Chapitre 27 : Point de non-retour (2)

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Le biologiste n’aurait pas prêté attention à ce détail si Zaïk ne s’était pas figé, le regard rivé sur les perles carmin. Cette immobilité laissa le temps à Kayle de le maîtriser. Du moins, c’est ce qu’il pensait. Les Matérias avaient pour vocation de soigner, mais cela impliquait aussi de connaître les souffrances faites à autrui. Lorsque Kayle voulu crocheter le talon de Zaïk pour le faire tomber, le Matéria esquiva prestement l’attaque et Vyrian grâce aux LuVIC observa l’activité électrique de Zaïk augmenter. Quand ses mains percutèrent le thorax de l’Ombre, l’électricité traversa le corps de Kayle qui s’effondra dans un râle de douleur. Il fixa le jeune homme les traits déformés par la haine.

— Enflure !

— C’est la guerre, mon pauvre ami.

Sur ces paroles, Dinaïn s’avança à son tour.

— Tu ne fais pas si bien dire !

Alors que les deux Régisseurs se faisaient face, le monde devint subitement flou autour de Vyrian. Il se retrouva à l’extérieur. Sauf que ce ne furent pas des cendres qui l’accueillirent, mais une cité en pleine effervescence. Peu importe où son regard se posait, cette cité prospérait. La diversité des cultures avait doté la ville d’une architecture et d’un dynamisme exceptionnels. Pourtant, Vyrian reconnaissait ces bâtiments, il se souvenait les avoir observés avant que le camouflage optique ne les dissimule à sa vue, lorsqu’il avait quitté le repère de Rayec. Même s’il s’agissait des mêmes constructions, l’écart séparant ces deux époques était grand, suite à la guerre le Monde Numérique semblait avoir régressé. Des habitations flottant dans le ciel, il ne restait rien que des décombres enfouis sous la cendre. Pour le reste, Vyrian ne pouvait en juger, aussi il observa avec intérêt les citadins se téléporter d’un quartier à un autre. En les étudiant, il découvrit que certains disposaient de prothèses customisées si réalistes qu’il les avait dans un premier temps confondu avec de simples membres tatoués.

Vyrian connaissait le passé sanglant qui avait déchiré le Monde Numérique. Pourtant, les guerres étaient de tout temps, connues pour leur avancée technologique. Qu’était-il arrivé à ce monde pour qu’il ne devienne qu’un tas de cendres fumant ? Une silhouette fit son apparition et répondit à la question silencieuse du scientifique.

— Bienvenue étranger, je me nomme Kaeronn. Je suis le précédent gouverneur du Monde Numérique. La seule différence entre le passé et le présent de ce monde fut la création des clans et l’oubli de leurs origines communes. Je suis responsable de ce clivage. Laisse-moi t’expliquer la décadence de ce monde et le projet que j’ai pour Zaïk.

— Vous… Vous êtes dans l’épée ?!

Vyrian comprenait mieux à présent la réaction du Numéricien. Si la présence de sang activait l’arme, il savait ce qu’il allait se produire. Kaeronn répondit à sa question.

— Oui, c’est avec elle que je fus assassiner, mais revenons-en au début. Le Monde Numérique était un monde se développant sans cesse, le progrès et l’innovation ne semblaient avoir aucune limite. Les maladies étaient éradiquées, l’éducation n’avait jamais été aussi performante. Mais, un jour, suite au meurtre de mon fils, j’ai mis fin à tout cela. Son assassin se trouvait caché parmi le peuple. Aveuglé par la colère, je l’ai segmenté. J’ai répertorié cinq comportements qui pouvaient expliquer le sort funeste de mon enfant : la peur, la curiosité, l’impétuosité, le pragmatisme et l’extravagance. Chacune de ces caractéristiques à son niveau pouvait nuire à ma famille. Que ce soit par la peur des changements que j’instaurais dans la ville, la curiosité d’en connaître les aboutissements, l’impétuosité de commettre un acte irréfléchi pour y parvenir, l’extravagance qui pouvait pousser à accomplir de folies et le pragmatisme qui était tout aussi redoutable.

