12 - Shattered

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 La vitre se brisa en mille morceaux. Le verre se transforma en une nuée d'éclats, pluie brillante et acérée dans la nuit, qui tomba au sol en une myriade de notes cristallines. Accompagnée d'un bruit sourd, corps lourd stoppant net sa course sur le bitume. Pendant quelques secondes, le silence fut surnaturel. Puis vinrent les hurlements.

 « Monsieur Danvin ? Je peux vous déranger un instant ? »

 Le murmure un peu inquiet et hésitant tranchait net avec l'ambiance. Le directeur le regarda avec une légère surprise et s'excusa auprès de ceux avec qui il discutait. Il suivit celui qui venait de le déranger sans rechigner et s'isola avec lui non loin de la fenêtre qui donnait sur la rue en contrebas, à l'écart du reste de l'étage.

 « Qu'y a-t-il, Guillaume ? Si c'est à propos du travail, cela peut attendre demain. J'apprécie votre sérieux et zèle, mais tout de même.

  • C'est au sujet de l'affaire Actaria. Vous vous souvenez du… problème… que nous avons eu ? »

 Le visage du directeur se durcit d'un coup, une expression suspicieuse dans ses yeux.

 « Vous m'aviez dit ne rien savoir à ce sujet, si je me rappelle bien.

  • C'est que… de nouveaux faits se sont présentés à moi récemment. »

 Guillaume se lécha les lèvres, tourna la tête, regardant au loin, comme si il hésitait. Monsieur Danvin lui posa une main sur l'épaule afin de ramener son attention. Et aussi le maintenir avec lui. L'affaire Actaria leur avait coûté énormément. Et on n'avait jamais su qui, au fond, avait causé un tel désastre.

 « Écoutez, Guillaume, dites-moi tout ce que vous savez à ce sujet. Si vous êtes en quoique ce soit responsable… » Soupir. « Nous verrons. Mais au regard de vos états de service, nous devrions pouvoir nous arranger.

  • Je… d'accord. Je vais vous dire tout ce que je sais. »

 Guillaume se força à maintenir sa façade de fidèle employé contrit. Sourire aurait vraiment brisé l'illusion, même s'il en mourait d'envie.

 Guillaume glissa sur la moquette et y déchira sa chemise. Autour, ses collègues criaient, terrifiés.

 « C'est vrai, putain ? lui gueula Cédric, la voix pâteuse et le visage rouge. Espèce de petite tapette, je vais t'apprendre, moi ! »

 Ivre, il vint à lui à grands pas à moitié hésitants mais sa colère lui offrait toute l'assurance dont il avait besoin. Il le releva à bouts de bras comme un vulgaire sac. Cédric était grand, colosse de muscles bourrée de testostérone. Il tenait son collègue en l'air sans aucun effort, une sorte de haine mélangée à un dégoût profond sur le visage.

 « Je vais te passer l'envie d'faire ça, pédé ! »

 Il arma son poing et lui explosa le nez.

 « Alors Guillaume, prêt pour la fête ce soir ? »

 Guillaume secoua la tête, sa concentration brisée. Il releva les yeux vers Cédric, appuyé nonchalamment contre son bureau, souriant, ses yeux toujours rieurs. Guillaume répondit avec une petite mimique gênée :

 « Tu sais, moi, les fêtes de bureau…

  • Oh, allez, fais pas cette tête ! Je suis sûr que tu t'amuseras. De toute façon, il faudra au moins faire acte de présence, y aura le grand boss, et après le fiasco Actaria…
  • M'en parle pas. »

 Cédric hocha la tête plusieurs fois avec une petite moue. Il considéra un instant son gobelet de café presque vide, y fit tourner le liquide noir en l'observant pensivement, comme hypnotisé. Puis il eut l'air de prendre une décision et, après avoir observé s'il y avait quelqu'un alentour, se pencha vers son collègue toujours prostré devant son ordinateur.

 « Mais quand même, chuchota-t-il, c'était surtout ton équipe, sur le coup, non ? Tu sais vraiment pas qui… ? »

 Guillaume haussa les épaules, mal à l'aise, faisant mine de ne pas avoir de réponse à apporter. Cédric le considéra un instant et acquiesça une fois de la tête. Il fit comme si il comprenait. Il reprit son expression habituelle et se redressa.

 « Bon bah… À ce soir alors ? »

 C'était plus une affirmation qu'une question.

