28 - Fall

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 Il tombe.

 Il sent son cœur s'effondrer dans sa poitrine et son souffle lui manquer. Ses yeux n'arrivent pas à croire à ce qu'il voit, tout se précipite vers lui. Il papillonne, bégaie un peu, sa bouche est sèche. Son esprit n'arrive pas à assimiler. Chaque détail lui fait comme un soufflet. Il n'a jamais vu une telle beauté. Il ne sait pas quoi dire. Il ne sait pas quoi penser. Il n'arrive pas à croire à son existence.

  Il touche enfin le sol, ses jambes trop faibles pour le porter. De très loin, il entend une voix, qui l'appelle. Au bout de longues secondes, prostré au sol, il finit par murmurer :

 « Quoi ?

  • Est-ce que tout va bien ? »

 Il revient à lui. Une jeune femme avec un air soucieux est accroupie à côté de lui. Il lui sourit, gêné et se relève tant bien que mal, affirme que tout va bien, il a juste été… sonné. Il se rend compte que les rares personnes dans la salle l'observent tous, et il bredouille quelque chose, rouge comme une pivoine. La demoiselle tourne la tête vers le mur, hoche la tête.

 « La Chute fait cet effet parfois, oui. C'est vraiment une œuvre splendide, n'est-ce pas ? »

 Il acquiesce en silence et se perd de nouveau dans la contemplation du tableau. Il accuse le choc plus facilement, cette fois, mais il reste tout de même subjugué par la peinture. La lumière, le jeu des couleurs, le trait… Et bien entendu, la scène en elle-même.

 « Vous savez, la plupart des gens ne savent pas pourquoi elle s'appelle ainsi. Et vous ?

  • N'est-ce pas parce que c'est la chute de l'ancien régime, lors du coup d'état… ?
  • Eh non ! l'interrompt-elle avec un petit rire. Regardez bien le nouveau roi, sur son trône. »

 Il hausse les sourcils avant d'avancer d'un pas vers la peinture. Il examine plus attentivement l'homme en uniforme, droit, resplendissant, centre de cette pièce. Et puis il note un détail.

 « C'est comme si… non ! Incroyable.

  • Oh ! Vous avez remarqué ! La plupart des gens le voient sans comprendre.
  • L'ombre… le fil rouge… Oh, mais c'est vraiment ahurissant ! Et là, je présume que c'est… Mais oui ! »

 Il secoue les bras, surexcité, avant de se tourner vers elle, les yeux brillants.

 « C'est sa propre chute qui est cachée dans ce tableau ! Comment l'un de ses lieutenants finira par le trahir et qu'il mourra la tête tranchée. L'ombre qui représente la lame, la trace rouge sur son cou, l'homme ici qui paraît prêt à le frapper, si on regarde un peu différemment… C'est vraiment… »

 La tête lui tourne à nouveau. Il s'éloigne un peu et part s'asseoir sur le banc face à l'œuvre, prévu à cet effet. Il se sent toute chose. La jeune femme le scrute avant de venir s'asseoir à son tour à ses côtés, à une distance raisonnable.

 « Elle vous fait vraiment de l'effet, remarque-t-elle.

  • Oui, je… j'adore les musées. La peinture. Mais ce tableau… »

 Il secoue la tête, incapable d'aligner ses pensées. Il a de nouveau le vertige. Pourquoi ressent-il tout cela ? Il ne sait pas. C'est une simple réaction physique à cette beauté picturale. Son cœur palpite, ses mains tremblent légèrement, il bégaye un peu. Il pousse un long soupir.

 « J'ai l'impression de tomber amoureux… »

 Elle rit, et il pique de nouveau un fard. Elle s'excuse.

 « Oh, je ne voulais pas vous gêner. Je trouve ça… très beau, d'avoir ce genre de réactions face à une œuvre. J'aimerais bien arriver à produire ce genre d'effets un jour moi-même.

  • Oh ? Vous peignez ?
  • Disons que comparé à ça, dit-elle en secouant la main vers le tableau face à eux, je jette de la couleur sur une toile en espérant que ça rende bien.
  • Oh, ne vous dénigrez pas ainsi ! Je suis sûr que… »

 Ils continuent de papoter, d'art et d'autre, pendant quelques minutes. Puis la discussion s'épuise d'elle-même, et ils reportent de nouveau leur attention sur La Chute. Le tableau ne lui fait plus le même effet, maintenant, mais il continue d'être une gigantesque claque à chaque fois. Il pourrait le disséquer autant qu'il veut, et sous toutes les coutures, qu'il n'arriverait pas à comprendre pourquoi il réagit ainsi. Est-ce la technique ? Le style ? Les couleurs ? La composition ? Les détails ? L'aspect tragique et héroïque ? Un ensemble de tout cela ? Il n'en sait rien. Qui peut dire pourquoi, au fond, on ressent une telle attirance, comme cela, d'un coup, au premier regard ? Pas lui, en tous les cas.

 « Cela vous dirait de continuer tout cela autour d'un café ? »

 Il sursaute presque à la voix douce de la jeune femme. Se tourne vers elle avec un air surpris. Observe sans comprendre le léger rose de ses pommettes. Avant de répondre :

 « Oh. »

 Puis :

 « Oh ! »

 Puis :

 « Oui, oui, je… oui ! Avec plaisir. »

 Et enfin :

 « … maintenant ? »

 Elle sourit.

 « Il y a un café juste à l'entrée du musée. Vous venez ? »

 Il la suit, sans vraiment comprendre ce qu'il lui arrive. Avant de quitter la salle, il jette un dernier coup d'œil à La Chute. Il sent revenir comme un début de palpitation dans sa poitrine.

 Il doute que cela vienne du tableau, cette fois-ci.

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