Trois jours sans parole

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Cela fait maintenant trois jours. Trois jours que je n’arrive plus à dormir. Je m’attendais à tout sauf à ça. Depuis ces trois jours, je ne sors plus de ma chambre, sauf pour le dîner. J’essaie d’y réfléchir, d’en parler, de l’écrire, je n’y arrive pas. J’ai tout essayé pour trouver un moyen pour que ça sorte mais, rien. C’est comme un vide déficient. Je me suis coupée du monde.

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Le soir, j’entends toujours les battements de volets fracassant presque les murs. Ils ne tiennent pas en place. Tout ça depuis ce soir là. Celui qui me fit devenir aphasique. Je réponds par des hochements de tête pour montrer ma présence d’esprit. Je me sens déséquilibrée depuis plus de soixante douze heures. J’ai l’impression que je suis malade.

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Ma gorge trépide de rendre tripes et boyaux. Manger les repas me répugnent et pourtant Yvette a bien vu que mon comportement avait changé. J’ai l’impression qu’elle essaie de me faire plaisir mais ses efforts restent vains.

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Roland et Taïa viennent vers moi et me demandent ce qui ne va pas. Je les regarde et les ignore avec ma mine dépitée. Non pas qu’ils ne me font pas de peine. Si un mot seulement pouvait sortir de ma bouche… Je leur dirai : aidez moi.

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Tout le long du dîner des sueurs froides coulèrent le long de mon buste. Je retenais la forte respiration que j’aurai du laissé aérer. Je suis angoissée. J’appréhende cette soirée plus que les autres. C’est après ce repas que je dois effectuer ma première participation ménagère. Faire la vaisselle. En général ça se fait en duo. J’ai quémandé pour la faire seule. Pas moyen. Sauter son tour encore moins.

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À la fin du festin, Yvan me stagne. Quand je vois ses iris plantées dans les miennes m’assassinant du regard, elles semblent aux autres une cajolerie de délicatesse. Yvette n’a pas l’air d’apprécier. Paradoxalement, moi non plus. Aussi rare est-ce, je peux dire que je nous trouve des points communs. Et pourtant : Je ne l’aime pas du tout.

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Au début, je pus penser qu’elle m’avait affranchi d’une vie aux potentiels accrocs. Je pouvais être stable sans me soucier de problèmes supplémentaires. Mais je me suis trompée. Il faut que je trouve un passe temps et que je m’éloigne un peu. Et ma chance c’est ce job. Il faut que je sois embauchée.

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J’entends chaque chaise à vertugadin crisser le sol. Vient le tour de Yveline, vient le tour de Josh, vient le tour de Catherine, vient le tour de Jean, vient le tour d’Yvette, vent le tour de Yvan, vient le tour de… C’est le mien ? J’ai la tête qui tourne, je vois un gouffre se former dans le parterre comme s’il m’aspirait. Ma vision fléchit et louvoie la descente chimère que je ne peux accéder.

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Mais je sens cette main se poser encore sur mon épaule droite et je bondis épouvantée.

Il est aussi surpris que moi. Pas que lui mais tout le monde. Là c’est sûr, j’ai l’attention de tout le monde sur moi. C’est pourquoi, la gouvernante de la maison me propose d’aller me reposer . C’est là que je m’aperçois que c’est moi qui mets tout le monde mal à l’aise.

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Je refuse et finalement essaie de sortir un son de la bouche. Elle reste mi-clos. Elle m’énonce donc d’aller aider à faire la vaisselle. Un sourire bouffi. Je cogite et m’active donc d’une traite débarrassant mon occupation. Tous mes colocataires me suivent du regard.

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Un couteau tombe sûrement car j’ai déguerpi à pleine vitesse. Il laisse raisonner un son massivement aigre dans l’allée avant la cuisine. Mais Roland m’a suivi et le ramasse donc pour moi. Son physique charmeur me rend frêle et je sens mes joues s’incendier. Il a laissé plusieurs mèches de cheveux balayer ses yeux ce qui le rendait encore plus fascinant. Je communique d’une risette légère.