 « Oui, à ce soir », lui répondit Guillaume d'un air distrait, feignant d'être concentré sur son écran. Mais Cédric était déjà loin.

 Intérieurement, il était déchiré.

 Guillaume sirotait un verre dans un coin, faisant acte de présence, rompant comme il le pouvait son ennui en jouant avec un élastique de sa main libre. Il regardait l'heure avec une certaine anxiété. Fut un temps, ce n'était pas comme ça. Il aimait son travail. Il appréciait les soirées comme celle-ci. Bon, il avait une certaine… anxiété sociale, mais il gérait cela, plus ou moins. Mais depuis quelques mois, c'était différent. Désagréable.

 Monsieur Danvin passa devant lui en revenant des toilettes. Il s'arrêta face à lui et lui tapota l'épaule, comme il aimait un peu trop à le faire au goût de Guillaume.

 « Vous devriez profiter de la fête, Guillaume. Ça vous ferait du bien ! »

 Il s'apprêta à repartir avant de s'arrêter. Il le considéra quelques instants avant d'ajouter :

 « Vraiment. Je sais que toute cette histoire avec Actaria a été dure, pour tout le monde, mais… c'est du passé. Arrêtez de vous tourmenter à ce sujet. Vous n'avez rien à vous reprocher. »

 Il ajouta un petit sourire de sympathie, sincère, pour accompagner son propos. Guillaume hocha la tête sans rien dire. Le directeur parut satisfait de cette réponse et s'en repartit à grands pas vers le bruit et l'alcool.

 L'élastique lâcha dans un claquement bref.

 Cédric était déjà un peu ivre, voire même plus qu'un peu, si on en jugeait par la façon dont il cassait avec le code vestimentaire avec sa chemise débraillée et sa cravate au bout de la main, en train de la faire tournoyer par-dessus sa tête. Guillaume observait son simulacre de danse avec un amusement certain. Le grand gaillard braillait les paroles en étant faux à l'excès, rajoutait des implications paillardes, bref, faisait le pitre. Bien malgré lui, il se retrouvait à se détendre. Peut-être était-ce l'alcool, au final. Ou le soulagement d'avoir pu se confier, enfin, malgré les circonstances particulières de la chose. Il restait encore un peu à l'écart, mais il avait discutaillé un brin, échangé des plaisanteries… Oui, c'était une bonne soirée.

 Il ne voyait pas les chuchotements, les regards glissés à son encontre. Il était enfin bien, et sa vigilance s'était relâchée. Il se laissait aller à un petit plaisir bien mérité. Il applaudit comme tout le monde quand la chanson cessa enfin et que Cédric leva les mains au ciel dans une posture triomphante. Puis le piètre danseur se dirigea vers un petit groupe à petits bonds ridicules. Guillaume continua de l'observer alors qu'il se resservait un verre et parlait d'une voix un peu trop forte. Son collègue était… à peine supportable, il fallait l'avouer, mais au moins, dans son style, il était amusant, véritable spectacle à lui seul.

 Guillaume plissa les yeux. Quelque chose le perturbait. Cédric lui jetait des coups d'œil surpris, de temps à autre. Il avait un sourire… étrange. Comme s'il venait d'apprendre quelque chose d'inattendu. Un frisson d'horreur coula dans le dos de Guillaume. Il sentait enfin qu'il était au centre de l'attention. Regards furtifs. Murmures. Petits rires. C'était discret mais… Non, se convainquit-il. Juste sa paranoïa, son anxiété. Il n'avait pas à s'en faire.

 Cédric se tourna vers lui et, à pas titubants, l'air jovial, le rejoignit. Certains tentèrent de l'empêcher, à moitié sérieux et à moitié rieurs, mais nul n'en avait la force ni la volonté. Guillaume se sentit de plus en plus mal à l'aise, serra son verre de plus en plus fort. Son cœur bondissait dans sa poitrine. Son collègue sévèrement alcoolisé finit par le rejoindre, et, de toute sa hauteur, lui lâcha en beuglant, l'air hilare :

 « Alors, paraît que t'es un p'tit homo ?! »

 L'esprit de Guillaume implosa.

 Après ce qui parut être une éternité, le directeur rompit la quiétude toute relative du moment – la fête continuait son plein, bien loin de tout ceci – en demandant doucement :

 « … Tout ce que vous me dites est vrai, Guillaume ?

