je repense à Marie, à notre soirée désastreuse, et maintenant que je suis à des milliers de kilomètres, je regrette. Je regrette que son dernier vrai souvenir de moi soit entaché. Je regrette de ne pas être allé jusqu'au bout. J'avais tout prévu, et j'ai tout gâché. Et maintenant que je veux me rattraper, il est trop tard. Elle m'avait prévenu... J'ai un pincement au coeur.

Une fois le petit-déjeuner pris - qui était dégueulasse, juste pour le principe de rien aimer sur cette île - on part à l'extérieur, avec toutes nos valises. On est un peu en avance. Visiblement, le collègue de mon père aussi.

  • Stephen ! Salut ! T'as vieilli mon pote !

Luc a l'air d'être le genre d'homme à profiter des petites plaisirs de la vie. Il est vêtu simplement, chemise à carreau, short en jeans, sandales. Sandales, j'vous jure... Jamais je mettrai des trucs pareils.

  • Luc ! T'as pris du poids !

Mon père a un ton moqueur, mais on sent la complicité dans leur échange.

  • Le temps n'épargne personne l'ami ! Bon, venez, on va se dépêcher, sinon on risque de rater la navette.
  • La navette...? Je demande suspicieusement. Je comprends pas.
  • Oh, Stephen, c'est ton fils ? Qu'est-ce qu'il ressemble à sa mère... Beau garçon ! Enchanté, moi c'est Luc Meylan. J'ai un fils de ton âge, je suis sûr que vous vous entendrez bien ! Enfin, y a intérêt même, aha, aha, aha... Hum.

Il a un air bizarre, mi-gêné, mi-amusé. C'est mauvais signe. Je plisse encore un peu les yeux. Bientôt, je n'y verrai plus rien.

  • Ouais, sûrement... On y va ou pas ?
  • Oui, on y va ! J'suis tellement content de te revoir Steph, on a des trucs à se dire !

Et ils ont discuté comme des nanas jusqu'à la voiture de location - apparemment Luc n'en a pas - et enfin jusqu'à la... Navette. Un bateau quoi. On est vraiment sur une île, hein.

Alors que je maugrée encore dans mes pensées, regard sur mes chaussures, je sens un vent frais. Je lève les yeux. Et je suis sans voix. Tout s'éteint dans ma tête. Je ne vois que ce paysage. J'ai envie de pleurer, je ne savais même pas que des choses aussi belles existaient sur Terre. Pas un nuage, que du vide. De l'océan, du soleil, et des îles disséminées, comme flottant sur l'eau. Je suis hypnotisé par cette eau, le bruit des vagues, la fraîcheur, l'odeur... Je me sens apaisé. J'ai l'impression que rien n'a d'importance tant que je sais que je pourrai revoir ce que j'ai en face de moi. Je suis subjugué par la beauté de ce paysage. J'en oublie qui je suis. Les sons, les odeurs, les couleurs, tout me transperce. Je me sens ému et je ne saurais pas dire pourquoi.

  • Oh, Jay, monte !

J'entends la voix de mon père, qui me ramène sur Terre. Pendant un instant j'ai eu l'impression de m'envoler avec ces oiseaux qui tournent au dessus de moi...

Je ne dirai jamais à mon père ce que je viens de ressentir. Cette sensation d'être... Chez moi. Chez moi c'est Paris. Ce sera toujours Paris. Qu'il pleuve, qu'il vente, ou même que, des fois, il fasse beau.

On arrive sur une autre île, très jolie, plus petite, plus sauvage aussi, et Luc m'apprend que c'est "chez nous" et que c'est l'île d'Anki. Et celle-ci, pour le coup, ressemble franchemet à ce que je m'imaginais. Plages de sable blanc partout autour, végétation luxuriante, peu de vraies routes. On note quand même pleins d'habitations, que ce soit au bord de l'eau ou un peu plus haut sur la colline. On sent bien que le lieu est habité, mais pas touristique, contrairement à l'autre qui était immense.

On part à pied, c'est que l'île ne doit vraiment pas être grande. Je commence à comprendre pourquoi il n'y a pas de voiture ici...

  • T'admires le paysage, mon garçon? Demande Luc.
  • Avec des valises de quarante kilos... Je renchéris en tâchant de rester de mauvaise humeur - mais ça devient difficile, j'avoue.
  • Tu veux que je t'aide à les porter ?

Mis face à mon impolitesse, je rechigne.

  • Non, c'est bon, je vais me débrouiller...

