Vendredi 21 août, 20h

6 minutes de lecture

Alex est le premier arrivé, comme d'habitude. Alex, mon meilleur ami depuis gamins. Il entre comme s'il était chez lui - il est un peu chez lui, en fait - et me serre dans ses bras. Ces élans d'affection sont pas chose courante chez lui, sauf quand il a trop bu. Il semble sobre pour l'instant. Je pense que lui aussi, il commence doucement à réaliser ce qu'implique mon départ...

  • Tu vas me manquer mec. Ce sera plus pareil sans toi, il marmonne, un peu bourru.
  • Je vais pas te manquer longtemps Alex, putain je vais revenir crois-moi.
  • Si t'en es sûr, pourquoi tu fais cette fête?

Il a l'air de se foutre de moi, avec son sourire de travers.

  • Parce que quand tu fais une fête pour une occaz' dramatique, c'est toujours réussi ! je lui réponds avec un clin d'oeil.
  • Toi, tu veux pécho ce soir ! Il se marre.

C'est vrai que malgré nos un an de relation, Marie et moi on en est presque au point mort... On est très câlins, tendres entre nous, on s'embrasse beaucoup, on a même fait quelques petits préliminaires... Mais je me sens pas prêt. C'est con dit comme ça, mais j'ai peur d'un truc. Je sais pas trop de quoi. J'ai toujours l'impression que c'est pas le moment. Mais Alex a raison. Ce soir, j'ai décidé qu'on passerait le cap. Enfin, si elle le veut.

Les autres arrivent petit à petit. Jules, Quentin et John sont les suivants. Jessica arrive, cette grande brune élancée qui fait tourner toutes les têtes. Elle est pas franchement mon genre, un peu trop "m'as-tu-vu". Scotchées à elle, Mélissa et Amandine, ses deux copines de toujours. Si elles étaient siamoises, je pense qu'elles pisseraient toutes ensemble. D'ailleurs, elles se déplacent toujours en troupeau pour aller pisser. Voilà quelque chose à creuser ; un mystère non élucidé.

Y a aussi du monde que je connais pas qui se pointe. ça me fait plaisir. Au final, on est une petite trentaine dans mes 70m2, assez pour s'amuser, pas trop non plus pour que ça dérape. Tant mieux. Je veux pas passer mes deux derniers jours à faire le ménage...

Le propre de mes soirées, c'est que chacun apporte un truc. A bouffer, à boire... J'aime organiser, mais financièrement, c'est pas possible. Tout le monde a joué le jeu. On a surtout à boire, mais ça me dérange pas. Bien au contraire. J'aime me sentir ivre et voir les autres s'amuser et se déchaîner crescendo.

***

  • Jaaaaaaay ! Mon amouuuuuuuuur !

Julie est arrivée. Toujours avec deux heures de retard, et toujours pétée quand elle se pointe aux soirées. Julie n'est pas franchement ce qu'on peut appeler une jolie fille, elle a un visage assez banal. Elle est brune, yeux marron. Elle n'est ni particulièrement drôle, ni particulièrement intéressante, d'après moi. En fait, elle a même tendance à m'ennuyer. Je le lui fais comprendre sans trop de subtilité à chaque fois, mais elle doit être maso, elle revient toujours à la charge.

Un jour, un soir plutôt, y a presque deux ans, alors que j'étais encore célibataire, elle est venue à une de mes fêtes. A l'époque elle buvait un peu moins. Je venais d'avoir seize ans.

  • Salut Jay... Ecoute, j'aimerais te dire un truc, on pourrait aller dans ta chambre ? C'est assez perso...
  • Si tu veux ! Viens, suis-moi.

Ouais, j'étais carrément naïf, je sais.

Arrivés dans ma chambre, elle s'est assise sur mon lit et m'a demandé de faire pareil. Elle s'est littéralement jetée sur moi, elle sentait un peu le rhum coca. Elle m'a embrassé, et a même essayé d'enlever mon t-shirt. Je l'ai arrêtée tout de suite.

  • Hé, qu'est-ce qui te prend ?!
  • Je pensais que t'en avais envie... C'était assez clair pourtant... T'avais pas compris ? T'es mignon...

Elle faisait cette petite moue qui se veut sexy, mais qu'en l'occurrence je trouvais parfaitement ignoble.