  • Absolument, monsieur le directeur. »

 Il restait calme et posé. Intérieurement, il jubilait.

 « Vous avez des preuves ?

  • Oui. Dans mon bureau, et probablement le sien. Je vais vous indiquer ça. »

 Ce qu'il fit. Le directeur hocha la tête plusieurs fois.

 « Très bien. Je vais voir ça. Merci Guillaume. »

 Il se retourna, le visage grave, mais s'arrêta aussi sec. Il considéra Guillaume quelques instants.

 « Pourquoi ne rompez-vous le silence que maintenant, Guillaume ?

  • Cela me paraissait la chose à faire. »

 Son patron ne dit rien, jugeant sa réponse. Il finit par hocher sèchement du menton et le laissa là, marchant à grands pas pressés vers les bureaux. Guillaume resta quelques instants figé, yeux fixés dans sa direction sans le voir. Il ne ressentait aucun plaisir à avoir fait cela. Mais en revanche, il sentait toute l'attention qu'on lui portait présentement. Il tourna la tête et rendit le regard qu'on lui adressait avec un air innocent. Il sentait la suspicion et la peur. Il n'en avait cure.

 Il cassa enfin sa façade et lui offrit un sourire cruel.

 Guillaume fixa l'élastique cassé dans sa main. Il poussa un petit soupir. Il allait rentrer chez lui, tout bonnement. Il se sentait trop tendu. Une petite voix douce le fit sursauter :

 « Je savais que je te trouverais là, à l'écart. »

 Il se tourna en souriant vers la personne qui venait briser ses pensées ainsi.

 « Moi qui pensais me faire discret, je vois que rien ne continue d'échapper à ton regard. »

 Amélie lui offrit sa mine de souris satisfaite d'elle-même. Elle avait les pommettes rouges, et quelque chose dans son maintien laissait entendre qu'elle avait un peu bu. Mais elle paraissait encore bien maîtresse d'elle-même, contrairement à Cédric qui beuglait au loin. Enfin, c'était aussi son état festif naturel.

 « Je te cherchais, tu sais. »

 Guillaume eut un regard paniqué, d'un seul coup.

 « Que… il y a un problème ? C'est à propos de… »

 Elle l'interrompit d'un gentil coup de poing dans le bras.

 « Non ! Non. C'est du passé ça. Il faut que tu arrêtes de t'en soucier. Non, c'est… c'est autre chose. »

 Elle détourna les yeux vers la fête, se dandinant, hésitante. Guillaume cligna des yeux, perplexe. Amélie était son amie, ou tout du moins l'espérait-il, une collègue estimée depuis son arrivée dans cette boîte. Et pour la première fois depuis qu'il la connaissait, ou peu s'en fallait, elle paraissait… mal à l'aise ? Enfin, il l'avait déjà vue comme ça, mais dans un tout autre contexte, et elle lui avait affirmé que cela n'avait aucun rapport. Mais alors… quoi donc ?

 « Qu'est-ce que c'est… ? » demanda-t-il, espérant briser son silence.

 « Prêt à tout casser ce soir ? »

 Guillaume leva les yeux au ciel et se retourna sur sa chaise. Amélie était dans son dos et imitait des pistolets avec ses mains, faisant mine de lui tirer dessus.

 « Attention, tu pourrais tuer quelqu'un avec un regard comme ça.

  • Ah ah ah. J'essaye de travailler, Amélie.
  • Roh, t'es pas drôle. Allons, c'est bientôt fini. Détends-toi un peu. »

 Il fit la moue.

 « Oui, bon, je sais que c'est dur pour toi. Mais il faut apprécier ce qu'on a.

  • Hm. »

 Il se détourna et reprit son travail, sans y mettre vraiment de motivation. Amélie prit une mine soucieuse et vint se poster à ses côtés.

 « Eh. Qu'est-ce qu'il y a ?

  • Hm… »

 Il tapa quelque chose, prétendant rester concentré sur sa tâche. Mais sous cet examen constant, impossible de continuer.

 « Rien, c'est juste… Cédric est passé. Il m'a demandé pour Actaria. »

 Elle continua de le fixer. Puis :

 « Et ?

  • Et rien, évidemment. »

 Elle lui serra l'épaule brièvement.

 « Merci.

  • Pas de quoi. Après tout, ce serait bien bête de dire quoique ce soit maintenant, non ? »

 Il lui sourit, d'un sourire un peu maladroit et tendu, un sourire jaune. Amélie secoua la tête.