Sa gentillesse me met mal à l'aise. Il a vraiment l'air sympa, je n'ai pas envie de lui en vouloir.

Au final, j'avais tort. L'île a l'air plus grande qu'à première vue. On marche trente minutes, mais la balade est agréable. Il fait très chaud, avec un petit air marin. La forêt est magnifique, elle avale les chemins que nous prenons et nous rafraîchit aussi. Il y a des oiseaux que je n'avais jamais vus avant dans les arbres, ils sont pleins de couleurs et leur chant est particulier. Je découvre des paysages tellement différents de ceux que je connais, avec des yeux émerveillés. Je sais que parfois mon père me surprend, et il sourit. Je fais comme si je ne le voyais pas me regarder avec son air de vainqueur...

Enfin, on arrive devant une maison. J'avoue avoir du mal à en croire mes yeux. Oui, je veux bien l'admettre. Cette maison n'est pas très grande, mais elle est superbe. Les pieds dans l'eau - bah oui, tant qu'à faire - sur deux étages. Au deuxième, une porte permet d'accéder directement à l'extérieur par un escalier. Deux grandes terrasses nous font face, en haut comme en bas. Il y a des fleurs partout, qui colorent ce coin de paradis. Je me sens... Bienvenu. C'est étrange. Moi qui m'imaginais gêné...

  • Wouah...

Ça m'a échappé. Mon père me regarde du coin de l'oeil, un sourire satisfait. Il savait que ça me ferait cet effet. Je suis même sûr qu'il a fait exprès de ne pas me montrer de photo avant, juste pour le plaisir de me voir surpris.

  • Elle est belle, hein ? Il me dit, content de lui.
  • J'avoue que j'en suis pas peu fier. C'est ma maisonnette à moi... A nous, haha. ça va nous faire un peu de bien d'avoir du monde à la maison !

Luc a l'air sincèrement heureux, pas dérangé pour un sou. Il a aussi l'air vraiment content de sa maison.

Il prend mes bagages puis entre dans la maison.

  • On est rentrés ! Viens dire bonjour ! Lance Luc à la volée.
  • Super...

La voix vient du haut de l'escalier, à droite en entrant. Elle ne descend pas, toutefois. Je n'y fais pas attention, subjugué par la beauté et le luxe de cette maison. J'en baverais de bonheur. A côté, notre petit appartement de Paris fait pâle figure.

  • Je suis désolé, il est un peu... Occupé, ces temps-ci. Mais c'est un brave jeune homme et il peut être très sympa quand il veut, vous verrez ! Sourit Luc avec un air que j'ai du mal à décrire, surtout lorsqu'il arrive à faire cet exploit de me regarder ET d'éviter de me regarder en même temps.
  • Bon, on passe à la partie amusante ! Je vous montre les chambres ?

Luc est enthousiaste. Je le serai aussi quand j'aurai vu ma chambre...

  • Avec plaisir ! Et merci pour tout, vraiment. C'est magnifique, ici.

Mon père est excité comme une puce, comme depuis notre arrivée, et il sautille littéralement partout. Je ne l'ai pas vu comme ça depuis des années. C'est vrai en y repensant que son travail ne l'épanouissait pas à Paris, pas plus que sa vie d'ailleurs. Je crois qu'il était lassé, il avait un peu arrêté de vivre depuis la mort de maman. Je me mords les lèvres, presque en train de regretter ma façon d'agir avec lui. En même temps, j'ai le droit d'avoir une opinion et de la partager.

  • Oh, ça me fait du bien d'inviter des gens, tu sais. Bon, Stephen, suis-moi. Ta chambre est la plus petite, désolé. C'est une chambre d'amis, en général.

La chambre est située au rez-de-chaussée. Elle est en face de la terrasse du bas. Luc dit qu'elle est petite, je crois qu'il se fout un peu de nous. On a jamais eu autant de place chez nous. Les murs sont peints en bleu clair, et le lit est à baldaquin. Les baies vitrées sont grandes ouvertes, le jeu de rideaux est magnifique avec le vent. Une chambre aérienne, avec un lit plein de coussins, qui donne envie de se jeter dessus. Les meubles sont blancs et bleus, en osier. On est vraiment dans le thème océan, un vrai cliché. Il y a même un bureau, face à la terrasse. Un bon petit cocon... La chambre est attenante à une petite salle de douche privée. Je suis un peu jaloux.

