17 - Graceful

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 Ils dansent. Leurs mouvements sont synchronisés, suivant un rythme qu'eux seuls connaissent, une musique qu'eux seuls peuvent entendre. Ces gestes, ils les ont déjà répétés mille fois. La sueur couvre leur peau, leur souffle devient plus rauque, plus difficile. Il s'avance, et lui recule, ils se tournent autour, s'esquivent, se frôlent, se frottent l'un à l'autre durant une brève étreinte avant de se repousser.

 Ils sont beaux. Ils sont, dans cet instant, ce moment, avatars de la grâce, parangons de l'humanité et de tout ce qu'un corps parfaitement exercé peut faire. Ils bondissent, roulent, sautent, courent parfois, et le tout sans un seul faux mouvement, réagissant l'un à l'autre à la perfection. Ils se répondent, ils sont en parfait accord, et pour autant sans cesse ils cherchent à aller vers l'autre, le repousser au bout, jusqu'à sa limite, enfin.

 Ils ne sont rien l'un pour l'autre. Rien de plus qu'un autre corps dansant, qu'il faut apprendre, accompagner, savoir séduire pour mieux le prendre par surprise. Leurs muscles tirent sous l'intensité de ce qu'ils leur exigent, mais ils continuent, comme inlassables, se poussant au-delà de ce qu'ils peuvent, grognant, gémissant, s'exclamant de surprise, de joie, parfois. Dans ces moments-là, ils s'éloignent, un bref instant, se jaugent de nouveau, et reviennent avec un plaisir manifeste l'un contre l'autre, et dans ce tourbillon de chair, on pourrait croire à un seul être, en perpétuelle bataille avec lui-même, spectacle terrible mais hypnotique.

 Et tous deux ont conscience que ce n'est que ça, au fond : un spectacle. Ils font tout pour plaire, l'un et l'autre. Il ne peut en être autrement. C'est pour cela qu'ils sont là, qu'ils se font face, et lorsqu'ils dansent ainsi, deux inconnus réunis par hasard, toute leur vie se retrouve réduite à ça, tout le reste n'a été qu'un prélude sans intérêt, cette succession de moments, chacun plus vif, plus vivant que tous les autres jusque lors. Leurs halètements les exaltent, ils frissonnent sous la douleur, leur chair souffre sous l'effort, mais jamais ils n'ont vécu jusqu'à maintenant. Ils n'étaient que des êtres figés, rien de plus que des statues dénuées de toute vie. Bouger, c'est vivre, et il n'y a pas de plus beau mouvement que le leur, il n'y a que comme ça qu'ils existent.

 Mais rien n'est éternel. Même cette danse doit prendre fin. Ils s'épuisent, ne peuvent tenir plus longtemps, ils sont tous deux à bout, enfin, après tant de va-et-vient. Dans un dernier sursaut, l'un se jette contre l'autre, et dans un grand soupir, tout prend fin. La chute est d'autant brutale que le monde se rappelle soudain à eux.

 Il halète comme jamais, son corps lui fait souffrir le martyr. La foule hurle son contentement, scande son nom. Son adversaire est au sol, en piteux état. Son sang s'écoule dans le sable de l'arène, mais il est encore vivant – pour le moment. Tous deux lèvent les yeux vers la loge impériale, et attendent, vidés de toute émotion, un signe. Dans un sens ou dans l'autre.

 L'impératrice se lève, et d'un geste, donne son ordre.

 Le peuple, en liesse, crie son approbation.

Le gladiateur soupire.

Puis relève son compère, et, bras dessus bras dessous, s'en vont, sous les applaudissements du public et le regard bienveillant et gracieux de l'impératrice.

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