2. 

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En Enfer.

 — Enfin, pas tout à fait, nous ne sommes qu'au premier étage.

 Un rire nerveux lui échappa.

 — C'est censé me rassurer ?

 Parce qu'il ne l'était pas du tout ! Stevan était encore plus paniqué que tout à l'heure. Bordel ! Il se trouvait en Enfer, lieu où vivaient tous les démons. Un humain au milieu de milliers de démons. Une proie face à ses prédateurs. C'était comme livrer une vache à l'abattoir. Stevan se sentait mal. Atrocement mal. Il n'arrivait pas à croire que Lamia lui faisait un coup pareil ! N'avait-elle pas idée du danger auquel elle l'exposait ?!

 — Détends-toi, s'il te plaît. Ça va bien se passer.

 — Bien sûr que ça va aller, pourquoi m'inquiéterais-je ? Que peut-il m'arriver de pire hormis la mort ? Ce n'est pas comme si je la rencontrais tous les jours, après tout, lança-t-il, sarcastique.

 — Bah, voilà ! Tu vois, c'est rien de grave.

 Son visage se décomposa. Sa petite-amie était complètement cinglée ! Mais ce qui l'agaçait davantage c'est qu'il s'en étonnait encore, et, qu'au fond, aussi incroyable que cela puisse paraître, cette situation l'attirait autant qu'elle l'effrayait. Lamia avait le don de le mettre dans tous ses états. La démone lui faisait découvrir des émotions qu'il n'avait plus ressenties depuis longtemps. C'était peut-être lui le plus cinglé des deux...

 À cet étage, le ciel restait constamment gris, presque blanc et lumineux. Des buildings à perte de vue soulignaient la modernité et la richesse de l'endroit, des bolides de luxe traçaient à vive allure, se coursaient les unes les autres. Leurs roues enflammées dessinaient quelques secondes des lignes de laves brûlantes. Rien ne laissait deviner qu'il s'agissait d'un endroit effrayant où le mot d'ordre était torture et souffrance.

 Soudain, un cabriolet gris apparut au côté de Stevan. Le conducteur tourna la tête vers lui et sourit. L'humain remarqua ses doigts glisser dans une tignasse rousse qui bougeait entre ses cuisses. Stevan n'en croyait pas ses yeux : la femme lui taillait une pipe alors qu'ils roulaient à cette vitesse ?!

 — Ça t'excite, mon cochon ?!

 Le démon rigola et la femme releva la tête vers le policier, un sourire malicieux aux lèvres. Une goutte de sperme coulait au coin de sa bouche qu'elle s'empressa de récupérer du bout de la langue. Stevan sentait ses joues chauffer.

 — C'est bien, ma p'tite chienne.

Ils s'embrassèrent avec fougue alors que le démon accéléra jusqu'à ce que le jeune homme les perdit de vue.

 Pour le policier, habitué à l'ordre et aux règles, cette scène était surréaliste ! Les démons étaient fous ! Ils ne s'imposaient aucune ligne de conduite, suivaient la loi du plaisir et de la chair fraîche. Stevan les comparait à des animaux. Ils n'avaient besoin que de manger et de baiser pour être comblés. Stevan regarda Lamia, imperturbable devant ce spectacle improvisé. Évidemment, se dit-il, elle était comme eux. Mais au moins, elle gardait toujours cette classe qui la distinguait tant des autres démons aux yeux de l'humain.

 Après quelques minutes, la succube arrêta enfin la voiture devant un grand bâtiment très chic sur cinq étages. La façade était faite de granit rouge. Il semblait que des petits éclats étaient incrustés tant la lumière artificielle soulignait la beauté de la pierre. De belles gargouilles parsemaient les murs desquelles s'écoulait de l'eau claire qui disparaissait comme par magie avant qu'elle n'éclabousse le sol. Un tapis foncé courait sur les marches en ardoise jusqu'à l'entrée du restaurant qui était habillée de deux grandes plantes vertes. C'était magique ! Stevan en fut ébloui.

 Un homme élégant, tout de noir vêtu, ouvrit la portière de Lamia et l'aida à sortir du véhicule. Il se baissa et porta la main de la démone à ses lèvres, frôlant juste sa peau.

 — Dame Lamia, je vous attendais, c'est toujours un honneur de vous voir. Vous êtes toujours aussi ravissante.

