Vyrian resta abasourdi par cette nouvelle. Rayec venait de lui offrir une chance incroyable de découvrir le Monde Numérique. Pourtant, il ne se sentait pas prêt à quitter sa zone de confort. Il s’était habitué à son statut d’observateur et à ses frustrations. A présent, qu’il pouvait enfin agir de manière concrète, l’hésitation le gagnait. C’est avec appréhension qu’il attendit le verdict des deux Ombres. Le frère et la sœur se concertèrent d’un regard. Ce fut Kayle, l’ainé qui donna son aval.

— J’aurai préféré être accompagné par quelqu’un de plus… apte.

Vyrian ne manqua pas l’insinuation de Kayle. Il l’avait vu arrêter son observation à plusieurs reprises. Vyrian n’eut aucun mal à en deviner les raisons. Le regard du Numéricien s’était successivement posé sur sa tenue, ses membres rachitiques et enfin sur l’exosquelette qui l’aidait à se déplacer, avant de reprendre la voix emplie de déception et de résolution.

— Enfin bon, je suppose que je ne peux pas me permettre de faire la fine bouche. Alors, sois le bienvenu.

Vyrian prit pleinement conscience de l’état de désolation qu’il offrait. Sa blouse dévoilait ses jambes, son épiderme autrefois hâlé avait pâlit lui donnant un air maladif. Il était loin de la peau bronzée et de la carrure de ses interlocuteurs. Le scientifique avait conscience de sa fonte musculaire, mais la vue des combinaisons tendues par les muscles des Numériciens lui rappelait ses déficiences. Il ne put retenir un spasme en repensant aux épreuves qu'il avait dû traverser.

Ses tressaillements furent mal interprétés par Vanea, la sœur de Kayle.

— Un peu rachitique mais avec la technologie adaptée, on devrait pouvoir en tirer quelque chose.

Cette nouvelle rasséréna Vyrian. Cela faisait des années qu’il se cachait derrière Mère, avoir un substitut le rassurait. Rayec scella l’accord.

— Dans ce cas, je vais te laisser te préparer. Kayle va t’équiper.

Vyrian suivit le jeune homme. La monotonie de la construction lui laissa le temps nécessaire pour lire la description que Mère faisait de son guide.

« A six et quatre ans, Kayle et Vanea perdirent leur famille. Dallan et Fara considérés comme déserteurs lors du combat qui opposa les cinq clans, réapparurent une fois les affrontements terminés, face à cette trahison les villageois les bannirent. Depuis ce jour, les deux enfants sont tenus à l’écart. Cette solitude fit naître en Kayle un besoin de reconnaissance et il se mit en tête de prouver sa valeur aux autres. Il espérait ainsi se faire accepter et retrouver sa place parmi les siens. »

Une fois de plus, Vyrian fut écœuré par l’égoïsme de ses prédécesseurs, il en venait à se demander s’il les avait vraiment connu. En aucun cas, leur précarité ne méritait pas de briser des familles, tant d’entre elles avaient déjà été détruites.

Plongé dans ses pensées, le scientifique ne vit que tardivement le jeune homme s’arrêter. Si bien qu'il manqua de le percuter. Ce brusque retour à la réalité lui fit prendre conscience de son environnement, ils se trouvaient dans une vaste pièce qui se distinguait des précédentes par l’équipement disposé sur des présentoirs. Cette maladresse valut à Vyrian un regard suspicieux de la part de Kayle.

— Un problème ?

Le biologiste mit trop longtemps à répondre pour ne pas paraître suspect. Mais comment aurait-il pu lui avouer la vérité ? Aux yeux du jeune homme, il n'était qu'un faible étranger et cela valait mieux ainsi. Vyrian s'imaginait mal lui révéler qu'il avait accès à son passé et qu'il était en partie responsable de sa situation.

— Non, aucun.

Le scientifique tenta de garder un air neutre, mais le résultat ne fut pas concluant. Le regard que lui lança Kayle était explicite, il n’insisterait pas, mais il n’était pas dupe. Sans un mot, il lui envoya une combinaison. Vyrian l’attrapa de justesse.

— Enfile ça. Ça te protégera de la chaleur et des rayons du soleil.

D’un geste du menton, le Numéricien indiqua une petite pièce à Vyrian. Le souvenir de la douleur ressentie au contact du sol incandescent ne quittait pas le scientifique, il fut ravi d’aller se changer. Dans la cabine, il découvrit sa nouvelle apparence, sa barbe avait été taillé et ses cheveux tondus. Ce changement d’apparence lui fit un drôle d’effet, les soins que lui avaient prodigués Rayec semblaient avoir partiellement gommés les années passées en état de Télépathie. Troublé par son reflet dans le miroir, Vyrian se changea. La combinaison disposait d’une montre dans laquelle se trouvait un petit catalogue offrant une large gamme de vêtements. Ne sachant quelle tenue serait la plus adaptée, Vyrian n'y toucha pas. Une fois prêt, il rejoignit Kayle qui jaugea son apparence d’un hochement de tête.

