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ACTE I

SCÈNE 1

(La scène est presque vide. À droite, un homme dans un uniforme quelconque, veste bleue sur chemise blanche, cravate verte, se morfond, accoudé à un comptoir sur lequel on peut lire, en grandes lettres « BUREAU DES OBJETS TROUVÉS » . Derrière lui, on peut voir des étagères remplies de cases cubiques remplies d'objets divers et variés. Une horloge sur le fond de la scène, sans aiguilles si ce n'est celle des secondes, égrène un léger tic-toc, à peine discernable.)

(Une femme entre par la gauche de la scène. En tailleur sous son manteau, elle progresse à pas menus, hésitants, regarde à gauche et à droite comme si elle cherchait quelque chose. Elle finit par aviser l'homme prostré sur le comptoir qui se redresse d'un coup en la voyant s'approcher, feignant de travailler. Les talons hauts claquent sur le sol.)

ALICE – Bonjour, je suis bien aux objets trouvés ?

BOB, faisant mine d'être occupé à autre chose – Oui, oui, en effet…

ALICE – Ce serait pour savoir si vous aviez trouvé quelque chose m'appartenant.

BOB – Je suis à vous dans un instant… Voilà. Je vous écoute.

ALICE – D'accord. Donc l'autre jour, alors que tout allait pour le mieux, je suis montée dans le train, comme tous les jours, afin de me rendre au travail. J'ai trouvé une place sans trop de difficulté, même s'il y avait un peu de monde, mais vous savez, à force, on apprend à traverser la foule, se préparer pour être pile au bon endroit pour monter pile au bon moment dans le train, sauf que tout le monde fait pareil, donc on apprend à trouver des ressources d'ingéniosité pour gagner trois centimètres, passer devant la grand-mère grabataire qui prend toute la place…

BOB – Madame…

ALICE – …on se retrouve à faire des petites bassesses, juste pour la chance d'être assise durant le trajet, vous vous rendez compte ? J'en ai vu qui allaient jusqu'à pousser, bousculer les autres ! C'est incroyable, vraiment. Je préfère moi-même me faufiler, c'est plus efficace, et personne ne va vous mettre une baffe si vous vous glissez devant lui avec assez de subtilité.

BOB – Madame… ?

ALICE – C'est donc comme ça que l'autre jour – c'était il y a trois jours, notez – j'ai réussi à m'asseoir proche de la fenêtre, c'est la place que je préfère, et dans le sens de la marche. Je peux ainsi observer le paysage, ou m'endormir contre le mur, selon ma fatigue, vous comprenez ? Je n'aime pas trop être agglutinée aux gens, je pense que personne n'aime ça au fond, et donc hop, je me colle dans mon siège, et j'ignore autant que possible les autres passagers, ce que chacun s'accorde de faire à son tour.

BOB – Madame.

ALICE – Je me souviens très bien de chaque moment, comment je me disais que cela allait être une belle journée, que le soleil était déjà radieux et le ciel clair, d'ailleurs la veille, ils avaient bien annoncé qu'il ferait beau et…

BOB – Madame !

ALICE – Oh, oui, pardon ?

BOB – Madame, c'est le bureau des objets trouvés ici. Merci de ne pas y perdre votre temps, ni le mien.

ALICE – Vous avez raison, vous avez sûrement beaucoup de choses à faire, et je ne suis probablement ni la première ni la dernière à venir vous embêter aujourd'hui. N'est-ce pas ?

(Silence. Bob regarde l'horloge, gêné, avant de retourner son attention vers Alice.)

BOB, d'un air peu convaincu et peu convaincant – Nooon, non, vous avez raison, c'est tout à fait cela. Et donc ?

ALICE – Eh bien, c'est à ce moment-là que je l'ai perdue.

BOB – … Oui ?

ALICE – Oh, vous l'avez retrouvée ? C'est merveilleux, je pensais l'avoir perdue à jamais !

BOB – Non, attendez, je ne sais pas de quoi vous me parlez.

ALICE – Eh bien, de mon envie d'aller au travail. Je crois.

BOB – Quoi.

ALICE – J'adooooore mon travail. Enfin, j'adorais. Tout allait pour le mieux, vraiment ! Et puis, l'autre jour, dans le train, pouf.

BOB – Comment ça pouf ?