  • Eloigne-toi. Tout de suite. Sinon je vais m'énerver.

J'étais froid comme un glaçon. J'étais franchement en colère, j'avais l'impression d'être un objet.

  • D'accord, d'accord... T'inquiète, je vais réchauffer l'atmosphère...

Elle s'est mise debout devant moi et elle a commencé à bouger sur le rythme de la musique qui passait en fond. Elle est allée chercher derrière sa nuque le fil qui maintenait sa petite robe noire moulante et elle a tiré dessus, d'une façon qui, je crois, se voulait aguicheuse. C'est à ce moment que j'ai compris qu'elle avait aucune intention d'en rester là.

  • Sors de ma chambre Julie. ça m'intéresse pas de te voir à poil"
  • Attends, attends, t'as pas vu le meilleur... me disait-elle avec un sourire... Particulier.

Alors que je me levais et que je la contournais pour sortir, j'ai entendu le vêtement tomber au sol et je me suis machinalement retourné. Elle était vraiment complètement nue. Elle n'avait pas de sous-vêtements. C'est là que je me suis dit qu'elle était complètement dérangée.

  • Alors, surpris ? Elle avait l'air fière de son coup.
  • Pas trop, non. T'es un peu plate, Julie, j'pensais pas. Tu rembourres tes soutien-gorge ?

Et je suis parti. J'était indifférent. Je sais qu'elle a pleuré après ça. J'ai même entendu qu'elle voulait se refaire les seins quand elle serait majeure... ça a vraiment dû la toucher. Mais au moins, elle s'est plus jamais mise à poil devant moi. Par contre, je crois qu'elle rembourre encore plus ses fringues...

Alors que je repense à ce souvenir un peu glauque en la voyant courir vers moi, je regrette un peu mes paroles de l'époque. J'ai conscience de l'avoir humiliée et sûrement beaucoup blessée, pour des conneries en plus - je veux dire, on s'en fout de la taille d'une paire de seins au final... Mais après tout, je lui avais rien demandé, non ? En fait ce jour-là, j'ai été vraiment en colère d'avoir été forcé à assister à ce spectacle, je savais pas comment réagir. Et j'étais un peu en colère contre moi-même aussi, au fond, de pas avoir pu en profiter. De rien avoir ressenti du tout, je veux dire. J'ai pas eu chaud, je me suis pas senti moite, j'ai pas eu toutes ces sensations dont mes potes parlent quand ils voient une nana offerte devant eux. Et ça me fout la trouille. J'en ai jamais parlé. Ils se seraient foutus de moi et du fait que j'en aie pas profité. Bien sûr, après l'humiliation qu'elle s'est ramassée, Julie non plus en a parlé à personne.

  • Salut Julie...
  • Hiiii je vais suuuper bien ! Elle déchire ta soirée! Et elle me prend dans ses bras.

Je sens le regard de Marie dans mon dos. Pas réprobateur, elle est pas du genre à faire des esclandres. Mais je sais qu'elle vient quand même discrètement et je sens sa main familière posée sur mon bras après l'étreinte de Julie.

  • Salut, Julie !

Elle a ce sourire forcé qu'elle prend quand elle se sent obligée d'être courtoise. J'adore ce sourire exagéré et crispé qu'elle fait. Elle pourra jamais devenir comédienne.

  • Ouais, salut... Bon, je vais boire un coup moi! Et on la voit partir avec sa démarche mi-fière, mi-bourrée.
  • Elle se colle tout le temps à toi cette fille, c'est dingue!
  • Oublie ça ma puce. Tu la connais. Elle fait ça avec tout ce qui a une bite, je glousse.
  • Il s'est passé un truc avec elle ? J'ai toujours l'impression qu'elle est bizarre quand elle te regarde, toi plus qu'un autre. On dirait presque qu'elle a honte d'un truc.

Perspicace... J'en attends pas moins d'elle.

  • Vu le nombre de fois que je l'ai envoyée chier, c'est pas étonnant, nan? Je rétorque en haussant les épaules.

Je peux pas encore me résoudre à lui parler de cet épisode. Et heureusement pour moi, je suis meilleur comédien qu'elle.

  • Oui, t'as raison...

Pas dupe, finalement. Pas dupe du tout. Mais elle laisse passer pour cette fois...

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