 « Tu es vraiment quelqu'un d'exceptionnel, Guillaume. Plus qu'un chic type. Si plus de gens étaient comme toi… »

 Elle parut vouloir ajouter quelque chose, mais se retint au dernier moment. Elle finit toutefois par dire :

 « Je serai à la fête. Tu viendras ?

  • Je… je sais pas.
  • Allez. Ça te fera du bien.
  • Pas dit…
  • S'il te plaît ? Pour moi ? »

 Elle avait les yeux brillants, une mimique irrésistible, mignonne et suppliante. Il souffla longuement, dépité, et elle sautilla de joie.

 « Excellent ! À tout à l'heure alors ! »

 Elle s'en alla, toute contente, et il se remit au travail en secouant la tête. Il ne savait vraiment pas lui dire non. Au fond, il ne le pouvait pas, tout bonnement. En d'autres circonstances, peut-être que… il soupira. Rien ne servait de penser à ce genre de choses, se dit-il en lui-même. Il se força pour la énième fois à se concentrer jusqu'à la fin officielle de son temps de travail pour boucler sa journée, se demandant ce qui allait encore venir le couper.

 Le souffle coupé par le choc, il n'eut qu'un bref moment pour considérer ce qui lui arrivait. Mais il était trop confus, trop perturbé, n'arrivait plus à aligner une seule pensée.

 La chute lui brisa la nuque.

 Amélie buvait, se soûlait même, annihilait chaque pensée avec chaque gorgée. Elle était foutue. Elle le savait. Alors elle buvait, encore et encore. Dans sa stupeur alcoolique, elle ne vit même pas Cédric venir jusqu'à elle. Elle ne comprit pas ce qu'il venait de lui dire. Le fixa, vide.

 « Quoi ?

  • Je disais, ça va ? »

 Elle but pour toute réponse. Ne voulait pas dire qu'elle se détestait. Qu'elle détestait tout. Tout le monde. Qu'elle haïssait Guillaume. Cédric. Ce boulot de merde. Ses collègues tous plus cons les uns que les autres. Guillaume surtout. Quelle ordure. Elle avait commis une boulette, il aurait pu comprendre ! Mais ce regard… ce sourire… Son cœur était déjà dans un piteux état. Il l'avait piétiné à ce moment-là.

 Elle savait quoi faire.

 « Eh, Cédric.

  • Ouais ?
  • Tu sais, Guillaume ?
  • Ouais ? Il est pédé, ouais. Je sais. On me l'a dit plus tôt. Bizarre. Mais bon, tant qu'y garde ça pour lui et qu'y m'fait pas chier avec, tu sais… »

 Amélie sourit. Cédric avait la voix pâteuse. Il était ivre, lui aussi. Elle sentait le froid de sa rage percer à travers les vapeurs de l'alcool. Elle savait que Cédric avait un faible pour elle. Pas dur à voir, il était aussi subtil qu'un ours dans un ballet.

 « Écoute, je sais pas si je devrais te dire ça mais… C'est à moi qu'il l'a dit, en fait, à la base.

  • Quoi ? Mais… ça se fait pas trop, de le dire à tout le monde, non ?
  • Oui mais j'étais… choquée.
  • Bah… des pédés, y en a partout, maintenant, tu sais…
  • Non, non, pas par ça… »

 Elle hésita. Fit mine d'hésiter, en tous les cas. Cédric gobait chaque mot.

 « Quoi alors ? finit-il par dire en peinant à articuler le peu de syllabes.

  • Bah… Il m'a confié qu'il te ferait bien le cul. »

 Cédric se redressa d'un coup.

 « Quoi ?!

  • C'est… c'est comme ça qu'il l'a dit. Qu'il te ferait bien le cul car… »

 Elle se fit toute petite. Lâcha à peine :

 « Tu avais un bon petit cul, et que tu… tu crierais comme… comme une gonzesse. »

 Cédric était rouge de colère. De rage. Elle se fondit dans le mur alors qu'il repartait, fulminant, parcourant les bureaux à la recherche de sa cible. Amélie souriait comme Guillaume lui avait souri. Elle lui apprendrait à rompre une promesse et briser sa vie.

 Guillaume lui souriait aussi tendrement que possible, alors qu'il venait juste de lui briser le cœur.

 « Oh. »

 C'est tout ce qu'elle arriva à lui dire.