ALICE – J'ai dû la laisser tomber, parce que depuis, je n'ai plus envie d'y aller. Mais je vous avoue que tout est plus triste, surtout. Je n'ai plus envie de rien, je ne sors plus, je ne mange que par obligation… c'est très étrange. Je me demandais donc si vous pouviez me rendre ce… ce truc là. Cette sensation.

BOB – Madame, c'est la tête que vous avez perdue.

ALICE, riant – Mais non, enfin ! Ma tête est bien à sa place ! Cela se voit, non ? Vous êtes bête. Non, mais, vraiment, vous ne l'avez pas ?

BOB – Madame, ici, c'est le bureau des objets trouvés.

ALICE – Et alors ? Je suis au bon endroit ?

BOB – Non Madame.

ALICE – Vraiment ?

BOB – Vous ne trouverez pas votre envie de vivre ici Madame.

ALICE – Fichtre. Mais où est-elle alors ?

BOB – Elle pourrait être au Bureau des Objets Immatériels Trouvés, je présume.

ALICE – Oh ! Je ne connaissais pas un tel bureau !

BOB – C'est peu connu, en effet. Cela doit être là-bas.

ALICE – Je m'y rends de ce pas !

(Alice s'éloigne d'un pas vif avant de se retourner et de revenir au comptoir tout aussi vite.)

ALICE – Où est-ce ?

BOB – C'est très simple : vous sortez, prenez à droite, montez les escaliers, faites le tour du pilier, descendez les escaliers, et ce sera la porte sur votre gauche.

ALICE – Merci beaucoup ! Excellente journée Monsieur !

BOB – Et à vous aussi Madame.

(Alice sort. Quelques instants plus tard, Bob, qui était resté immobile, s'agite furieusement. Il paraît écrire quelque chose sur un papier, fait le tour du comptoir et le colle hâtivement sous le mot « OBJETS » : on peut y lire « IMMATÉRIELS ». Après quoi, il revient derrière le comptoir et se colle une moustache sur le visage, de travers. Alice rentre juste après.)

ALICE – Bonjour ! Je suis bien au Bureau des Objets Immatériels Trouvés ?

BOB – Oui, tout à fait, comme vous pouvez le lire.

(Alice baisse les yeux et paraît perplexe, avançant un peu plus lentement, mais finit par hausser les épaules et aller au comptoir.)

ALICE – Bonjour, oui, un de vos collègues m'a dit de vous adresser à vous. J'ai perdu mon envie de vivre, l'autre jour, et je me demandais si quelqu'un ne l'aurait pas rapporté.

BOB – Oh, ça me dit quelque chose. Je vais regarder si…

 « Excusez-moi ? »

 Il relève la tête d'un coup, surpris, et repose le script. Une femme s'approche du comptoir en souriant.

 « Est-ce que je peux vous aider ? demande-t-il.

  • Oui, je pense. Je suis bien aux objets trouvés, n'est-ce pas ?
  • En effet, oui.
  • J'ai perdu un petit sac l'autre jour, contenant, entre autres, l'ébauche de pièce que vous lisez…
  • Oh, je… je suis vraiment désolé, je ne voulais pas…
  • Il n'y a pas de mal, vraiment. Je suppose qu'il y a un prix à payer pour récupérer mes effets ?
  • Oui, tout à fait. Alors… »

 Il récupère toutes les affaires et lui fait payer le montant standard pour récupérer son sac, en évitant de la regarder trop dans les yeux. Elle semble s'amuser de sa gêne. Elle vérifie qu'il ne manque aucune affaire et reprend la liasse de papiers manuscrits qu'il avait commencé à lire, par ennui.

 « Ça vous a plu ? lui demande-t-elle d'un coup.

  • Oh, c'était… un peu bizarre, mais intéressant ? Je n'en étais qu'au début.
  • Ce n'est qu'un brouillon, vous savez. Quelque chose pour me vider la tête.
  • J'espère que vous arriverez à en faire une pièce.
  • Hm, cela m'étonnerait. »

 Elle prend un air distant. Il n'ose pas demander pourquoi. Elle finit par revenir à elle et une idée semble lui être apparue au même moment :

 « Mais j'y songe, vous en avez peut-être trouvé une !

  • De quoi ?
  • C'est ce qu'il manque à ma pièce.
  • … oui ?
  • Une bonne fin. »

 Elle trouve ça très drôle.

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