Vyrian associa chacun de ces comportements à l’un des clans et les connaissances de Mère le détrompèrent. Il aurait juré que l’impétuosité correspondait aux Régisseurs, or il s’agissait de la peur, cette émotion avait une importance prédominante dans l’éducation des jeunes recrues. L’impétuosité correspondait aux Innovateurs, des ingénieurs de l’extrême qui ne craignaient pas de modifier leur corps pour obtenir de meilleures performances. Pour le reste comme attendu, la curiosité désignait les Ombres, l’extravagance, les Calligraphes et le pragmatisme les Matérias.

Une fois les idées clarifiées, le biologiste écouta la suite des explications.

— Pour déterminer à quelle catégorie appartenait les villageois, j’ai organisé un test et parqué les habitants dans le quartier correspondant à leur trait prédominant. Ils y étaient consignés jusqu’à nouvel ordre. Plus le temps passait, plus les quartiers se différenciaient les uns des autres. La vie avait poursuivi son cours. Je fis le deuil de mon fils. Les habitants ne tentèrent plus de se soulever. Leur nouveau mode de vie avait fini par les séduire. Chaque quartier voulait désormais s’étendre et devenir indépendant. Les conflits commencèrent à se multiplier, chacun vantant ses mérites et dénigrant l’autre. Peu de temps avant que je tente de remettre de l’ordre, les résultats de l’autopsie de mon enfant et des différentes analyses que j’avais pu faire sur mon corps me sont parvenus. Mon fils avait été torturé et j’avais été drogué. Une drogue comme je n’en avais encore jamais vu, capable d’influencer le comportement et de le pousser dans ses pires retranchements.

Les tremolos perçus dans la voix de son interlocuteur ne rassurèrent pas Vyrian.

— Qu’avez-vous fait.

Le biologiste entendit Kaeronn déglutir, avant qu’il ne lui réponde.

— Avant d’organiser le test, j’ai… j’ai torturé plusieurs membres de mon gouvernement. Tous avaient une raison de me nuire selon les cinq émotions que j’ai citées précédemment. Lors des interrogatoires, ils ont nié leur implication dans la mort de mon fils, mais je ne les pas crus. Je les ai donc torturés au point qu’ils me supplièrent de mettre fin à leurs jours, ce que je fis. Mais avant j’ai créé une épée, la FaucheSouvenirs. En s’abreuvant de sang, elle gardait les souvenirs de ses victimes. J’ai donc récolté les connaissances de mes hommes, tranchant les têtes comme on fauchait les blés. Ironie du sort, j’ai été tué par cette épée. J’ignore qui est mon assassin. Tout ce que je sais, c’est qu’il ne retira pas la lame de mon corps, même qu’après qu’il soit devenu froid. La FaucheSouvenirs a donc absorbé l’intégralité de mon sang et est désormais mon corps. Elle est mon moyen de corriger mes erreurs et de comprendre ce qu’il s’est vraiment passé ce fameux jour.

— Votre vengeance ne vous apportera rien ! Vous êtes morts acceptez-le !

Kaeronn poursuivit son discours.

— Je ne veux pas me venger. J’ai eu tout le temps nécessaire pour prendre le recul sur cette situation. Par contre, je n’ai toujours pas réussi à comprendre à qui serait bénéfique de conserver le clivage entre les clans. Je veux le découvrir, c’est pour cela que je me suis allié à Zaïk, ce jeune homme rêve d’un peuple uni, lui qui n’a connu que le rejet et l’humiliation. Je te fais la même offre : allie-toi à nous et redonnons à ce monde sa grandeur d’antan !

— Votre heure est passée, les clans se sont différenciés et ont oublié leur passé commun. Vous ne pouvez pas exiger d’eux qu’ils redeviennent un seul et même clan, sous prétexte que vous voulez vous laver de vos pêchés ! Qu’ils fassent la paix ce sera déjà une bonne chose !

Le ton de Kaeronn se durcit.

— C’est donc un refus. C’est dommage.

Vyrian sentit la voix de son interlocuteur se faire de plus en plus lointaine.

— Une dernière chose, tes amis sont bien impuissants face à Zaïk. En échange de son aide, je lui ai offert les compétences des cinq clans. Bénéficier de leurs pouvoirs est une bonne approche pour les comprendre.

— Est-ce une menace ?

Le contact fut rompu et Vyrian se retrouva de nouveau dans la pièce. Son équipe se trouvait en mauvaise posture. Vanea, Kayle, Dinaïn, Dezaël et Saern résistaient vaillamment, mais Nick était hors-jeu.

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