1 - Swift

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 Elle court.


 Elle se faufile parmi la foule à toute vitesse, si vite que peu la remarquent avant qu'elle ne les ait déjà dépassés. Quelques-uns parfois lui crient quelque chose alors qu'elle les frôle, mais toute son attention est portée sur sa course, sur son souffle déjà haletant, les mouvements des gens afin de les éviter au dernier moment. Fort heureusement pour elle, elle est bien plus petite que ses congénères, ce qui lui permet de glisser entre tous ces êtres balourds aux gestes lents qui s'attroupent sans aucune considération pour les autres, bloquant parfois complètement le passage. Mais sa taille réduite lui permet d'ignorer cela, coulant parmi le troupeau comme un filet d'eau entre des rochers.


 Elle regarde le ciel par moments, et maudit le soleil couchant. Elle n'a pas vu le temps passer, occupée qu'elle était à se prélasser sans rien faire, et désormais, elle va être en retard. Elle déboule en haut d'un escalier encombré par une masse de gens. Elle ne réfléchit même pas : elle passe par-dessus la rambarde et saute, son cœur accélérant d'un coup sous la terreur de cette chute trop longue et pourtant si courte, une maigre seconde de rien du tout, mais déjà elle est au sol et elle laisse sa lourde peur au sol loin derrière elle, elle est repartie. Des gens s'exclament, se demandent où elle va ainsi aussi vite, mais elle ne les entend pas.


 Elle tourne dans des rues de moins en moins peuplées, mais non dénuées de leurs propres obstacles. Plus étroites, les trottoirs se retrouvent réduits parfois à presque rien, ce qui n'empêche pas aux voitures de se garer dessus et de prendre toute la place, sans parler des poubelles encombrantes et puantes. Elle continue pourtant à toute allure, passant sur la route si nécessaire, provoquant même l'arrêt soudain d'une voiture, son chauffeur surpris par cette ombre jaillissant de nulle part traversant presque sous ses roues. Elle n'en a cure : elle va être en retard, elle le sent, et elle doit tout faire pour que cela n'arrive pas. Elle ignore même le miaulement proche d'un chat du voisinage qu'elle connaît bien, qu'elle voit presque toujours lorsqu'elle passe par là. Elle n'a tout simplement pas le temps.


 Malgré cela, alors qu'elle arrive à une intersection, elle s'arrête, ralentissant d'un coup alors qu'elle considère ses options. Elle est presque à son but, mais le chemin le plus court est, bien entendu, le plus dangereux. Et le ciel noir est de bien mauvaise augure quant au temps qu'il lui reste… Maudissant sa fainéantise passée, elle se rue vers un muret bas, franchissant le grillage sans même y penser. Peut-être qu'avec un peu de chance…


 Dans les ombres du jardin, elle perçoit un mouvement. Elle jurerait si elle le pouvait. À la place elle se rue à travers la pelouse, alors qu'un énorme molosse jaillit de nulle part, la coursant en aboyant avec férocité, peu enclin à ce qu'on prenne son territoire pour une voie de passage. Elle le sent juste derrière elle, mais alors même qu'il s'apprête à se jeter sur elle, elle bondit, grimpant dans un arbre aux branches basses. Le monstre bavant continue de hurler de rage, mais elle poursuit son ascension avec aisance, sa petite taille et son poids léger rendant la tâche presque triviale, même si son corps est rempli d'adrénaline, son souffle court et son cœur sur le point d'exploser. En plus, elle n'est pas encore tirée d'affaire.


 Elle grimpe sur le mur haut à l'arrière du jardin où se trouve le chien gémissant désormais de ne pas avoir pu attraper sa proie et se positionne en douceur afin de ne pas perdre l'équilibre. Ce n'est pas la première fois qu'elle se retrouve à faire un tel exercice, mais cela ne le rend pas plus aisé pour autant. Elle avance à pas prudents sur le rebord du mur, jaugeant chaque mouvement. D'un côté, le chien. De l'autre, un autre jardin, mais sans aucun moyen de descendre si ce n'est la chute, chose qu'elle préfère éviter. Surtout que cela ferait un énorme détour, en plus… Non, il lui faut continuer encore un peu, le long de ce mur qui forme l'arrière des jardins de cette zone pavillonnaire. Et à une allure décente, qui plus est, sans quoi ce raccourci aura été pour rien. Alors elle progresse de plus en plus vite, ignorant autant que possible les risques qu'elle prend. Jusqu'à ce qu'enfin, sur sa gauche, une maison familière apparaisse. Une porte-fenêtre illuminée est entrouverte sur cette belle soirée d'automne, fraîche mais pas désagréable, avec à peine un soupçon d'humidité dans l'air. Elle jette à peine un regard vers le bas avant de sauter sur le toit de la minuscule remise collée contre le mur au fond du jardin, puis de glisser sur celui-ci et de tomber au sol dans un bruit sourd et discret, couvert par les aboiements continuels du chien. Son maître finit d'ailleurs enfin par sortir et lui hurler de se taire et de se calmer. Quant à elle, essoufflée, elle se glisse jusqu'à l'intérieur de la maison, savourant avec délice l'odeur familière, la lumière douce orangée…


« Eh bien, minette, où est-ce que tu étais ? Je m'inquiétais presque ! »


 Une femme âgée, le visage ridé mais encore plein d'énergie, se penche vers elle et lui caresse la tête. Elle miaule de contentement et frotte son pelage contre sa jambe. Les caresses continuent pendant un petit moment avant que la vieille dame se redresse en grognant contre son dos.


« J'ai presque cru que tu m'avais oublié ! Allez, viens par là. C'est l'heure du dîner. »


 Se pourléchant les babines, la chatte se dirige à petits pas menus et pressés vers sa gamelle, savourant déjà par avance le délicieux repas qu'on lui a préparé. Après quoi, elles iront toutes deux se lover sur le canapé, elle ronronnant de plaisir, l'autre s'affairant d'une manière ou d'une autre, lisant un livre, regardant une émission, tricotant quelque chose, peu importait. Tout ce qui comptait, c'était sa présence et, bien sûr, les caresses occasionnelles.


 Elle ne pouvait rater cela pour rien au monde.

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