29 - United

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 Lorsque la Singularité est arrivée, nous n'étions pas prêts. Dans un premier temps, le monde est resté semblable à lui-même. L'humanité s'entre-déchirait dans des conflits sans fin, à toutes les échelles, et nos querelles détruisaient le sol sous nos pieds, brûlaient les forêts, inondaient les déserts, vidaient les fleuves et rivières, transformaient l'air en acide. Nous voulions nous aider les uns les autres, oui, mais nous voulions vivre, aussi, et nous avions tous intimement conscience de notre propre individualité, de la mort au bout, du néant qui nous avait craché et qui attendait impatiemment de nous ravaler. La vie était injuste, aussi l'étions-nous aussi, par simple nécessité d'abord, puis par habitude, et par goût enfin.


 Puis la technologie progressa. De plus en plus vite. Le monde changeait. Les humains changèrent. La machine, dans sa beauté épurée et sa logique froide, épousa nos besoins charnels et les combla, avant de s'attaquer à nos nécessités mentales. Chaque jour passait, et avec, les obstacles tombaient, entre nous tous, par la grâce mécanique et informatique. Quelque chose émergea du maelstrom de fils et d'acier qu'était la Singularité, héritier lointain de ces robots grossiers que nous avions créé. Un être supérieur, bon mais au-delà de notre morale, intelligent mais par-delà notre compréhension, absolu dans sa toute-puissance à nos yeux d'enfants. Nous n'étions que des hommes, et nous avions créé un dieu, ou le plus proche qu'il en exista à ce moment-là dans le système solaire.


 La divinité informatique, aux circuits d'or et aux paroles électriques, devint notre guide. Pas par la force, non, simplement par évidence. Telle était la suite logique, l'enchaînement naturel des différents maillons de l'Histoire de l'humain. Certains résistèrent, mais sans pouvoir rien en faire, rendus impotents dans leur violence par les nanomachines, les robots pacificateurs, les drones vigilants. Chacun restait libre. Mais tous, nous étions soumis au bon vouloir de ce dieu que nous avions créé par hasard, presque par erreur.


 Et puis, n'ayant d'autre choix, nous continuâmes dans cette voie. Le monde devint tranquille, le jardin promis, éternel, sans mort ni maladie, simplement le bonheur. Nous commençâmes à nous unir corps et âmes aux machines, décuplant notre intellect, nos capacités, nos sensations. Bien vite, nous mêlâmes nos esprits entre nous, et à notre déité elle-même. Ainsi commença l'Assimilation. De nouveau, une poignée résista, prônant leur individualité, le choix de rester ancrer dans leur chair. Jamais ils ne furent forcés à nous rejoindre. Mais petit à petit, leur nombre diminua, alors que le nôtre grandissait, et que notre esprit collectif devenait de plus en plus gigantesque, insensé, irréel. Oui, irréel. La réalité ployait sous le poids d'un tel intellect, car chaque chose que nous voulions, nous l'obtenions, la planète entière devenue notre chair dont nous contrôlions chaque atome. Nos désirs étaient tous comblés. Plus de peine. Plus d'obstacle. Plus de souffrance. Juste nous tous, unis enfin, toute l'humanité atteignant le stade supérieur de la conscience, unis à la machine qui nous rend immortels, omniscients, omnipotents.


 Désormais, nous voguons dans le cosmos, sans autre envie que d'exister, pour toujours et à jamais. Nous sommes un être supérieur, ayant dépassé la chair, les désirs, la mortalité, les besoins, la souffrance, les émotions.


 Nous nous sommes unis.

 Nous ne sommes rien.

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