7 - Shy

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 Il était une fois une jeune fille qui était toujours couverte, de pied en cape, en toutes saisons. Elle marchait sous la pluie et le soleil toujours dans la même tenue, toujours : un épais manteau sur le dos qui lui tombait jusqu'aux chevilles, la capuche relevée, une écharpe ou un foulard lui cachant presque tout le visage, ne laissant apercevoir que de temps à autre de petits yeux, petits points perdus derrière un amas de textile. On devinait à peine ses formes là-dessous, seul signe qu'il s'y trouvait quelque chose de plus ou moins humain, et non pas un agglomérat humanoïde de vêtements se déplaçant comme par magie.

 Elle parcourait les rues avec le dos légèrement recourbé, réduisant encore plus sa stature déjà menue, comme si elle avait honte d'être là, ou peur qu'on la voit. Et peu la remarquaient, discrète malgré son accoutrement, sa présence à peine notable, comme une ombre battant la chaussée à petits pas rapides et pressés, se rendant elle seule savait où. Mais elle n'était pas invisible pour autant : certains la voyaient, et lorsque leur attention se portait sur elle, elle paraissait accélérer, comme poussée par la simple force de ces regards. Il y avait aussi parfois des murmures, sur son passage. Sans parler de ces hommes qui, non contents d'essayer de jauger ses formes sans même faire mine de le cacher, lui lançaient des remarques allant de la simple interpellation au ton salace à peine voilé au flot vulgaire puis agressif alors qu'elle s'enfuyait à toutes jambes, son gros manteau se soulevant avec peine derrière elle.

 Un soir, alors qu'elle progressait comme à son habitude dans des rues étroites et peu fréquentées, tête basse et mains dans les poches, un homme adossé à un mur la vit passer à toute vitesse devant lui. Il était alors occupé à jouer distraitement avec son téléphone, mais dès qu'il l'aperçut, il la suivit du regard avant de la suivre tout court. Ses pas résonnèrent à sa suite, et la jeune femme accéléra, mais l'autre fit de même, et il était plus grand, ses jambes couvraient deux fois la distance des siennes. Elle commençait à presque trottiner lorsqu'il lança un Mademoiselle, s'il vous plaît ! Mademoiselle !, mais elle continua malgré tout, tournant là à gauche, là à droite, mais l'homme ne se laissa pas faire, il lui courut après jusqu'à la rattraper et se placer devant elle, lui barrant le chemin de sa taille, aussi stoppa-t-elle net, la tête résolument fixée sur le sol.

 Mademoiselle, répéta-t-il, le souffle un peu court, excusez-moi, enfin, voyons, vous pourriez répondre quand on vous parle, continua-t-il, mais elle resta cloîtrée dans son silence. Il insista, se penchant vers elle, son haleine était chaude et un peu puante, il lui dit avec un air agacé : Oh, je vous parle, faites pas semblant, et elle risqua alors un coup d'œil vers lui. Il lui fit un sourire qui se voulait plaisant et charmant mais n'était que carnassier, et elle se rapetissa en retour, mais lui ne le voyait pas, ce n'est pas comme si il voyait autre chose que ce qu'il voulait voir, après tout. Mademoiselle, reprit-il, c'est dangereux de se promener, comme ça, le soir, vous savez ? Une jolie demoiselle, comme vous… Vous avez pas envie que je vous raccompagne chez vous ? Et elle secoua la tête, lui signifiant que non, ça allait, mais il insista, se penchant encore plus près vers elle, sa masse la surplombant presque complètement, lui barrant le chemin, et il ajouta en tendant la main : Allons, ne soyez pas timide, pourquoi vous vous cachez derrière votre écharpe, laissez-moi vous voir, et elle s'écarta un peu mais il la colla un peu plus, cherchant à l'apercevoir sous ses couches de vêtements, sous cette fichue capuche, ce bout de tissu qui lui voilait le bas du visage jusqu'aux yeux, et il réitéra en murmurant un peu trop vite Laisse-moi voir ton sourire, allez, pourquoi tu te caches ainsi, tu as peur des autres ? Et alors, elle leva enfin vraiment la tête vers lui, et ses yeux noirs déclenchèrent un frisson dans le dos de l'homme, terreur surnaturelle face à ce regard perçant qu'il fit taire à grand coups de ce qu'il pensait être de la virilité et n'était que de la sottise, et elle lui répondit enfin, d'une voix douce, à peine un chuchotement : Ce n'est pas moi qui ai peur des autres, c'est les autres qui ont peur de moi, et alors elle fit descendre son écharpe, révélant l'arc supérieur d'une bouche gigantesque aux dents pointues, fines, par milliers, gueule insensée ouverte sur un abysse noir dont seule la partie supérieure émergeait, le reste toujours camouflé par le manteau, et alors il hurla, de toutes ses forces, son instinct criait sa peur avec lui.

 Fort heureusement pour le voisinage, le silence revint presque aussi vite. Puis, quelques instants plus tard, le bruit familier des petits pas menus de la jeune femme au manteau et à l'écharpe, se précipitant vers elle seule savait où.

 Probablement son prochain repas.

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