Jour : 319.

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Près d’une semaine après sa première tentative pour approcher Scott, Andrzej décide de tenter le coup à nouveau — aucune autre occasion ne s’étant présentée entre temps —, en espérant vainement que la légendaire timidité de Scott lui ait faussé compagnie.

Après avoir cherché l’américain un peu partout dans le vaisseau, et avoir constaté avec plaisir qu’il ne se trouve avec aucun autre membre de l’équipage — puisqu’il est tombé sur tout le monde sauf sur lui —, Andrzej le trouve finalement dans la cabine de pilotage, l’air totalement perdu dans ses pensées.

— Tu as l’air de rêvasser. C’est à la Terre que tu penses ? demande-t-il de son habituelle voix basse.

Scott sursaute, puis fixe le Russe avec de grands yeux écarquillés.

— Hein ? fait-il. Euh… oui, ouais. Je pensais à la Terre, dit-il en hochant la tête d’un air peu convaincant — selon Andrzej, qui est persuadé que Scott a un problème avec lui.

— Et ça t’arrive aussi de rêvasser à ce que l’on pourrait trouver sur Ganymède ? demande le Russe en ancrant ses yeux gris acier dans ceux marron foncé de Scott.

— Ouais, répond l’Américain. Mais dans mes rêves, je ne nous vois pas en promenade de santé sur Ganymède, alors j’ai moins envie d’y penser. Je nous y vois seulement mourir, parce que sur Terre, ils vont nous oublier.

Il murmure la dernière phrase, plus pour lui-même qu’à l’attention d’Andrzej. Il a, très clairement, un petit coup de déprime — c’est beaucoup trop fréquent, dans l’espace.

— Pourtant, ce serait génial, une petite séance de patinage sur les océans glacés de Ganymède ! s’exclame le Russe, pour tenter de détendre l’atmosphère.

Scott soupire un grand coup. Dans l’immédiat, il se sent immensément triste et n’aspire qu’à retrouver la Terre. Ça, ou alors prendre l’homme en face de lui dans les bras pour y trouver un peu de réconfort. Mais ces choses-là ne se font pas — surtout comme ça —, alors il se contente de reporter son attention sur les astres.

— Dis-moi, Scott, tu connais l’histoire de Ganymède ? insiste Andrzej.

L’Américain observe brièvement le Russe, comme si ce dernier se trouve être subitement mentalement aliéné.

— Bah, ouais. C’est la quatrième lune de Jupiter et…

— Mais non, pas ça ! le coupe Andrzej avec un petit sourire. Je veux parler de l’histoire derrière tout ça, celle de la mythologie. Tu sais que les noms des planètes, des satellites et de bon nombre d’étoiles se rapportent à des divinités de la mythologie gréco-romaine, n’est-ce pas ?

— Ben ouais, je sais ça, comme tout le monde, dit Scott, ne voyant toujours pas où le Russe veut en venir.

Il n’a pas vraiment la tête à écouter une stupide histoire qui date de l’Antiquité.

— Alors tu connais l’histoire de Ganymède ? le questionne Andrzej.

— Non, répond Scott en haussant les épaules, après avoir été tenté de mentir pour que son coup de cœur du moment lui fiche la paix.

— Je suppose que tu sais que les satellites entourant Jupiter portent les noms de certaines de ses innombrables conquêtes : Io, Europe et toutes les autres. La plupart de ces mythes sont très connus.

— Ouais, dit Scott en hochant la tête.

Lui, les contes pour enfants, ça ne l’avait jamais botté. Il se mettait à rêvasser dès qu’on lui racontait une histoire. Son imagination n’avait pas besoin qu’on lui impose celle des autres.

— Et donc, Ganymède aurait été l’une des conquêtes de Jupiter. Il est dit dans certains ouvrages de mythologie grecque, que Zeus se consuma d’amour pour Ganymède qui n’était autre que le plus beau des garçons vivant sur Terre.

Scott se fige, et Andrzej le remarque sans peine. Cependant, il choisit de poursuivre son histoire.

— Un jour, il se transforma en aigle et le kidnappa pour le garder auprès de lui. Ce jeune homme est éternellement demeuré au service du dieu, à qui il présentait le nectar divin… Tu ne trouves pas ça intéressant, que nous allions sur le satellite dont les légendes racontent une aventure homosexuelle de la part du père des dieux ?

Scott ne dit rien. Il suppose que la question est rhétorique. Est-il possible qu’Andrzej ait remarqué les coups d’œil furtifs qu’il lui jette et son attitude maladroite et furieusement timide en sa présence ? Probablement. Et c’est une véritable catastrophe. Il se lève précipitamment et quitte la cabine de pilotage en lançant quelques mots à l’encontre du Russe.

— Je dois y aller, j’ai oublié que je suis de corvée de ménage aujourd’hui !

Son interlocuteur lève les yeux vers ce qui pourrait être le plafond.

— Je crois qu’il n’a pas encore compris… les Américains sont un peu longs à la détente, dit Andrzej à haute voix, tout en pianotant sur le tableau de bord.

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