— Bien, maintenant, au tour de l’équipement. Choisis ce qui te plait, ne t’encombre pas en vain.

Le professeur hocha la tête et se rapprocha des présentoirs. Il se refusait à poser des questions au risque de passer pour un parfait abruti, ou pire, pour un étranger. Les informations de Mère ne pouvaient malheureusement pas l'aider, aucune notification ne s'affichait lorsqu'il s'approchait des technologies. Etaient-elles protégées ? Disposaient-elles d'un brevet intégré empêchant d'en comprendre les caractéristiques ?

Le scientifique ne s'attarda pas sur la question. Chacun de ses faits et gestes était observé. Il prit deux appareils à la fois pour le design et l’utilité qu’il pensait deviner. Le premier objet s'apparentait à des lunettes nocturnes, de ce qu'avait pu apercevoir Vyrian du Monde Numérique, cela lui sembla être un bon choix. Le second objet quant à lui, ressemblait à une barrette mémoire. Vyrian découvrit en observant son exosquelette une fente compatible, il y inserra l'objet. Sa sélection faite, il se tourna vers Kayle qui le congratula.

— Bons choix.

Vyrian attendit des précisions, mais Kayle ne fut pas plus bavard et il le reconduisit auprès de Rayec. Le biologiste avait hâte d'en finir, il détestait prétendre ce qu’il n’était pas. Il ne pouvait cependant pas révéler son identité, ni l’influence de son peuple sur les mondes, mais il ignorait combien de temps durerait son secret.

Le scientifique fut accueilli par une Vanea souriante et l’ancien dirigeant des Ombres qui jaugea sa nouvelle apparence. Aucune des deux expressions ne plut au biologiste.

— Notre recrue a bien meilleure mine.

Vyrian se contenta de remercier poliment la jeune femme, les regards qu’elle lui jetait le mettaient mal à l’aise. Des deux, elle était celle qui ressemblait le plus à ses parents. Le scientifique avait la désagréable impression de sentir le regard de Fara se poser sur lui. Le reproche de la mère de famille lui revint à l’esprit « Qu’as-tu fait ? ». Rien, il n’avait rien fait, tel était le problème. Il s’était contenté d’observer et maintenant que la possibilité d’agir lui était offerte, il doutait.

Il détourna légèrement les yeux de la jeune femme, préférant se concentrer sur Rayec. Ce dernier tenait une disquette. Sans qu'il n’en fasse la demande, les deux jeunes sortirent. Le scientifique se retrouva seul face à lui. Le stress le gagna, que lui voulait-il ? L’homme s’approcha, l’expression grave.

— Lorsque tu reverras Mère, donne-lui ceci.

— Pourquoi ne pas le faire vous-même ?

— J’ai essayé autrefois. Je voulais racheter notre erreur. Nous devions juste sauver les enfants, mais notre interaction avec les habitants du Monde Historique a bouleversé le cours des choses. Pour me faire pardonner, je lui ai offert cette disquette. Après une consultation rapide, la considérant trop dangereuse, elle me l’a rendue.

Vyrian s’en saisit, se demandant quelles informations Mère pouvait refuser. Au fond, il se doutait de la réponse. L’intelligence artificielle censurait toute information tenant de la légende par précaution, afin d'éviter que ces informations ne se retrouvent entre de mauvaises mains comme lorsqu'elle avait été piratée. Le scientifique ne pensait pas se tromper. Plus il analysait la situation, plus il était sûr de lui et plus l’envie d’en apprendre davantage sur la légende se faisait grande. Pourtant, il s’était juré de découvrir les choses par lui-même et de ne pas se laisser influencer par les données. Alors qu'il s’apprêtait à retirer sa main, Rayec lui enserra le bras.

— Jure-le-moi. Promets-moi de remettre à Mère ces informations.

— Je le jure.

Cet échange mit Vyrian mal à l’aise. Sans un regard en arrière, il alla rejoindre le frère et la sœur. Lorsqu'il arriva à leur niveau, Kayle actionna l’ouverture du sas et Vyrian se retrouva une nouvelle fois face au désert de cendres. Peu importe où se posait son regard, seules des dunes embrasées lui apparaissaient. C’était à la fois beau et d’une désolation sans nom. Tout comme son peuple, les habitants du Monde Numérique avait détruit leur foyer. Il ne restait de leur histoire qu’un tas de cendres fumant.

Le regard perdu dans l'immensité désertique, Vyrian vit du coin de l'oeil l'affichage holographique des montres de ces compagnons d'infortune. Tout comme eux, il sélectionna une combinaison intégrale. Il sentit son corps s'alourdir et ses gestes se firent plus limités. L’obscurité les accueillit et ensemble, ils s’élancèrent dans la nuit, uniquement guidé par le rougeoiement du sol.