 Conquise, La succube lui sourit, sous les yeux enragés de Stevan. Et lui ? Personne ne venait l'accueillir ? Et pourquoi leurs pupilles restaient-elles accrochées ? Il serra les dents avec une telle force que ça lui arracha une douleur à la mâchoire.

 — Toujours aussi charmeur, Mazriad, rit-elle.

 — C'est parce que vous m'inspirez beaucoup.

 Les nerfs de Stevan allaient finir par exploser si ce satané démon de pacotille ne lâchait pas sa petite-amie. Tendu, il vint se positionner entre eux et enroula son bras autour de la taille de la jeune femme. Il fit mine d'ignorer le regard insistant de l'homme, le sien fixé sur le bâtiment.

 — C'est absolument magnifique !

 — Oui, et c'est aussi l'un des meilleurs restaurants de tout l'Enfer, l'informa la démone.

 — Je suis heureux de savoir que nos plats vous comblent, Dame Lamia.

 Elle se défit de l'étreinte du jeune homme et suivit le démon jusqu'à l'entrée. Stevan, à leur suite, s'agaçait de leur comportement et de la patte de Mazriad dans le dos de sa compagne. Les deux démons riaient, se souriaient, complices.

 Devant la double porte en verre, Lamia tendit les clés de sa voiture à Mazriad et entra dans le restaurant. Le démon les donna à son tour au voiturier sans se rendre compte qu'il s'adressait à la mauvaise personne.

 — Dépêchez-vous de garer la voiture de Dame Lamia !

 Stevan ne comprit pas avant qu'un autre homme à l'allure chétive les lui reprenne. Ce Mazriad commençait vraiment à énerver Stevan dont la patience s'effritait de seconde en seconde. Ses poings le démangeaient sérieusement !

 Il franchit à son tour les portes et un homme un peu grisonnant qui se tenait derrière un pupitre les accosta. Lorsqu'il reconnut la succube, il lui fit la même révérence que l'autre idiot.

 — Dame Lamia.

 — Marannex.

 L'humain se demanda s'il n'était pas devenu invisible. Personne ne lui prêtait attention, lorsque Marannex daigna enfin tourner la tête dans sa direction.

 — Dame Lamia, qui est-ce ?

 — Marannex, je vous présente Stevan, mon ami.

Ami ? Le démon lui sourit avant de reporter son attention sur la succube.

 — Votre table est prête, mais laissez-moi d'abord retirer votre manteau.

 Le vêtement glissa le long de ses bras, avant que le démon ne le lui prenne. Stevan lâcha un hoquet de surprise. Sa croupe surmontée d'une superbe chute de reins s'offrait à sa vue gourmande. Certains hommes fantasmaient sur les poitrines généreuses, les fesses galbées ou leurs jambes, lui, c'était sur leur dos et leur belle cambrure. Lamia le savait et s'enorgueillissait de sentir le regard perçant de son homme sur elle. Il ne remarqua même pas que Marannex lui parlait.

 — Monsieur, votre veste.

 — Ah, heu... oui, ma veste... pardon.

 Stevan lui tendit son blouson. Marannex s'amusa de la réaction de l'humain.

 — Dame Lamia fait cet effet à tout le monde.

 Il savait qu'il était inutile de chuchoter, Lamia les entendait de toute façon, mais au moins, elle pouvait en profiter pour observer son petit-ami. Sa chemise blanche moulait à la perfection son torse ferme et dont les deux premiers boutons laissaient entrevoir sa peau hâlée. Il portait des chaussures noires rutilantes et son costume bordeaux se mariait avec sa robe rouge. Sa barbe de trois jours était taillée avec soin. Le regard sombre qu'il posait sur elle l'électrisait à chaque fois. Il était atrocement sexy !

 Mazriad revint auprès du couple et les emmena ensuite à leur table. Stevan ne fit pas attention aux regards affamés des femelles sur lui. Derrière Lamia, sa démarche chaloupée le rendait fou. Ses hanches rondes semblaient agir sur lui comme un aimant, telle l'abeille attirée par le pollen. À bien regarder, il se demanda si elle portait une culotte. Ses joues chauffèrent aussitôt, sa queue durcit alors qu'un délicieux frisson parcourut l'échine de la jeune femme, comme si à eux seuls les yeux verts de l'humain avaient ce pouvoir d'agir sur son corps sans qu'elle ne puisse le contrôler.