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Étonnement je vois sa main se diriger vers ma touffe brune pour me tripoter la tête. Il me chuchote qu’il est là si besoin. Cela me rassure. Je sais que j’aurai besoin de lui alors en avoir la conviction : ça m’aide. Ses yeux se referment à moitié, je vois qu’il est heureux. Ses traits virils sont pourtant, hélas, si délectables, ils me font craquer. Je rate un battement de cœur mais je vois les chambrières se bousculer alors après un signe de main je les rejoins.

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Quand j’arrive devant l’évier – si je peux appeler ça un évier – est tout simplement rempli de toute la vaisselle possible. Tant pis, je me motive à la faire, ce n’est pas comme si je n’avais pas exercé plongeuse quand j’étais dans le service de restauration.

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Je commence à laver un par un les plats. En fait je suis seule et personne ne m’aide. Les domestiques s’activent mais ne m’aident pas. Elles sont trop occupées, ici les tâches ne manquent pas.

Un corps robuste est spontanément collé au mien. Je ne peux pas lever la tête, il m’emprisonne.

Il m’aide à laver tout en restant accroché sur moi. Il me dit d’un ton calme et serein qu’il est là pour moi. Ça doit être Roland. Je me doutais qu’il reviendrait.

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Il me demande ce qui ne va pas en continuant de frotter puis rincer. Je doute un moment. Puis j’ai confiance. Son attention et sa douceur décoincent ma voix comme une sorte de remède. Je lâche ce que je voulais tant dire.

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« Tu sais la chambre 5…

- Oui me répond t-il. Il agit de moins en moins vite. Donc je prends la relève.

- Je ne voulais pas y rentrer mais quelqu’un m’a poussé.

- Qui ?

- Au début je pensais Yvan. Finalement je ne suis plus sûre. C’est..

Il m’interrompt.

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- Et ensuite ?

- Je me suis assise sur le lit. J’étais comme aimantée. Il y avait ce vase que je vois partout…

- Oui effectivement.

- J’ai senti l’odeur de la mort dedans. J’ai cru voir la tête d’un corbeau en sortir.

- Ton imagination tu ne penses pas.

- Possible.

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Son étreinte se ressert donc ma respiration se saccade.

- Je comprends que tu sois mal à l’aise maintenant. Je me sentirai pareil à ta place.

J’apprécie sa bienveillance.

- Merci je savais que tu comprendrais.

- Mais tu n’as vraiment vu que ça ?

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Je me demande pourquoi il cherche à en savoir autant. Même si je suis tout aussi curieuse.

- Sa chambre est aussi froide que la mienne. Il y a des similarités. On dirait qu’Yvan a quelque chose contre moi. Il paraît gentil mais son sourire ressemble à celui d’Yvette. Hermétique tu vois.

Je ne me souviens pas de ce qu’il m’a dit et pourtant ça avait l’air important. Quand j’essaie de me rappeler mon œsophage grelotte d’une boule ancrée.

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Je force ma mémoire à me rappeler d’un quelconque évènement mais cela ne sert à rien.

- J’ai juste l’impression qu’il a fait quelque chose de mal.

- Je ne pense pas je le connais, c’est un type bien.

- Les gens ne sont pas les mêmes avec tout le monde.

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Son lourd visage s’apaise sur mon épaule. Des grésillements se glissent près de mon audition. Ils me semblent familiers. Quand mes cheveux sont soulevés par un courant d’air, il vient balayer le chemin. Machinalement je me retourne.Comme un réflexe instinctif. Et c’est là que je découvre qu’il n’y a personne derrière moi.

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L’éponge qu’il tenait lui aussi est sur le sol, moussante. Comment a t-il disparu aussi vite?

C’est déroutant parce que ce n’était pas le parfum de Roland. Mais celui d’un corbeau mort.

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