 « Je… je suis désolé. J'aurais aimé t'en parler plus tôt, mais on ne se connaît pas si bien, et je… je n'en parle pas vraiment, à vrai dire. Je… voilà. Tu es la première à qui j'en parle au bureau, au bout du compte. »

 Elle clignait des yeux. Regardait son verre sans comprendre. Puis lui. Puis son verre. Elle n'arrivait pas à assimiler l'information.

 « Tu es… gay ? », répéta-t-elle.

 Il hocha la tête. Elle finit par se reprendre en se secouant. Elle s'en voulait. Elle avait été si bête… Évidemment. C'était évident. Ce n'était pas possible qu'il soit pour lui. Elle en demandait trop. Elle se força à finir son verre. Elle avait encore soif. Elle mit un masque sur son visage et leva les yeux vers Guillaume.

 « Content de te revoir sourire, lui dit-il, un peu hésitant. Ça… ça va ?

  • Oui, oui ! répondit-elle d'un ton faussement enjoué.
  • Je… je suis désolé… Je ne voulais pas…
  • Oh, ce n'est pas ta faute, enfin. Tout va bien. C'est… c'est bizarre, c'est tout ! Ça ira. Ça va !
  • D'… d'accord. »

 Silence un peu tendu. Aucun des deux ne savait comment continuer la conversation. Ce fut elle qui finit par le faire :

 « Alors, Cédric ?

  • Quoi Cédric ?
  • Eh bah… tu le trouves comment ?
  • Quoi ? Mais… ce n'est pas…
  • Oh allez, tu peux au moins me dire ça ! Je suis sûr que tu le trouves a-do-rable !
  • Ahah, pitié. Il est trop… trop.
  • Trop quoi ?
  • Hétéro, pour commencer ! »

 Ils rirent tous les deux. Elle secoua la tête et le regarda en biais. Guillaume ne paraissait pas comprendre ce qui se passait.

 « Bon, mon verre est vide, finit-elle par dire. Je vais arranger ça. Rejoins-nous quand tu veux !

  • D'accord ! Je n'y manquerai pas. »

 Elle commença à s'éloigner, mais il s'écria aussitôt :

 « Oh, Amélie !

  • … Oui ? »

 Elle ne se retourna pas.

 « Tu… tu gardes le secret, hein ? Je peux te faire confiance.

  • Bien sûr. À plus tard, Guillaume.
  • À… à tout de suite. »

 Elle reprit sa route d'un pas calme. Et lorsqu'elle arriva dans la salle, laissa enfin son barrage de larmes se rompre, inondant son visage.

 Elle se rongeait les ongles. Elle avait vu Cédric, comme tout le monde. L'avait entendu crier. Et maintenant, Guillaume était sous le choc, immobile. Perdu. Elle ne savait pas quoi faire. Tout le monde parlait, chuchotait, le pointait du doigt. Elle se sentait mal. Si mal. Ce n'était pas sa faute. Elle n'avait fait que se lâcher. Avait tout raconté à… elle ne savait plus qui. La première personne sous la main. Il fallait que ça sorte. Et puis… c'était trop tard. La culpabilité la dévorait toute entière. Elle aurait voulu pleurer encore, mais il n'y avait plus de larmes en elle. Seule cette souffrance, énorme, ce poids qui l'écrasait.

 Guillaume se mit en mouvement d'un coup. Comme un fantôme. Elle le fixa, yeux écarquillées. Qui allait jusqu'au directeur. L'emmenait à l'écart. Discutait longuement avec lui. Et, au bout du compte, la fixait elle à son tour.

 Et dans un cruel sourire, détruisit le peu qu'il lui restait.

 Elle était immobile face à la vitre éclatée. Elle l'appelait, elle le sentait. Elle s'en tenait aussi loin que possible alors que tout autour d'elle, tout le monde s'agitait, tout le monde hurlait, Cédric avait été immobilisé, on appelait la police, les secours, on pleurait… Elle se retrouva par terre sans s'en rendre compte. Plusieurs minutes plus tard, elle serait debout. Au bord de la fenêtre. Puis, encore plus tard, dans une ambulance, sous une couverture. Encore plus tard, ailleurs. Cela n'importait plus.

 Elle avait tué.

 Une vie brisée pour une promesse brisée pour un secret brisé pour un cœur brisé.

 Et plus personne pour recoller les morceaux.

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