 Marannex leur avait réservé un petit coin intime et discret. Mazriad tira le fauteuil de Lamia qui fit un léger mouvement de tête pour le remercier. Stevan prit place en face d'elle et observa la décoration.

 Une belle nappe blanche habillait la table sur laquelle deux verres en cristal scintillaient sous l'immense lustre au milieu du restaurant. Des tables étaient placées de sorte qu'elles formassent une grande rosace. Au centre se trouvait un grand bar circulaire à côté du quelle un grand escalier en fer forgé menait au deuxième étage, tout aussi bondé de clients affamés que le premier. Les gros rideaux en velours fermés et les lumières murales apportaient une atmosphère chaleureuse et luxueuse. Au plafond, des fresques mettaient en scène le Jugement dernier ainsi que des démons dans différentes situations. Le décor était élégant et pittoresque avec un esprit Art nouveau.

 — Apportez-moi une bouteille de O positif frais et une bouteille de votre meilleur champagne pour mon ami, ainsi que la carte.

 — Bien, Dame Lamia.

 Mazriad lui offrit une légère courbette et tourna les talons. Lamia regarda son vis-à-vis et ses yeux verts étinceler d'admiration devant tant de beauté.

 — C'est l'un des plus vieux restaurants, lui dit-elle. Marannex en est le propriétaire.

 — Depuis quand existe-t-il ?

 — Depuis pratiquement toujours.

 Stevan écarquilla les yeux. S'il s'attendait à ça !

 — Il avait fait lui-même les plans du bâtiment. C'est le lieu de rendez-vous de tous les démons. Il est courant que des incubes ou des succubes viennent avec leur fraîcheur. Certains humains vivent même en Enfer avec leur partenaire.

 — Qu... Quoi ?! Mais je croyais que les humains ne devaient pas connaître l'existence du monde surnaturel ?

 Lamia haussa les épaules.

 — Tous les humains ne sont pas prêts à connaître la vérité, mais de toute façon, seule une minorité le sait.

 Mazriad revint, un plateau à la main sur lequel se trouvaient les deux bouteilles. Il ouvrit la première et remplit le verre de la jeune femme. Les effluves du sang chatouillèrent aussitôt ses narines. Le serveur versa ensuite le champagne dans la coupe de Stevan. Ses gestes étaient précis et élégants. Puis, il claqua des doigts et deux livres apparurent dans une petite flamme devant eux. La couverture était en cuir noir. Une rosace était dessinée sous le nom du restaurant écrit en Langue Noire de couleur or.

 Stevan l'ouvrit. Le papier paraissait vieux et rêche, comme du parchemin. Tout était écrit en Langue Noire et Stevan ne comprenait pas. Ça allait être difficile de commander...

 — La carte pour les humains est à la fin, lui signala Lamia.

 Il tourna les pages et fut impressionné par les nombreux choix que proposait ce restaurant réservé aux démons pour les humains. Savaient-ils au moins cuisiner des plats humains ? Lamia sembla comprendre son interrogation et lui expliqua :

 — L'un des cuisiniers est humain.

 Stevan leva la tête, surpris.

 — Il s'appelle Dylan, c'est la fraîcheur et le partenaire de Thalsan, le portier que tu as vu quand on est arrivé.

 — Attend... Ce gringalet est un démon ?! s'étonna l'humain.

 — Un incube pour être plus précis, et aies un peu plus de respect pour lui. Il n'en a pas l'air comme ça, mais il est très puissant et sait se montrer très effrayant quand il s'énerve. Il te réduirait en un vulgaire tas de cendres sans sourciller.

 Cette information le fit déglutir. L'habit ne faisait pas le moine, il fallait croire que cet adage collait aussi pour les démons.

 — Partenaires ? Ça signifie que le lien a été opéré entre eux.

 Lamia confirma d'un hochement de tête.

 — Depuis combien de temps sont-ils... partenaires ?

 — Six ans.

 Six ans avec un démon pouvaient paraître longs, surtout quand on était lié à lui pour l'éternité. Lamia et Stevan ne sortaient officiellement ensemble que depuis quelques mois, ils n'avaient jamais parlé d'aller plus loin dans leur relation ou même de vivre sous le même toit. Le voudrait-elle ? L'obligerait-elle un jour à tout quitter sur terre et la rejoindre en Enfer ? Serait-il prêt à sacrifier ce qu'il est par amour ? Des questions auxquelles il n'avait jamais pensées gesticulaient désormais dans sa tête.

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