  • Je ne sais pas quoi dire. Je crois que je dormirai jamais aussi bien qu'ici ! Et une douche... J'ai une douche pour moi, pas vrai ?! Tu sais ce que c'est de partager sa salle de bain avec un ado ? C'est l'enfer.
  • Papa, j'suis toujours là, je marmonne.
  • Oh t'inquiète, je connais, j'ai le même, haha ! Le mien peut mettre des heures dans la salle de bain, heureusement qu'il a la sienne ! Bon, sortons !

Il continue sa visite. Au rez-de-chaussée, les deux chambres - celle de mon père et celle de Luc - sont côte à côte et occupent la partie droite de la maison. Dans la partie gauche, entièrement ouverte et pleine de baies vitrées, c'est la partie salon-cuisine. A gauche en entrant, une salle de bain avec une baignoire hyper luxueuse. J'ai hâte de tester. Je comprends en visitant le rez que ma chambre est au premier. Tant mieux ! Pas besoin de voir mon père !

  • Prêt à découvrir ta chambre, Jay ?

Luc a l'air super content, il ne tient pas en place. Evidemment que je suis curieux, c'est là que je vais passer tout mon temps. Je me demande un peu comment c'est configuré, je me souviens que la voix du fils - dont mon père n'avait pas mentionné l'existence, d'ailleurs - venait de là-haut.

En arrivant en haut des escaliers, je suis subjugué par la taille de cette pièce et tout ce qu'elle contient. On se croirait dans un foutu bar étudiant. A ma gauche, un grand lit ; en face de moi, un énorme bar et devant le bar, une table de baby-foot. Il y a même un piano et quelques appareils de muscu, je crois rêver. Mais ce qui attire mon attention, c'est la partie droite. La pièce est constituée en L, alors je ne l'ai pas remarquée tout de suite. C'est en avançant dans la chambre que je vois un deuxième lit, un bureau et une énorme bibliothèque. Je ne comprends pas tout de suite. Je penche la tête de côté. Pourquoi deux lits ? Je sais. Il n'y a littéralement que moi pour ne pas faire tilt immédiatement.

Je suis attiré par la porte qui se situe en face des escaliers ; elle vient de s'ouvrir dans un nuage de buée, sur... Un type. Il est à moitié à poil et a l'air complètement indifférent de se trouver face à nous. Je n'aime pas sa tête et son regard supérieur. Et c'est seulement là que je tilte.

  • Euh, mais attendez... On est censés... Partager la chambre ? Je m'inquiète, et je sens que j'ai raison.
  • Quoi, t'as cru que j'allais me casser pour te faire de la place ? Renchérit le type en face de moi.
  • Haha, haha, haha.... Aiden, Jay, Jay, Aiden... Et oui, il va falloir partager mon garçon. Je suis désolé, quand on a conçu cette maison, on avait prévu qu'Aiden occuperait tout l'étage, et on n'a qu'une chambre d'amis...

Luc a l'air sincèrement désolé quand il constate mon désarroi.

  • Mais ce... C'est pas possible... Papa, tu m'as rien dit de tout ça ! Tu sais que je peux pas... Je peux pas partager ma chambre, merde !

Je suis terrorisé. Littéralement. Je ne peux dormir avec personne, jamais, c'est comme ça. Même avec mon père c'est très compliqué.

  • Il va falloir Jay, tu vas pas aller dormir dehors. Et commence déjà par remercier tes hôtes, ce jeune homme a la sympathie de partager sa chambre avec un inconnu !

Je sens bien que mon père ne sait plus où se mettre face à mon impertinence.

  • Je t'emmerde. Fous-moi la paix. C'est vraiment pourri, je veux rentrer à Paris !

Et en bousculant le type qui sortait de la salle de bains, je m'y enferme à mon tour.

J'entends Aiden dire "super, on va trop s'amuser" avec un air blasé, puis descendre les marches d'escaliers.

La voix de mon père, mal à l'aise, dit à Luc "bon ben, ça s'est plutôt bien passé!" et tous les deux rient, tentant désespérément de détendre une atmosphère électrique.

Assis par terre, tête contre la porte, je repense aux événements d'aujourd'hui.

Je suis épuisé, j'ai peu dormi, et le décalage horaire m'a complètement assommé. Je m'endors comme ça, assis par terre dans la salle de bain encore humide, en revoyant les cheveux châtains tombant devant des yeux noirs, et le corps trempé de ce type que j'ai croisé... Et que je ne peux vraiment pas blairer.

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